Ukraine : “Nous sommes Européens”

En septembre 2008, l'Ukraine paraissait se diriger vers la signature d'un Accord d'association avec l'Union Européenne (UE) l'année suivante, en 2009. Trois ans plus tard, en 2011, l'Accord reste au point mort.

Le dernier obstacle en date à la finalisation de la procédure a été, le 11 octobre 2011, la condamnation de l'ex-premier ministre Ioulia Tymochenko. Une résolution adoptée par le Parlement Européen le 27 octobre qualifie [en anglais] la peine de sept années de prison infligée à Mme Tymochenko de “violation des droits fondamentaux et d'abus du pouvoir justiciaire afin de réduire au silence la femme politique la plus forte de l'opposition.” La résolution met aussi en garde contre les retombées potentielles sur les relations UE-Ukraine:

[…] un manquement à réviser l'incrimination de Ioulia Tymochenko menacerait la conclusion de l'Accord d'Association et sa ratification, tout en éloignant encore davantage le pays de l'accomplissement de son projet européen […]

Les autorités ukrainiennes réussiront-elles à contrôler les retombées géopolitiques de leur politique intérieure ? En attendant de le savoir, les Ukrainiens ordinaires ont commencé à s'emparer de la question : ils affirment leur engagement pour les valeurs démocratiques, incitent leurs concitoyens à ne pas se taire, et cherchent les meilleurs moyens d'entrer en contact direct avec les personnalités politiques ukrainiennes et européennes pour contribuer à améliorer leur pays.

Le 20 octobre, quelque 200 personnes, dont un grand nombre de journalistes, se sont massées devant le parlement ukrainien à Kiev pour délivrer ce message concis au pouvoir : “Nous sommes Européens.”

Ce qui a fait pencher la balance pour beaucoup d'entre eux, c'était sans doute la décision de l'UE, le 18 octobre, d'ajourner la visite du président Victor Ianoukovytch à Bruxelles pour des pourparlers sur l'accord d'association (le dirigeant ukrainien s'est rabattu sur une visite à Cuba [en anglais]) – ainsi que la perspective imminente que l'Ukraine rejoigne la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan dans l'Union Eurasienne en gestation [ces 4 liens sont en anglais].

The logo of the "We are Europeans" Facebook group (features the EU flag and the Ukrainian coat of arms)

Le logo du groupe Facebook "Nous sommes Européens" (il superpose le drapeau de l'UE et le blason de l'Ukraine)

Yevgeniy Ikhelzon [en ukrainien et russe], un des animateurs du rassemblement “Nous sommes Européens”, a écrit [en russe] qu'il n'avait fallu que deux jours et “pas un seul coup de téléphone” pour réunir les gens : ce sont les réseaux sociaux en ligne et les blogs qui ont été utilisés pour donner le mot.

Dans la foulée de la manifestation du 20 octobre, un groupe Facebook [en ukrainien et russe ; 1.626 membres] et une communauté Facebook [en ukrainien et russe ; 611 ‘j'aime’] ont été créés, suivis de l'enregistrement d'un certain nombre de sections locales, également sur Facebook (en ukrainien et russe ; Lvov, Crimée, ZaporijieVolhynie, Kherson, Kharkov, Tarnopol, Dniepropetrovsk).

 

Dans son blog sur le site de Ukrainska Pravda, Ikhelzon avance ces explications [en russe] à l'opération “Nous sommes Européens” :

Oct. 19, 2011:

[…] Nous voulons vivre selon les lois européennes, nous n'avons pas besoin d'un nouveau Rideau de fer. […] Même si l'Europe est certes en crise en ce moment, ce n'est qu'une crise économique, et non une crise de valeurs. […]

***

Oct. 20, 2011:

[…] – Les valeurs européennes sont celles que les personnes libres appellent le bon sens. […]

- L'Accord d'Association avec l'UE comporte un certain nombre de pré-requis législatifs, qui [s'ils étaient mis en oeuvre] sont susceptibles de réellement changer les conditions en Ukraine. […]

- Rien n'empêche l'Ukraine de remplir les critères. La Serbie, qui était en guerre il y a très peu de temps, obtiendra prochainement le statut de candidat à l'UE. Nous n'avons pas eu de guerre, ni de nettoyage ethnique. Il suffit de remplacer le système de gouvernement de type occupation par un autre, humain et humaniste, en faisant faire à l'Etat un demi-tour pour qu'il regarde les citoyens. […]

- Rejoindre l'Union Eurasienne [de Vladimir Poutine] ne changera rien à la dérégulation de l'économie, aux droits humains et aux libertés civiles. […] Autrement dit, [le Président du Kazakhstan Nursultan Nazarbaev] ne verra aucun inconvénient à accepter l'Ukraine dans cette organisation parce que Tymochenko est toujours en prison. Fondamentalement, ce rassemblement d'anciens communistes et du KGB ne s'embarrasse pas de telles “bagatelles” :  pour eux, [faire des profits], voilà l'essentiel. […]

