Haïti : Non-lieu pour Duvalier, une décision qui ne passe pas

(Le billet d'origine a été publié le 21 février 2012)

Fin janvier 2012, le juge d'instruction qui a examiné les charges de violations de droits humains contre le dictateur haïtien déchu Jean-Claude “Baby Doc” Duvalier, a statué que celles-ci “étaient prescrites”, sans qu'apparemment cela soit le cas pour ses détournements de fonds publics.

Les Haïtiens, tant sur l'île que dans la diaspora, ont vu s'envoler les charges les plus graves contre le dictateur autrefois redouté, qui va se retrouver devant la justice pour se faire, selon l'anticipation générale, seulement taper sur les doigts pour infraction financière. Amnesty International, qui a présenté les preuves des violations de droits humains sous le règne de Jean-Claude Duvalier, crie au scandale après ce jugement. Les blogueurs refusent pareillement de passer l'éponge.

La réaction des Haïtiens au non-lieu de Duvalier est la mieux dépeinte sur flickr, avec un portfolio intitulé “Protestation contre la décision Duvalier”, de Etant Dupain, qui y joint des commentaires avertis sur le contexte de l'affaire :

A Country Without Justice is a Car Without Headlights, Haitians Protest Controversial Decision on Duvalier

"Un pays sans justice est une voiture sans éclairage", Manifestation de Haïtiens contre le non-lieu controversé pour Duvalier

Le 7 février 2012, des dizaines de Haïtiens se sont rassemblés devant le Ministère de la Justice en une manifestation organisée par plusieurs mouvements de la société civile, pour réclamer justice dans l'affaire Jean-Claude Duvalier. Après trente années de pouvoir dictatorial de la famille Duvalier, une ère sous le signe de l'oppression, des violations massives des droits humains, meurtres, disparitions et de la violation absolue des droits fondamentaux des Haïtiens, une rébellion populaire a forcé J.C. Duvalier à fuir le pays le 7 février 1987, il y a 25 ans de cela. La semaine dernière un juge a pris la décision controversée de ne pas poursuivre Duvalier pour ses crimes contre l'humanité. Cette décision est maintenant en appel en Haïti et examinée par les organisations de défense des droits et la communauté internationale.

HAITI Land of Freedom (‘Haïti Pays de Liberté’) a vu dans la décision du juge un déni flagrant des crimes contre l'humanité de Duvalier, relevant que :

Les mouvements de droits de l'homme ont critiqué la décision et la disent injuste et à motivations politiques.

Le blogueur a aussi souligné que :

La Haut-commissaire de l'ONU pour les Droits de l'Homme Navi Pillay a été déçue d'apprendre la décision. Mme Pillay a demandé aux hauts responsables haïtiens l'assurance que l'ex-dictateur sera poursuivi pour crimes internationaux.

War Crimes, Crimes Against Humanity Have No Remedy

Pas de prescription pour les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité

Cet article de Haiti Press Network a donné un aperçu plus cru de l'effet qu'ont eu ces crimes sur le peuple haïtien :

Nous les survivants et survivantes de la dictature Duvalier qui avons payé très cher ce droit collectif à la liberté d’expression et d’association, dont nous jouissons tous aujourd’hui. Nous qui nous sommes trop longtemps tus, voulant oublier des blessures, complices involontaires de l’impunité, nous disons aujourd’hui c’est assez, lit-on dans un document distribué à la presse.

Juger Duvalier et ses sbires, poursuit-on, pour les meurtres, les tortures et les exécutions commis alors qu’il était chef suprême du pays, de son armée et de ses milices, est la seule garantie que demain, ces libertés et nos droits fondamentaux seront respectés par ceux qui prétendent nous gouverner.

