Russie et Tadjikistan : Deux pilotes condamnés, des immigrés tadjiks expulsés

Cette histoire a commencé en mars 2011 lorsque les équipages de deux avions Antonov An-72 appartenant à la compagnie aérienne Rolkan Investmens [sic] Ltd ont été arrêtés à  Qurghonteppa au Tadjikistan. Les avions arrivaient de Kaboul, en Afghanistan. Les deux avions et leurs équipages ont été inspectés par les services des douanes et des frontières du Tadjikistan sans qu'il y ait eu de quelconque incident. Toutefois, les 8 membres des équipages ont été ultérieurement mis en garde à vue par les représentants du Comité pour la Sécurité nationale de la République du Tadjikistan puis arrêtés. Un mois plus tard, les commandants des avions ont été inculpés et les autres membres des équipages relâchés. Le procès des pilotes a commencé mi octobre.

Condamnation des pilotes russes

Ce 8 novembre, les deux pilotes Vladimir Sadovnichy (un Russe) et Aleksei Rudenko (un citoyen estonien) ont été déclarés coupables non seulement de contrebande, de trafic portant sur des éléments d'avions mais aussi de violation des normes de navigation aérienne internationale et de franchissement illégal de la frontière. Le tribunal les a condamnés chacun à 10 ans et 6 mois de prison dans une prison de très haute sécurité. La condamnation a été réduite à 8 ans et 6 mois pour chaque pilote d'après une loi d'amnistie pour ceux coupables de tels faits. Les deux  Antonov An-72s ainsi qu'un moteur à réaction ont été confisqués par le gouvernement.

Selon [russe] un représentant de Rolkan Invesmens Ltd, Viktor Pfefer, “un moteur à demi désassemblé se trouvant dans les effets des pilotes et déclaré par le Tadjikistan comme étant de contrebande pourrait être considéré comme tel s'il avait été déchargé sur le territoire du Tadjikistan, mais il n'en a rien été”.

Les Tadjiks, les nouveaux ennemis de la Russie ?

La réaction côté russe ne s'est pas faite attendre. Après que le ministre des Affaires intérieures n'ait pas réussi à résoudre le problème via des canaux officieux, les autorités ont décidé de changer de tactique. Comme le site du mouvement de jeunesse pro-Kremlin  “Molodaya Gvardiya” le rapporte [russe], le 12 novembre 2011, des militants du groupe ont manifesté devant l'ambassade et le consulat  du Tadjikistan à Moscou.

Manifestation du mouvement "Molodaya Gvardiya" devant l'ambassade du Tadjikistan à Moscou. Le panneau dit "ne mordez pas la main qui vous nourrit ". Photo provenant du site du mouvement

 

De plus, deux jours après la condamnation, des représentants du Service fédéral des migrations  ont annoncé [russe] l'arrestation de 300 Tadjiks sans papiers qu'ils projetaient d'expulser. Cependant, le Président Dimitri Medvedev a réfuté les affirmations  selon lesquelles  une “campagne de représailles” étaient menée, affirmant [russe] que “les citoyens qui violaient la loi devaient être expulsés du pays”. Nombreux sont ceux qui ont soulevé la question de savoir pourquoi l'expulsion n'avait pas eu lieu plus tôt. Après tout, ce n'est pas comme si les immigrants illégaux étaient devenus juste hier un problème.

Bien plus, les autorités russes ont justifié l'expulsion des Tadjiks en déclarant [russe] le taux de tuberculose et d'HIV constaté chez les migrants du Tadjikistan. Au total, 300 Tadjiks ont été détenus à  Moscou pendant trois jours. Les internautes ont discuté de cette campagne massive menée contre les immigrés du Tadjikistan. Certains internautes se sont laissés aller à de la  xénophobie dans leurs commentaires , comme cette proposition d'introduire un système de visas obligatoires avec le Tadjikistan ou d'expulser sans distinction tous les Tadjiks. Il y a eu quand même une certaine critique à l'égard du comportement de la Russie.

наблюдатель

Какая “молодчина” Россия – выгораживает своих. Но, когда так же поступили в Узбекистане в Корепановым, в США с Бутом – душонки не хватило их защищать? […] Стало очевидно: Москва боится сильных стран, и предпочитает не замечать проблему.

