Madagascar : L'investissement étranger direct en débat

Alors que Madagascar tente de trouver une issue à la crise politique prolongée, les blogueurs de ce pays débattent de l'intérêt des investissements étrangers directs (IED). Les avis ont divergé depuis qu'un accord foncier avec l'investisseur coréen Daewoo a été en butte aux critiques au point d'être partiellement à l'origine de la crise actuelle.

De nombreux Malgaches sont convaincus que Madagascar, comme beaucoup de pays d'Afrique est riche de ressources naturelles mais a souffert de la mauvaise gouvernance et de l'inégalité des échanges. Il y a dix ans, The Economist étiqueta l'Afrique “le Continent sans espoir”. Sa dernière livraison met en lumière la croissance rapide du PNB de nombreux pays africains [en anglais]. Pour autant, la croissance ne se fait pas sentir de façon égale à travers le continent. De fait, les projections établissent pour Madagascar une des croissances les plus faibles de toute l'Afrique [en anglais].

De plus, la capitale Antananarivo et d'autres villes connaissent actuellement de fréquentes coupures d'eau et d'électricité qui exaspèrent la population. La situation actuelle est l'une des raisons pour lesquelles Antananarivo figure dans les derniers rangs mondiaux du classement Mercer 2011 de la qualité de vie [en anglais].

Enlisée dans un bourbier politique qui n'en finit pas, la blogosphère malgache s'efforce d'éloigner le débat d'une solution politique pour le réorienter vers la relance d'une économie qui chancelle depuis trois ans.

Evaratra in Madagascar. Photo credit to Lalatiana on the Madagoravox blog

Evaratra, Madagascar. Crédit photo Lalatiana sur le blog Madagoravox

L'IED doit être au service des Malgaches

Les cessions de terres ont été présentées en long et en large à Madagascar comme une voie pour sortir de la pauvreté ;  le contrat avorté avec Daewoo a été l'affaire la plus médiatisée, mais des marchés similaires ont été mis en oeuvre sans guère d'hésitations ou de réactions.

Le bien-fondé des accords en rapport avec les richesses minières de Madagascar a été récemment débattue par les spécialistes malgaches.

Blaise Stephen travaille à la Chambre internationale de Commerce et d'Industrie de Madagascar. Il a donné libre cours à son mécontentement devant l'immobilisme actuel du système politique de Madagascar, selon lui le principal barrage à une coopération multilatérale plus poussée avec les investisseurs étrangers :

Nous sommes actuellement en cours de création d'une relation commerciale sur le LONG TERME qui sera bénéfique pour les Entreprises de Madagascar entre notre pays Madagascar et le Koweït. L'objectif de cette coopération Étatique serait de mettre en place une ligne de trésorerie (emprunt) de 3 milliards de dollars (voire plus) sur 5 ans avec une mise a disposition immédiate de 1 millard de dollars (encaissement immédiat) que nous pourrions investir dans les activités a forte rentabilité de notre grand pays Madagascar (Activités d'INVESTISSEMENT et non de fonctionnement) [..] .La négociation concernant la mise en place de cette ligne de trésorerie serait la suivante : … 1) Un emprunt de notre État Madagascar a un taux de remboursement a 3,4 %…2) Pret aux Entreprises de Madagascar a un taux de 5,6% ce qui permet de casser le fonctionnement des banques de Madagascar qui prêtent a un taux de 18,20% sur des durées relativement courtes

Réagissant à ce billet, Ndimby, demande dans la section des commentaires :

Pourriez-vous m'expliquer pourquoi vous rêvez devant un emprunt à 3,4% alors que vous n'arrêtez pas de critiquer les institutions de Bretton Woods qui prêtent pourtant à des “taux concessionnels” de 0,5% ?

