Malgré des températures de -20°, les Russes ont investi les rues par milliers pour manifester contre les élections. Nombre d'entre eux, organisés sur internet, protestaient contre le processus électoral actuel et la possibilité de réélection du premier ministre Vladimir Poutine. Les autres, en partie mus par les pressions et des espèces sonnantes et trébuchantes autant que la crainte d'éventuelles révolutions, ont manifesté pour que Poutine demeure.
Bolotnaya contre Poklonnaya
Des rassemblements nombreux ont eu lieu dans pratiquement toutes les grandes villes de Russie, contestataires pour la plupart. Ridus.ru a compilé une liste de reportages photos de différentes villes à travers le pays: Barnaoul, Saint-Pétersbourg (1), Omsk, Iékaterinbourg, Moscou (1, 2, 3), Kemerovo, Ivanovo, Perm, Tambov, Irkoutsk, Tcheliabinsk. A Moscou, la manifestation anti-Poutine a débuté par un défilé qui a abouti place Bolotnaya. Les pro-Poutine se sont rassemblés sur le mont Poklonnaya.
Les manifestants portaient, à côté de placards faits main, des rubans et des ballons blancs. A Moscou, un lâcher de ballons blancs a clôturé la manifestation tandis que le chanteur populaire Iouri Chevtchyouk chantait “Terre natale” (l'enregistrement est ici [en russe])
De nombreuses pancartes de manifestants s'inspiraient de mèmes internet ou de propos de Poutine ou de ses alliés qui ont circulé en ligne pour leur hypocrisie, leurs fautes de grammaire, ou leur absurdité pure et simple. La plupart étaient faites maison avec une grande créativité, contrastant fortement avec le style soviétique des affiches de soutien à Poutine au rassemblement de Poklonnaya (voir le reportage [en russe]).
Il y avait à la manifestation pro-Poutine de Moscou des partisans sincères de Poutine et de sa version de la stabilité. Mais plusieurs cas de subornation et de coercition en nombre ont été rapportés (1, 2). Selon des amis de l'auteur, les employés de services financiers publics ont été mis devant le choix suivant : être licenciés ou aller à la manifestation et toucher une petite prime (selon la source le tarif variait de 500 à 1.000 roubles).
L'utilisateur de YouTube Bandarlog20120204 a mis en ligne une vidéo filmée sur l'avenue Koutouzov (près du mont Poklonnaya), où on voit une dame distribuer de l'argent à des gens. Quand elle s'est aperçue qu'elle était filmée, elle a voulu s'enfuir, provoquant la colère parmi ceux qui n'avaient pas réussi à obtenir leur ‘compensation’ pour leur participation.
Dialogue difficile entre les mouvements contestataires
Les rassemblements pro-Poutine se composaient essentiellement d'assistances délibérément apolitiques (surtout des syndicats, ONG d'Etat soviétiques). Sur l'autre bord, les manifestations de presque chaque ville se composaient d'au moins quatre groupes principaux : le tout-venant, la gauche (social-démocrates et communistes), les nationalistes et les libéraux. Cette ‘coalition de consensus négatif,’ n'a cependant pas bien fonctionné partout.
La vidéo ci-après donne à voir les difficultés particulières à trouver un terrain d'entente entre libéraux et nationalistes à Saint-Petersbourg. Un militant LGBT à qui on avait donné la parole s'est fait huer. Quand il eut fini, un nationaliste s'est avancé et a commencé à discourir qu'il ne devrait pas y avoir d'[homosexuels] sur le sol russe’, avant d'être vigoureusement hué à son tour et forcé de quitter la tribune en se faisant traiter de ‘Nazi’ et ‘fasciste.’
Le réseau absent
La manifestation terminée, le Centre Levada a publié [en russe] un entretien avec le sociologue russe renommé Boris Doubine, qui décrit en détail la différence entre le mouvement “For Fair Elections” (FFF, ‘Pour des élections honnêtes”) et ses prédécesseurs :
Лет пятнадцать, наверное, как ничего похожего по скорости сплочения людей не было. Мы давно понимали, что есть 15-20, а по некоторым вопросам и 25 процентов взрослого населения, которые этот режим не принимают. Но это люди разрозненные, у них нет общих символов, нет общих лидеров. Не было понятно, как это меньшинство могло себя проявить. И вот оказалось, что в декабре, как, кстати, уже случалось в других странах в 2000-е годы, все завертелось вокруг проблемы «честных выборов», и дальше процесс пошел очень быстро.
Il a distingué trois principaux facteurs d'agitation : 1. C'est une protestation de fond contre le régime socio-politique actuel 2. la conviction que les résultats réels des élections étaient autres 3. le refus du pouvoir d'accepter les citoyens comme des partenaires. Il a aussi noté le niveau inhabituellement élevé de connexion entre les protestataires :
Пришли люди, внутренне связанные, которые реально или хотя бы воображаемо солидарны друг с другом, и им интересно и важно быть вместе. А для большинства российского населения это абсолютно нехарактерно. Все-таки в основном население раздроблено, размазано, людей соединяет только телевизор и убеждение, что, какая бы плохая власть ни была, надеяться можно только на нее. Власть у нас плохонькая, но наша, примерно так большинство населения думает.
Selon les études de M. Doubine, si 15% des Russes sont prêts à participer aux actions de protestation, 44% les approuvent et 40% les condamnent. Doubine a aussi abordé le rôle de l'Internet : 60% de ceux des présents à la manifestation du 24 décembre (appelée manifestation Sakharov) en avaient été informés en ligne, et 30% par leurs collègues mieux connectés. Comme la société russe manque de la plupart des réseaux sociaux conventionnels (comme les communautés ecclésiales, les syndicats, etc) la plupart des gens ne se fient qu'à leur famille ou amis proches.
Bien que Doubine ne parle pas directement du rôle d'Internet, on peut logiquement déduire qu'en absence de réseaux conventionnels, c'est l'internet qui en tient lieu pour unir autant de ‘citoyens en colère’ inorganisés.
Un compte Twitter parodique, @igor_sechin a conclu [en russe], sarcastique :
Страна разделилась. Одна половина – за честные выборы, другая – за честные выборы Путина.