Gilets pare-balles, casques en Kevelar et fusil d’assaut à la main, 13 hommes fendent une foule enthousiaste qui les accueille à grand renfort de tapes sur l’épaule, début septembre, dans le quartier de Boustan al-Diwan, à Homs. La caméra s’attarde sur la tenue de camouflage, les épaulettes vertes sur fond rouge barrées de l’inscription Al quwat al khassa (« Forces spéciales »). Pour les activistes de la ville, la « prise » ce jour-là est de taille. Ce sont des déserteurs de l‘armée syrienne.
Ces hommes ont été en première ligne autour de d’Ar-Rastan du 27 septembre au 5 octobre. La ville, située à 20 km au nord de Homs, la grande cité du centre de la Syrie, a été la cible d’une offensive majeure des forces gouvernementales après la défection de deux bataillons de l’armée. Près de 250 transports de troupes, appuyés par des hélicoptères, ont participé à l’assaut et aux opérations de ratissage. Face à eux, un millier de déserteurs et de villageois armés, selon des témoins. Damas a repris le contrôle de la cité après de violents combats et la détention de 3 000 personnes dans des écoles et des entrepôts après ces affrontements parmi les plus graves qu’ai connus le pays depuis le début du soulèvement.
Si le passage à une résistance armée par une minorité d‘opposants n’est pas un phénomène nouveau, près de 800 membres des forces l’ordre ont été tués depuis le printemps, selon les ONG, l’émergence d’une opposition armée organisée issue des rangs des forces terrestres est relativement récente.
C’est dans la région de Deir-Ezzor, la grande ville de l’ouest, que le régime a été confronté à sa première alerte sérieuse. Fin juillet, après un massacre de jeunes officiers à l'académie militaire de Homs (images très dures), des unités blindées de la 3e division rallient les insurgés à Deir-Ezzor et ses environs, défilant même avec leurs chars à Al-Boukmal, aux mains de l’opposition.
Damas dépêche en catastrophe des renforts. Après une médiation des grandes familles de la région, à la culture encore tribale, les mutins auraient accepté de restituer les blindés contre l’assurance que les localités ne seraient pas investie. Un accord aussitôt violé par le régime, qui donne l’assaut. Les combats font près de 100 morts à Deir-Ezzor, la ville est bombardée.
C’est peut-être l’acte de naissance effectif de l’Armée syrienne libre, dont la création, par des officiers dissidents, avaient été annoncée quelques jour plus tôt.
Dirigée par Riad al-Assad (sans parenté avec la famille régnante), un colonel de l’armée de l’air, aujourd’hui réfugié en Turquie, l’ASL revendique aujourd’hui 10 000 hommes organisés en 12 bataillons à travers le territoire. Et annonce être contact avec des centaines d’officiers des unités d’active prêts à la rallier. Si les chiffres semblent largement exagérés, les coups de main du groupe s’intensifient depuis le début du mois, notamment autour de Homs, l’épicentre de la révolution syrienne. Ce que le régime reconnaît à mots couverts, en dénonçant des attaques, désormais quasi-quotidiennes, de « groupes terroristes ».
Une présence que confirme un habitant de la ville, qui déclare qu’ »il n’est plus rare, au petit matin, de tomber sur des carcasses de véhicules calcinés des forces de sécurité tombés dans des embuscades nocturnes ». Des attaques à mettre à l’actif d'une déjà célèbre unité des mutins, la katiba Khalid-ibn-al-Walid, dirigée par un ancien officier des forces spéciales: quelques centaines d’hommes divisés en groupes de 10 à 30 membres qui multiplient leurs apparitions publiques.
Le choix du nom, une référence à la plus grande mosquée de la ville et au chef de l’armée de Mahomet qui a conquis la Syrie, marque clairement les déserteurs comme sunnites, même si le groupe reste flou sur ses objectifs réels, se bornant à préciser « qu’il n’est ni une organisation ni un mouvement à caractère politique, mais une alternative à l’armée qui sert le régime. Nous sommes au service de la volonté du peuple dont nous défendons les aspirations à une vie libre et digne et à la transition vers un régime civil et démocratique »
Du côté des opposants, s’ils ont toujours appelé de leurs vœux un basculement de l’armée, une certaine distance semblait de mise, alors les velléités d’autodéfense et de passage à l’action violente gagnent du terrain chez des militants démunis face à la barbarie du régime.
« Bien que nous comprenions l’envie de prendre les armes ou d’appeler à une intervention militaire, nous rejetons cette position. Une militarisation de la protestation éroderait la supériorité morale qui a caractérisé la révolution depuis son début», rappelait le mois passé les Comités de coordination locaux de Syrie, l’un des réseaux moteurs de la contestation, aujourd’hui membre du Conseil national syrien. Les mots sont pesés, mais pour ces partisans d’un mouvement unitaire et multiconfessionnel, un glissement vers une résistance armée était considéré jusqu'ici comme désastreux.
Jusqu'au 14 octobre… et la traditionnelle journée de mobilisation hebdomadaire. Dédiée à ces “soldats libres”, qui, la veille, ont encore affronté durement les forces du régime à Idlib (nord) et Deraa (sud). Des combats qui ont fait 25 morts, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme.
Lundi matin, l'armée lançait une nouvelle offensive contre Al-Khalidiye et Adouye, des quartiers civils de la ville de Homs, ouvrant le feu sur les citernes d'eau potable des habitations, selon le réseau Shaam News Network