Depuis la chute de l’Union Soviétique il y a 20 ans, le monde a observé avec grand intérêt la transition de la Russie vers le capitalisme. L’ère Eltsine [en anglais] durant les années 90 était caractérisée par une lutte entre ceux qui profiteraient le mieux de la transition en mettant la main sur les sources de richesse majeures de la Russie, comme les ressources naturelles. Les vainqueurs sont connus sous le dénominatif d’« oligarques » car ils possèdent une proportion de la richesse qui dépasse l’entendement de la majorité des individus.
L’acquisition en janvier 2011 de l’équipe de football du FC Anzhi Makhachkala, qui évolue en Première Ligue russe, et se trouve dans une des régions les plus instables de Russie – le Daguestan – par le milliardaire Suleyman Kerimov, un politicien milliardaire natif de la région, est la démonstration la plus récente de la façon dont la richesse est employée.
La montée en puissance de Vladimir Poutine a provoqué des effets imprévus sur le pouvoir des oligarques dans la mesure où il est parvenu à leur imposer des limites et à orienter leurs activités. En août 2011, Jonathan Wilson écrivait à propos de l’influence de Poutine sur le blog dédié aux sports hébergé par The Guardian [en anglais, comme tous les blogs et articles cités] :
[…] Le fait que les oligarques soient encouragés par Vladimir Poutine à investir dans des clubs sportifs est un secret de polichinelle. Kerimov est peut-être un supporter acharné de Anzhi, il semble tout de même qu’il lui ait été conseillé d’investir dans ce club. Après tout, si Anzhi se débrouille bien, cela « normaliserait » la situation au Daguestan, tout comme la présence continue du Terek Grozny parmi les clubs de l’élite russe fait de la Tchétchénie une région soi-disant plus acceptable. La décentralisation, venant en soutien des régions, a été une pierre angulaire de la politique de Poutine à tous les niveaux (son succès dans le football se constate dans les faits : aucun des quatre derniers vainqueurs du championnat n'est basé à Moscou).
La question des financements est épineuse. Moscou débourse des millions de livres sterling chaque année dans le développement de la région caucasienne. Si une partie de l’argent finit par être utilisée dans le financement des clubs de football, pas étonnant que les supporters des clubs de Moscou se sentent lésés : pourquoi leurs impôts devraient indirectement servir à payer les salaires d’Eto’o ? Kerimov, après tout, n’a pas acheté Anzhi ; il lui a été plutôt donné par le président du Daguestan, Magomedsalam Magomedov, en échange de la promesse d’investissements à hauteur de 120 millions de livres sterling en infrastructure, incluant un stade d’une capacité de 40000 places. […]
Ce n’est cependant pas la première fois que les oligarques s’immiscent dans le monde du sport. M. Wilson rappelle aux lecteurs qu’en 1999, Mr Kerimov avait conclu des accords au côté ses amis oligarques Roman Abramovitch et Oleg Deripaska :
[…] Le trio est connu pour ses rachats agressifs. Abramovitch, bien sûr, a acheté Chelsea, a financé le centre de formation de l’Etat russe à Togliatti, et a contribué au financement des Jeux olympiques d’hiver 2014 et de la Coupe du Monde 2018. Quant à Deripaska, qui est lié aux rachats d’Arsenal et de West Bromwich Albion bien que ses représentants aient toujours nié des rapprochements avec des clubs de football britanniques, il a été actionnaire du club de Kuban Krasnodar jusqu’en 2008. […]
Le rachat du club du FC Anzhi est néanmoins curieux car il se trouve dans une région simplement trop instable. S’exprimant sur un blog associé au Time Magazine en septembre 2011, Ishaan Tharoor citait un article du Washington Post pour décrire cette instabilité :
[…] En juin, les représentants du Ministère de l’Intérieur ont déclaré que la police a tué depuis le début de l’année 100 personnes identifiées comme des rebelles, tandis que les militants des droits de l’homme accusent la police de tuer d'abord puis d'attribuer un crime au cadavre.