Rahmon

Россия ведет себя как истеричная женщина. То все ок, то все из рук вон плохо. Эти горе пилоты сидели шесть месяцев, никого это не волновало, и вдруг такая шумиха.

Nablyudatel’

Grand bien vous fasse, Russie, de vous occuper des vôtres. Mais lorsque la même chose est arrivée en  Ouzbékistan avec [Yuri] Korepanov ou aux États-Unis avec  [Viktor] Bout, avez-vous manqué de courage pour les défendre ? […] C'est devenu évident : Moscou craint les pays puissants et préfère ne pas attirer l'attention sur le problème.

Rahmon

La Russie se comporte comme une femme hystérique. Tout va bien une seconde et l'instant d'après, tout va affreusement mal. Ces pauvres pilotes ont été incarcérés pendant six mois et personne ne s'en est soucié mais maintenant il y a tout cet émoi soudain.

Certains blogueurs affirment que la Russie utilise les mêmes méthodes de résolution des problèmes qu'elle a déjà utilisées avec la Géorgie ou avec l'Ukraine sous  Ioushchenko : d'abord, on s'indigne de “ce flagrant mépris pour les normes internationales” puis on prend des mesures “disproportionnées”.

On peut constater un lien entre ces événements et les prochaines élections. Le rédacteur en chef de  Ferghana, Daniil Kislov, a commenté les faits sur son blog personnel sur le site de la station de radio Ekho Moskvy.

Еще отвратительнее то, что отчеты о массовой депортации подозрительно смахивают на заигрывание с ксенофобски настроенной публикой в рамках начавшейся предвыборной кампании.

Ce qui est encore plus dégoûtant, c'est que les compte-rendus sur les expulsions massives se sont bizarrement mélangés à des essais pour courtiser les électeurs xénophobes dans le cadre d'une campagne préélectorale.

Dilshod est même allé plus loin dans ses remarques et a écrit qu'il ne serait pas surpris si  “Rahmonid [le Président du Tajikistan: Emomalii Rahmon] s'avérait être le codirecteur de cette farce intitulée “Sauver le soldat Sadovnichy”.

L'analyste économique Boris Grozovsky n'est pas d'accord sur le fait que les expulsions des Tadjiks soient en quelque manière liées à la campagne préélectorale mais il reconnaît [russe] que les autorités russes ont usé de l'un des moyens les plus immoraux pour riposter contre le Tajikistan et ce, en dépit de l'existence dans le monde politique  d’ “un large arsenal de réponses aux actions stupides d'un autre État”.

Motifs occultes

Il y a au moins deux autres raisons supposées au scandale autour des pilotes et de l'expulsion des Tadjiks. Selon la première version; proposée par l'analyste Innokent Adyasov, en condamnant les pilotes, le Tadjikistan essaie de “faire en sorte que la Russie reconsidère sa position sur la construction du barrage de Rogun, le projet préféré d'Emomalii Rahmon”.

Selon la seconde version, publiée dans Izvestiya [russe], “les pilotes sont devenus les otages de ‘raids internationaux’ et d'opérations louches auxquelles les propriétaires de la compagnie aérienne ont eu recours pour frauder le fisc”.

Dans l'état actuel des choses, une grande partie de la société ne peut que faire des suppositions sur les véritables mobiles de ce scandale. Cependant, l'indignation autour de “l'affaire des pilotes” a joué en faveur de ces mêmes pilotes : le 16 novembre, un communiqué de presse [russe] a été publié, en lequel le procureur général de la province de Khatlon au Tadjikistan a critiqué la peine prononcée à l'encontre des pilotes, la qualifiant de exagérément sévère. Et une fois encore, on a vu apparaitre des signes d’ interférences :  le Procureur de la République avait d'abord demandé au tribunal de faire passer la sentence à 13 ans puis s'est aligné sur la position du juge.

On ne sait pas encore clairement comment cette histoire se terminera. Néanmoins, on aimerait espérer que cela ne finira pas par avoir des conséquences sur les pilotes incarcérés ou sur les immigrés tadjiks sans papiers.

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