A quoi, Blaise Stephen rétorque :

La question n'est pas d'aimer ou de ne pas aimer les institutions de Bretton Woods mais de juger de leur efficacité dans le processus de développement économique et social pour un pays comme Madagascar…Il faut savoir que ces Institutions ont mis en faillite des pays comme la Russie ou l'Argentine. .et il faut se poser la question : Pourquoi une Institution sensée sortir les pays de la galère, les enfoncent encore un peu plus? [..] Non seulement elles ne te donnent pas la totalité de ton prêt en un seul versement mais se permettent d'apprécier la gestion des affaires courantes des Etats…En règle général, le rôle d'un préteur est de s assurer que son débiteur le rembourse correctement son prêt, il ne va pas s'immiscer dans la vie privée de son client…Ces institutions se permettent d'apprécier la politique générale des Etats et de donner des leçons quant a la gestion de leur affaires publiques avec une arme redoutable la SUPPRESSION DES VERSEMENTS ATTENDUS…Bizarrement cela fini toujours par la suppression des versements attendus : non seulement tu ne peux plus continuer tes travaux de développement, mais tu rembourses pour de l'argent que tu n'as pas reçu…C'est la raison pour laquelle je préfère emprunter a 3,4% en sachant que les liquidités sont directement disponibles

Ndimby conclut l'échange sur l'origine de l'argent :

Ce que vous dites à la fin de votre démonstration me semble être résumable en un point : l'argent n'a pas d'odeur. Peu importe d'où il vient, à quoi il sert et le contexte dans lequel vous l'utilisez, pourvu que “vous le remboursiez en temps et en heure” [..] sans conditionnalités apparentes telles que vous le souhaitez. Mais je doute que finalement ces prêts soient innocents et effectués pour “l'amour de l'humanité”

Une terre riche de ressources naturelles, gangrenée par la corruption

Ce à quoi Ndimby fait allusion, c'est le danger de prêts sans conditionnalités ou l'absence de transparence sur l'usage des fonds investis.
Perspectives économiques en Afrique résume la situation économique actuelle :

L’environnement politique demeure instable. Dans ce contexte, les partenaires émergents représentent une opportunité pour Madagascar. La Chine n’a pas reconnu le gouvernement malgache actuel, mais plusieurs de ses entreprises continuent de signer des contrats avec lui. En 2010, le groupe chinois Wuhan Iron and Steel Co (WISCO) a versé une avance de 100 millions USD pour une concession portant sur l’extraction de minerai de fer. Si les gisements se révèlent aussi vastes qu’il l’espère, il pourrait y investir 8 milliards USD, ce qui serait, de loin, le plus gros investissement direct étranger (IDE) effectué à ce jour à Madagascar. Ce pays, où la corruption est omniprésente, devra réussir à transformer cette opportunité en développement.

Comme déjà mentionné, l'absence de règles et de structures claires pendant l'actuelle période transitoire est une forte incitation à la corruption sous toutes ses formes. Dans cet article, Franck R. en donne des exemples récents :

A Madagascar, notamment sous ce régime transitoire, on aime trop prendre son temps. Et on aime aussi s’enrichir… rapidement. [..] ces véhicules de l’UNICEF confisqués par des politiques, la scandaleuse richesse, en l’espace de quelques mois, d’un célèbre affairiste de la place qui a acquis un immeuble sis à Antanimena, un gros paquet d’actions de Madarail,[..] Il n’est pas le seul à profiter de la transition pour se faire du fric. Ainsi va la transition.

Ndimby conclut sur le lien entre corruption et crise politique :

C’est ce genre de mentalité, qui tente systématiquement de cacher la réalité et de détourner l’attention des insuffisances du clapier en matière de gestion publique qui fait que la crise perdure. A force de se complaire dans le subterfuge et la superficialité ; à force de prétendre qu’un coup d’État est une oeuvre de salut public ; à force d’insinuer qu’un régime qui ne tient que par la répression et la corruption est soutenu par l’ensemble du peuple ; il ne faut pas s’étonner que la reconnaissance internationale ait patiné pendant plus de deux ans et que la réconciliation nationale dérape périodiquement.

L'unanimité semble se faire chez les blogueurs malgaches que l'investissement étranger direct ne vaut que par la transparence qui en accompagne la réalisation. Sinon, il ne fait que s'ajouter aux exemples trop communs d'argent dilapidé qui profitera aux dirigeants africains corrompus.

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