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Pérou : Déclaration d'état d'urgence à Cajamarca

Catégories: Amérique latine, Pérou, Manifestations, Médias citoyens, Politique

[liens en espagnol sauf mention contraire] Suite aux événements de la semaine passée [1] [fr] à Cajamarca concernant la grève de protestation contre le projet minier Conga, la Présidence du Conseil des Ministres a appelé, samedi, au dialogue [2] avant l'ultimatum du représentant du Front de Défense environnementale, Wilfredo Saavedra Marreros, lequel a laissé  trois jours au gouvernement pour déclarer la non-viabilité [3]du projet Conga. Ce dialogue a été accepté [4] par la Présidence et dimanche, les négociations ont débuté [5].

Toutefois, les deux camps ont maintenu [6] leurs positions intransigeantes : la non-viabilité du projet Conga du côté des représentants du Front de Défense et la levée de la grève du côté du gouvernement. Finalement, après neuf heures de discussions, la journée de dialogue s'est achevée [7]sans qu'aucun accord n'ait pu être trouvé, c'est pourquoi la grève qui dure depuis plus de 10 jours s'est poursuivie. Mais, comme on l'avait déjà  laissé entendre auparavant [8], le Président Humala a ensuite déclaré [9]l'état d'urgence dans quatre provinces de Cajamarca : Celendín, Hualgayoc, Contumazá et Cajamarca, ce qui a entraîné la fin de la grève. Selon le Premier Ministre, la mesure vise à [10] prendre des précautions avant que ne s'achèvent les 72 heures d'ultimatum données.

Selon [11] la Constitution du Pérou, en cas d’ état d'urgence, “l'exercice des droits constitutionnels relatifs à la liberté et à la sécurité des personnes, l'inviolabilité du domicile, la liberté de réunion et de circulation sur le territoire peut être restreint ou suspendu .”  Luis Alberto Chávez dans son blog Polithika ne croit pas [12] en la matière que l'état d'urgence équivaut à une militarisation du conflit :

Ce n'est que dans une situation de paix sociale qu'il est possible d'étudier la viabilité du projet minier Conga, projet dont l'Etude d'Impact environnemental (EIA) a été approuvée par le précédent gouvernement et est remise en question. Le pays a besoin d'investissements privés mais pas au prix d'effets négatifs et irréversibles sur l'environnement. Il convient, en conséquence, de revoir l'EIA et de faire de nouvelles études. […] L'état d'urgence génère, de toutes façons, une situation de tension qui requiert un haut sens des responsabilité de la part tant des forces gouvernementales que des  agitateurs sociaux afin qu'il n'y ait pas de débordements. Pour le bien du pays, personne ne souhaite d'effusion de sang.

Mais, comme il fallait s'y attendre, le  blog du Front de Défense environnementale de Cajamarca adopte une position contraire, soutenant [13]que “le Président Humala Tasso a décidé de mettre en pratique son vrai programme gouvernemental, à savoir,  la continuité néolibérale”:

Avec cette décision du gouvernement de “concertation nationale”, on a mis fin à l'espoir déjà faible que beaucoup de gens nourrissaient encore de voir un quelconque “changement”. La droite a demandé la répression et le gouvernement la lui a servie sur un plateau d'argent.  […] Mais les habitants de Cajamarca, dans leur  grande majorité, sauvent la dignité de leur Histoire , laquelle consiste en de grandes luttes démocratiques et patriotiques conduites par des dirigeants populaires. La lutte peut assurément tolérer un obstacle sur son chemin mais non la défaite de ceux qui baissent la tête devant les puissants. Démocratie : oui, dictature : non ! Vive le peuple de Cajamarca, à bas l'état d'urgence et les traîtres!

Andrés Caballero du blog Red Verde Cajamarca [14] partage ses impressions ainsi que quelques photos des mobilisations de dimanche à Cajamarca :

La compagnie minière Yanacocha a recommencé à faire des siennes. Elle a sorti,  bien protégés bien sûr par la police,  ses ouvriers vêtus de polos blancs qui ont brandi des écriteaux pour réclamer qu'on les laisse continuer à polluer Cajamarca tandis que leurs patrons depuis un restaurant du centre-ville et de leurs portables contrôlaient au minimum le mouvement.

La présence de milliers de policiers, de militaires et de francs-tireurs n'a pas surpris les habitants de Cajamarquinos, lesquels, lorsqu'ils ont appris la présence du Président du Conseil des Ministres à  Cajamarca, sont descendus dans la rue, organisant un défilé coloré, populeux et attrayant.