Voici quelques commentaires de membres du groupe Facebook “Nous sommes Européens” sur l'Ukraine et l'UE :

Oleksandr Oleks. [en ukrainien] :

Les aspirations à l'UE de l'Ukraine n'ont guère de sens en elles-mêmes. Si ça se passait demain et que nous avions une possibilité de nous déplacer et de travailler librement en Europe, la moitié peut-être de la population ukrainienne [y migrerait peut-être] dès après-demain. Quant à la classe moyenne, elle quitterait probablement à 100 % [l'Ukraine]. Il faut souligner que le plus important n'est pas d'entrer dans l'UE, mais d'adopter les valeurs européennes en Ukraine : en premier lieu, la capacité de défendre ses droits de propriété, de voter dans des élections honnêtes, de contrôler le travail des autorités, de la police et autres. Dans ce cas la question de l'entrée dans l'UE perdrait de son urgence, et l'Europe s'intéresserait plus à nous que nous à elle.

***

Adriana Bubnovska [en ukrainien] :

[…] Je ne veux faire partie de rien, ni des Etats-Unis, ni de la Russie. Je veux vivre dans un pays normal avec des valeurs normales et des droits et libertés civiles normales. Il se trouve que l'UE personnifie ce choix basé sur les valeurs. Personnellement, cela n'a aucune importance que nous entrions dans l'UE ou non. Ce qui compte pour moi est que la société ukrainienne atteigne le point où elle comprendra que voler est mal, falsifier les élections impossible, emprisonner les opposants politiques idiot, au lieu d'argumenter avec eux lors des élections, et qu'une démocratie [ne peut pas choisir les règles du jeu qui l'arrangent en refusant d'observer celles qui sont malcommodes].

Certains membres du groupe débattent de la nécessité de coopérer avec les politiciens ukrainiens pour atteindre leurs objectifs européens. Le journaliste Vakhtang Kipiani a écrit [en ukrainien] sur sa page Facebook :

[…] Une manifestation isolée ne changera rien du tout. Il nous faut constituer un groupe de gens qui déléguera ses intérêts fondés sur les valeurs pro-européennes à un autre groupe de gens. Cela s'appelle la politique. Sans politique pro-européenne, nous ne serons pas partie à l'environnement où la loi l'emporte sur les désirs d'un responsable particulier. […]

Des personnages politiques ukrainiens ont paru intéressés, eux aussi, à coopérer avec le groupe “Nous sommes Européens”. Irina Gerachtchenko, une députée du Bloc Notre Ukraine, a proposé [en ukrainien] que les membres les plus actifs du groupe participent à la prochaine réunion du comité parlementaire sur l'intégration européenne dont elle est membre, pour “faire connaître leur position et inquiétude sur les reculs dans ce domaine.”

Il n'y a pas encore unanimité dans le groupe sur l'opportunité d'admettre des politiciens dans ce mouvement de la base. Dans un commentaire à la note de Mme Gerashchenko, Ostap Kryvdyk l'a remerciée de sa proposition, qu'il juge utile – “une fenêtre sur la procédure législative, et un lien vers les décideurs occidentaux.” Oleg Zavada, en revanche, est de ceux qui ne se sentent aucun terrain commun avec les députés ukrainiens :

[…] J'ai peur d'attraper d'eux le [virus] du conformisme, du narcissisme, [de l'euro-scepticisme], et de perdre ce qui reste de perspectives européennes, parce que certains d'entre eux ont autant de rapport avec les standards européens que moi avec la charia.

'We are Europeans!' rally in Kyiv, Ukraine. Photo by Sergei Svetlitsky, copyright © Demotix (26/10/2011).

Manifestation 'Nous sommes Européens !' à Kiev, en Ukraine. Photo Sergueï Svetlitsky, copyright © Demotix (26/10/2011).

La deuxième manifestation de “Nous sommes Européens” s'est tenue le 26 octobre à Kiev. Même si, selon des comptes-rendus [en russe], elle a été plus clairsemée que la précédente, les militants ont réussi à attirer l'attention de diplomates européens sur leur cause, en transmettant la lettre ouverte du mouvement sur l'état des relations entre l'Ukraine et l'Union Européenne [en anglais] à Miroslav Lajčák [en anglais], le directeur du Service d'Action Extérieure de l'UE pour la Russie, le voisinage européen et les Balkans de l'ouest, présent à Kiev à ce moment.

 

Yevgeniy Ikhelzon a publié un lien [en ukrainien et russe] vers l’ article [en ukrainien] du journal Ukrainska Pravda, qui citait M. Lajčák disant que “le désir de la majorité des Ukrainiens d'avancer vers l'Union Européenne est très important, et que chaque manifestation de cela est très importante et très significative.”

Ikhelzon conclut [en russe] :

Ceci est le message qu'il nous faut faire entendre dans la rue et c'est ce qu'on attend de nous.

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