Les journalistes locaux estiment qu’entre 1000 et 1500 individus armés sont dans les bois à n’importe quel moment de la journée, alors que peut-être 5000 autres sont prêts à les rejoindre. Les refuges dans les forêts sont aussi le terreau du terrorisme – le gouvernement américain offre une récompense 5 millions de dollars pour toute information sur Dokou Oumarov, un terroriste tchétchène lié à Al-Qaida et suspecté de s’être caché au Daguestan, qui est accusé d’attaques terroristes sur Moscou. […]
Deux décennies ne sont pas encore passées depuis les brutales guerres tchétchènes des années 90. M. Tharoor décrivait par la suite un incident impliquant un joueur russe du FC Anzhi qui a été pris à partie lorsqu’il est allé rejoindre la sélection nationale russe, car il était membre de l’équipe du FC Anzhi :
[…] Le reste de la Russie ne se réjouit pas particulièrement de l’émergence d’Anzhi. Lors de l’arrivée récente de Iouri Jirkov, un ancien joueur de l’équipe londonienne de Chelsea, pour venir jouer avec l’équipe nationale russe, il a été outrageusement hué par les supporters de son propre pays [en anglais]. Ils étaient furieux du soutien politique apporté au Caucase du Nord – un sentiment teinté de préjugés ancestraux contre les habitants du Caucase. […]
Tatyana Bokova-Foley s’intéresse sur le Russia! blog [en anglais] à la Fondation Suleyman Kerimov, créée en 2010 et qui a depuis fait des donations à hauteur de 60 million de dollars pour des causes caritatives. Elle expliquait que la Fondation subventionne une multitude de programmes au Daguestan, dont beaucoup ne sont pas destinés à être bénéficiaires :
[…] La Fondation Kerimov continue de travailler dans la région [du Daguestan]. Lors d’une assemblée sur le Daguestan, Medvedev a fait l’éloge de l’installation d’ordinateurs dans toutes les écoles de la région. Dans certaines écoles, cela a été financé par la fondation, qui a dépensé environ 1 million de dollars pour des ordinateurs modernes et la reconstruction totale de trois écoles à Derbent.
Kerimov est directement impliqué dans les activités de la fondation, et utilise ses compétences en matière entrepreneuriale pour s’assurer qu’elle remplit ses objectifs, même si ceux-ci ne sont pas de gagner de l'argent mais d’aider la population. Des experts érigent cette fondation en modèle à suivre pour les organisations à but non lucratif les plus compétentes en Russie et dans le monde entier.
En février 2011, le FC Anzhi s’est attaché les services du Brésilien Roberto Carlos, ancien champion du monde, et de Jucilei da Silva. Le marocain Mbark Boussoufa suivait en mars. Toutefois, cet été marque un tournant historique pour le FC Anzhi grâce à l’arrivée du phénomène camerounais Samuel Eto’o, considéré comme l’un des meilleurs buteurs au monde – ainsi que le mieux payé.
Le blog Soccer Village décrivait l’acharnement de M. Kerimov pour recruter des talents de classe mondiale dans un billet datant d’octobre 2011 :
Roberto Carlos lui-même a été en fait le premier joueur de haut rang à signer lorsqu’il a rejoint l’équipe en février en tant que joueur. Suite au licenciement de leur entraîneur, Gadzhi Gadzhiyev, en septembre, Carlos s’est mué en entraîneur par intérim. Le vainqueur de la Coupe du Monde 2002 s’est exprimé davantage sur Kerimov et s’inquiète peu du fait que le propriétaire-milliardaire continue d’attirer de façon agressive de nouveaux joueurs de classe internationale. Il disait : « si le Real, Barcelone ou Manchester ne peuvent payer les indemnités de transfert, nous paierons. Suleyman Kerimov peut se payer ce qu’il veut ». […]
Le billet mentionnait également qu’aucun des joueurs du FC Anzhi ne vit dans la région, mais à plus de 1500 kilomètres, près de Moscou, et doivent se daplacer au moins 15 fois par an pour jouer les matchs à domicile.
La page officielle Facebook du FC Anzhi, suivie actuellement par plus de 10000 fans, a posté un lien vers un article [en russe] qui décrit l’avion dans lequel ils voyagent. L’article mentionne que l’ancien maire de Moscou Iouri Loujkov a autrefois utilisé cet avion. Les deux commentaires ci-dessous exprime des opinions contrastés quant à la décision d’Eto’o de venir jouer en Russie :
Ewodo Dominic:
samuel eto'o fait toujours la différence où qu’il aille. Il est le meilleur footballeur au monde !
Ian Mellor:
Quel idiot d’aller gâcher son talent en Russie.
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