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Espagne : ” Nous avons une mémoire, nous voulons la justice”

Catégories: Europe de l'ouest, Espagne, Droit, Droits humains, Médias citoyens, Politique

Le juge de l'Audience Nationale espagnole, Baltasar Garzón, a été inculpé et s'est vu interdire l'exercice de sa profession [1] [espagnol] pour une durée de 11 ans pour avoir mis sur écoute les conversations entre les accusés et leurs avocats dans le cadre de l'affaire Gürtel et du détournement de fonds publics qui avait écarté de la politique une vingtaine de dirigeants du Parti Populaire (parti de droite au pouvoir en Espagne). Le juge Garzón est aussi accusé de prévarication pour s'être illégalement déclaré compétent dans l'enquête sur les crimes commis durant la Guerre civile d'Espagne et le franquisme. Dans ce contexte, médias internationaux, hommes politiques [2] et des centaines de citoyens [3] [es] ont manifesté leur indignation et leur surprise suite à cette condamnation.

Peu après avoir entendu la lecture du jugement, le juge Garzon en personne a déclaré qu'il était en désaccord avec cette condamnation dans le communiqué de presse suivant : “Je refuse catégoriquement la condamnation dont j'ai été informé aujourd'hui” [4].

L'ancien député Federico Mayor Zaragoza [5] (voir note en bas de page) a accepté de donner une interview sur l'affaire. Etant donné qu'il est une personnalité publique espagnole importante qui soutient activement le mouvement social #15M (les Indignés), nous reproduisons ici cet interview :

Les Espagnols, la presse, y compris la presse étrangère, n'arrive pas à croire à l'interdiction d'exercer de 11 ans à laquelle a été condamné le juge Garzon, magistrat de l'Audience Nationale. En un mot, que pensez-vous de cette condamnation ?

Je pense qu'elle est regrettable. Comme je l'ai déjà dit à plusieurs occasions, je le répète aujourd'hui, je ne me suis jamais battu pour un Etat de droit mais pour un Etat de justice. Et la loi qui permet à une entité indigne et anti-démocratique d'accuser le juge qui a réussi à faire sortir ces affaires louches doit être modifiée radicalement et de manière urgente.

Croyez-vous qu'il est logique que  plus de 40 ans après la fin du franquisme, personne n'ait ouvert une enquête impartiale sur les crimes du franquisme, comme cela a été fait dans d'autres pays comme l'Allemagne, l'Argentine, le Chili, etc ?

C'est complètement illogique. La mémoire historique est indispensable pour assurer l'existence d'une démocratie authentique et la dignité de tous les citoyens sans exception. C'est une honte que l'on continue à empêcher de faire toute la lumière sur ce qu'il s'est passé. Hier, les manifestants qui soutenaient Garzon scandaient : “Nous avons une mémoire, nous voulons la justice.” Comme ils ne veulent pas que justice soit faite, ils nous empêchent de nous souvenir.

Le juge Garzon a été acclamé par la moitié du monde quand il rassemblait les premiers éléments contre Augusto Pinochet (ancien dictateur du Chili aujourd'hui décédé) et les crimes de la dictature chilienne. Applaudit-on, dans ce pays, les actions menées à l'étranger alors même que l'on ne voit pas, ou ne veut pas voir, les injustices dans le pays ?

Le juge Garzón jouit déjà d'un prestige absolument inédit à l'échelle internationale.  Je bénéficie aujourd'hui d'une expérience  qui me permet d'assurer que le prestige du juge Garzón ne sera pas terni par cette sordide décision hispanique.

La version originale de l'interview est disponible ici [6] [en espagnol].

*Federico Mayor Zaragoza : Sous-secrétaire au Ministère espagnol de l'Education et des Sciences entre 1974 et 1975, député centriste (Union du Centre Démocratique, UCD) au Parlement espagnol (1977-1978) au moment de la transition démocratique, Conseiller du président du gouvernement (1977-1978), Ministre de l'Education et des Sciences (1981-1982) et député au Parlement européen (1987) puis Directeur Général Adjoint de l’UNESCO [7] durant deux mandats. Il préside en ce moment la Fondation Culture de Paix [8] [es] et appartient au Comité d'appui d'ATTAC [9] [es].