Justice for the 30,000 Victims of Duvalier; He must Be Judged

Justice pour les 30.000 victimes de Duvalier, il doit être jugé

La décision a soulevé un tel tollé qu'il s'est même créé sur Facebook un groupe de discussion ouvert à son sujet, appelé “Justice pour les victimes de Jean Claude Duvalier”. Twitter a aussi été un forum actif de discussion ; certains ont montré le doigt d'honneur virtuel de l'ex-dictateur, tandis que d'autres mettaient en cause le niveau de responsabilité en Haïti.

Perspicace ? @RPrestonT a tweeté :

@durandis: A mon avis, les Haïtiens ne voient plus #Duvalier comme le plus gros problème puisque ses successeurs ont fait pareil ou pire

Bien entendu, l'ex-dictateur a lui aussi tweeté sa vision des choses, ici.

The Justice System Must Arrest, Judge & Condemn Jean Claude Duvalier, Criminal

Le pouvoir judiciaire doit arrêter, juger et condamner Jean Claude Duvalier, Criminel

La blogueuse de la diaspora Elsie a été révoltée par la décision :

Soit exactement 26 ans que le peuple haïtien se démène tout seul pour se libérer de la politique indigne, violente et méprisable de l'extrême-droite et des duvaliéiristes.

et a publié une vidéo montrant…

Des militaires qui se mettent gratuitement à donner des coups de baton, à une femme habillée en blanc. Une femme sans défense dont le seul tort est de marcher dans la rue à ce moment là.

…d'où sa question :

Qui a dit que le crime ne payait pas?

Elsie a aussi écrit un billet [en créole] s'interrogeant sur les relations entre Martelly et Duvalier :

Ayisyen aletranje mèt pare kor yo pou yo pran plis bafl pi devan si yo pa fè makaj sere sou tandem Sweet Michey-Baby Doc sa a…komanse poze tèt nou si se pa Jean-Claude Duvalier k'ap dirije Ayiti par lentèmedyè Sweet Mickey.

Haïtiens à l'étranger préparez-vous à prendre plus de baffes si on ne regarde pas plus sérieusement le tandem Sweet Mickey-Baby Doc…commençons à nous poser la question si ce n'est pas Jean-Claude Duvalier qui dirige Haïti par l'intermédiaire de Sweet Mickey.
Haitian Protesters tell Martelly: Stop Tolerating Criminals in the Country, Duvalier Must be Judged

Les manifestants haïtiens disent à Martelly : Cessez de tolérer les criminels dans le pays, Duvalier doit être jugé

Le blog Mourir à Haïti a publié un texte d'Amy Wilentz qui scrute également ces liens politiques …

Depuis son retour en 2011 de 25 ans d'exil, M. Duvalier — Baby Doc — a réussi à s'insérer dans le demi-monde, et même à resquiller un siège à côté du nouveau président, Michel Martelly, à la cérémonie de commémoration des victimes du séisme de 2010. Le président a attribué de nombreux postes dans son gouvernement à d'anciens responsables duvaliéristes et à leurs familles. En bref, il réhabilite M. Duvalier — et avec lui, le code extrajudiciaire sous lequel lui et son père, François Duvalier, ont gouverné. Le mois dernier, M. Martelly a proposé une amnistie totale pour Baby Doc — qui a été accusé de corruption et de violations de droits humains — déclarant à The Associated Press, ‘Je suis convaincu que nous avons besoin de cette réconciliation en Haiti.’

…pour conclure :

M. Duvalier doit être poursuivi pour ses crimes contre l'humanité. S'ils font l'objet d'un non-lieu, cela enverra un message d'encouragement aux auteurs passés et futurs de semblables violations. S'il est jugé et reconnu coupable, ceux qui se sont reposés sur l'impunité sauront qu'eux aussi risquent de se retrouver au banc des accusés.

Au milieu de ces incertitudes juridiques, une chose ne fait pas de doute : les blogueurs continueront à garder à l'oeil les appels qui ne manqueront pas de suivre ce jugement controversé.

Les photos reproduites dans ce billet sont de Gaetantguevara, et utilisées avec permission. Visitez le compte flickr de Gaetantguevara.
Line Lerus a contribué à ce billet.

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