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Brésil : Amende maximum et silence médiatique sur la marée noire provoquée par Chevron

Catégories: Amérique latine, Brésil, Equateur, Catastrophe naturelle/attentat, Economie et entreprises, Environnement, Média et journalisme, Politique

Le 7 novembre, la plateforme pétrolière Frade, exploitée par la société de forage américaine Chevron-Texaco, commençait à perdre du pétrole brut. La plateforme est située à Bacia de Campos, à 350 km au nord de Rio de Janeiro. Ce lundi 21 novembre, Chevron a été condamné à payer l’amende maximale, dont le montant est fixé par l’IBAMA [1] [en anglais] (Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles renouvelables), soit 50 millions de réais (environ 20 millions d’euros).
La fuite semble maintenant sous contrôle [2] [en anglais], mais Chevron doit fournir des explications complémentaires dans les prochains jours. Parallèlement, la faible couverture médiatique accordée à l’événement a conduit de nombreux blogueurs à critiquer le manque de sérieux des journalistes face aux conséquences de cette catastrophe pour l'environnement.

Chevron's oil spill in Bacia de Campos, November 18, 2011. Photo by Rogério Santana, Government of Rio, for release

La marée noire causée par Chevron à Bacia de Campos, 18/11/2011. Photo de R. Santana, gouvernement de Rio, pour reproduction.

“Le silence est criminel”

Le journaliste Fernando Brito, sur le blog du député fédéral Brizola Neto Tijolaço [3] [portugais], fait part de sa décision de “nager contre le courant médiatique”, qu'il perçoit comme la reproduction pure et simple des communiqués de presse de Chevron. Il s'est engagé dans un travail d'investigation sans relâche pour tenter de faire la lumière sur l'affaire, et est parvenu à produire en seulement deux semaines 25 billets comportant des révélations. Quelques temps après, il a énuméré dans une interview [4] [portugais] pour le blog de Vi mundo O les signes qui montrent que quelque chose ne va pas dans la couverture des événements par les médias grand public brésiliens :

Primeira: a Chevron-Texaco  demorou para admitir o problema e, quando o fez, foi por uma nota marota, dizendo que havia sido detectado vazamento “entre o campo de Frade e o de Roncador – que é operado pela Petrobras –  quando, na verdade, ele se deu bem próximo de uma de suas plataformas de perfuração, a Sedco706 (…).
Segunda: a história de que falha geológica seria a causa.  É improvável que falhas geológicas capazes de provocar um derramamento no mar não tivessem sido detectadas nos estudos sísmicos que precedem a perfuração.
Terceira: mesmo depois de a presidenta Dilma Rousseff ter determinado em 11 de novembro a investigação rigorosa do caso, a nossa imprensa (…) continuou a dar quase nenhuma importância ao caso da Chevron-Texaco, uma multinacional com boas relações com o senhor José Serra.

Tout d'abord, Chevron-Texaco a été lent à admettre le problème et quand il l'a fait, c'est dans un communiqué brouillon, expliquant qu'une fuite avait été détectée “entre le champ pétrolifère de Frade et celui de Roncador” – qui est exploité par la compagnie Petrobras – alors qu’en fait, elle était située juste à côté d'un de ses appareils de forage, le Sedco706 (…).
Deuxièmement, l'histoire selon laquelle une faille géologique pourrait être la cause de la fuite. Il est peu probable que des défauts suffisants pour provoquer un déversement dans la mer n'aient pas été détectés durant les sondages sismiques effectués avant le forage.
Troisièmement, même après que la présidente Rousseff ait fait ouvrir le 11 novembre une enquête rigoureuse sur l'affaire, notre presse (…) a continué à donner une faible, voire aucune, importance à l’implication de Chevron-Texaco, une société multinationale entretenant de bonnes relations avec M. José Serra. [Gouverneur et maire de São Paulo [5], ancien candidat à la présidence de la république brésilienne].

L'économiste Pedro Migão, du blog Ouro de Tolo, pour conforter ce troisième point, reprend [6] un billet qu'il a lui-même écrit l'année dernière sur les “révélations de Wikileaks [7]” :

sobre o lobby que as petrolíferas americanas estavam fazendo junto a setores da imprensa e a políticos do PSDB para terem o controle do pré sal – que é a última fronteira petrolífera mundial.

au sujet du lobbying pratiqué par les compagnies pétrolières américaines auprès des médias et des politiciens du PSDB [8] [Parti social-démocrate] pour prendre le contrôle de la pré-sel [9] [zone maritime qui contient d'importantes ressources pétrolières] – qui est la dernière frontière pétrolifère au monde.

Le débat [10][portugais] sur les risques environnementaux du forage en mer était engagé quand Greenpeace Brésil a commencé à répandre le hashtag #VazaChevron (déversement Chevron, un jeu de mots signifiant aussi “Dégage Chevron”), et lancé une pétition [11][portugais] contre le forage pétrolier prévu par Chevron dans la région Abrolhos, une zone protégée de l'État de Bahia.


Greenpeace Brésil exhorte Chevron à plus de transparence sur les causes et les effets de la marée noire.

Valéria Müller (@ valeria47), tweeteuse de Porto Alegre, écrit [12][portugais] :

Quando se tem dinheiro, dá até pra derramar petróleo no mar que não vira notícia. Taí a Chevron-Texaco pra provar isso. #VazaChevron [13]

Lorsque vous avez de l'argent, vous pouvez même déverser du pétrole dans la mer sans que ça devienne une information. Chevron-Texaco est là pour le prouver. #VazaChevron

Sur Twitter, nombreux sont ceux qui ont aussi commenté le montant de l'amende, qui représente à peu près “une demi-journée de bénéfices [14]” [en anglais] pour Chevron, comme Mirinho Braga (@mirinhobraga), maire de Buzios, qui demande [15] :

A Chevron polui nosso mar… o IBAMA multa em milhoes a empresa. Os pescadores q são prejudicados recebem o que?

Chevron pollue notre mer… IBAMA a fait payer des millions à l’entreprise. Les pêcheurs lésés reçoivent quoi ?

Chevron's logo with an oil spill. Shared on the blog Tijolaço.

Logo Chevron tâché par du pétrole. Partagé sur le blog Tijolaço.

Face aux “antécédents frauduleux [de Chevron] en Équateur lors d’une catastrophe pétrolière encore plus importante”, des militants ont fait part de leur solidarité et de leur prise de conscience [16] [en anglais], depuis ce pays, où les forêts ont également été contaminées par des écoulements provoqués par la même entreprise, faits déjà rapportés cette année par Global Voices [17][en français].

Mercredi 23 novembre, Chevron devait donner des explications supplémentaires sur l'origine de la catastrophe au cours d’une audience publique de la Commission de l'environnement du sénat, en présence du ministre de l'environnement Izabella Teixeira, du ministre des mines et de l'énergie Edison Lobao, des représentants de l'Agence nationale du pétrole (ANP) et de l'IBAMA.

Au moment où cet article était publié au Brésil, Fernando Brito, évoquant dans son dernier billet [18] “le pari sur les risques” de Chevron, laissait une question en suspens :

Um carro não bate por estar em velocidade imprudente, mas esta é o contexto que facilita a ocorrência do acidente.

No caso do autmóvel, porém, isso é motivo para ter a habilitação cassada. A Chevron-Texaco vai perder a carteira?

Une voiture ne percute pas un obstacle parce qu’elle va à toute vitesse, mais c'est un contexte qui facilite l'accident.

Dans le domaine routier, c'est une raison de retrait de permis. Est-ce que Chevron-Texaco va perdre sa licence ?