Si vous souhaitez voir d'autres photos, vous pouvez consulter les billets qui ont été mentionnés ainsi qu’un billet [15] du blog “Mariátegui, la revista ” et un compte-rendu graphique de La Nueva Prensa [16]. Du côté des médias de Lima, quelques journalistes tout comme le parlementaire Javier Diez Canseco estiment que [17] l'exécutif gère mal la situation, d'autres réclament [18]une présence plus importante du gouvernement, reprochant à la droite d'agiter le tissu social ou donnent le détail [19]des pertes et profits non obtenus en raison de l'attitude radicale adoptée face aux compagnies minières.

Depuis Lima, la journaliste  Jacqueline Fowks, du blog “Notas desde Lenovo”, invite [20] non seulement à la réflexion sur le sujet avec cette phrase: “Physiquement, Lima est à  861 kilomètres de Cajamarca mais […] la distance entre la capitale et le département  épasse de loin ces 861 kilomètres” mais attire l'attention sur quelques détails peu connus de la négociation ratée de Cajamarca :

Bien que le Président du Conseil des Ministres ait nié dans un communiqué de presse  avoir conditionné la signature de l'acte à la levée de la grève, une déclaration de celui-ci montre que lorsqu'on leur a demandé du temps pour examiner le sujet, ils ont refusé de l'accorder [10] (voir la vidéo , à 26” ). […] Des leaders d'opinion, dont des conseillers externes de  Yanacocha comme Sandro Venturo et des citoyens ont décrié cette demande de temps pour consulter “la base”, remettant en cause la représentativité des interlocuteurs. […] On sait que dans les organisations qui ne sont pas de la capitale, c'est-à-dire les organisations andines, amazoniennes voire même métisses, seuls les représentants peuvent prendre une décision sur ce qui a été au préalable discuté. Dans le cas contraire, si le dirigeant adopte une position sans consultation préalable, ceci est considéré comme une mauvaise pratique.

La situation à Cajamarca est perçue différemment selon la position de chacun. Ces derniers jours, les commerçants locaux se sont davantage manifestés dans les médias, en particulier à la télé et sur les radios de la capitale,  se plaignant des préjudices occasionnés par la grève. Les organisations et les citoyens, eux, se sentent intimidés par cet état d'urgence du fait des très nombreux effectifs de policiers et militaires [21] arrivés ces derniers jours dans le département.

Puis, elle dénonce un fait inquiétant et commente la couverture faite par les médias du conflit à Cajamarca:

Il est intéressant de savoir que le chargé de communication de la compagnie Yanacocha, Roberto del Águila, a demandé à Víctor Urquiaga [22], membre d'une entreprise de monitoring et de conseil médias, qu'il l'aide à rédiger les titres des journaux Expreso et Correo le mardi soir, peu avant que le Président Humala et le gérant de Yanacocha, Carlos Santa Cruz, annoncent la suspension du projet Conga. […]

Le lendemain, voici quels étaient les gros titres de l'Expreso: “Face aux actes de violence des “Fronts de Défense” régionaux, des ultras et de la gauche caviar” “Le projet Conga est suspendu.” De son côté, le journal  Correo titrait ainsi [23]: “L'irrationalité triomphe de nouveau” Ils baissent les bras avec le projet Conga” “Yanacocha jette l'éponge sur la demande d'un gouvernement timoré.”

Le droit des habitants de Cajamarca de protéger leurs ressources et de vivre dans un environnement sain (chose qu'ils ont perdue dans la province de Cajamarca depuis l'arrivée de la compagnie Yanacocha dans les années 90) a été présenté dans les médias en général de manière déformée et ces mêmes habitants ont été divisés en deux camps extrêmes. D'un côté, il y a ceux qu'on  accuse d'être de “pauvres manipulés” par les extrémistes, qui ne veulent pas du développement et veulent demeurer pauvres. De l'autre il y a ceux qui en ont assez des mauvaises pratiques de la compagnie minière, qui se défient d'elle et se sentent trahis par le Président  Humala (passant de la priorité qu'est l'eau à celle  “de l'eau et de l'or” tout à la fois)

Bien que l'on rapporte [24] qu'à Cajamarca la situation s'est apaisée [25] et que divers secteurs politiques de Lima ont donné [26]leur approbation à la déclaration d'urgence, on ne sait pas encore très bien quelles seront dans les prochains jours les actions du Front de Défense et des autres militants.

Ce billet a été publié à l'origine dans le blog personnel de Juan Arellano [27] le  5 décembre 2011.