La Russie montrée du doigt pour sa gestion du sida

(Le billet d'origine en anglais a été publié le 30 décembre 2011)

Le sida est arrivé en Russie après avoir atteint des niveaux épidémiques dans d'autres régions du monde. Pendant l'ère soviétique, les mouvements de population étaient limités, mais cela a changé dans les années 1990. La Russie a enregistré son premier cas de sida en 1987. D'ici la fin du 20ème siècle, il y aura environ 20 000 cas recensés. Selon certaines estimations, le nombre de cas de sida en Russie a doublé chaque année depuis 1998.

L'attention internationale a été dirigée récemment vers le système de santé de la Russie, la stigmatisation des personnes infectées, et les politiques russes relatives à la toxicomanie, ainsi que l'emplacement géographique du pays qui met la Russie entre l'Asie centrale, où l'héroïne est produite, et l’Europe, où elle est vendue.

'Red Ribbon' symbol of solidarity of people living with HIV/AIDS. Image by Flickr user Andy McCarthy UK (CC BY-NC 2.0).

'Le Ruban Rouge' symbole de la solidarité envers les personnes vivant avec le HIV/SIDA. Image de l'utilisateur Flickr Andy McCarthy UK (CC BY-NC 2.0).

Ecrivant pour le Foreign Policy blog, Elizabeth Dickinson avait replacé l'épidémie russe de sida [en anglais, comme tous les liens de ce billet] dans son contexte dans un billet de septembre 2010, intitulé «La Russie a-t-elle un problème avec ​​le VIH / SIDA pire que celui de l'Afrique ? “:

Le directeur du bureau de New York de l'ONUSIDA, Bertil Lindblad, s'inquiète que ce soit la seule région du monde où les infections à VIH sont en augmentation, alors que les taux baissent dans le reste du monde. Ce n'est pas en Afrique ou en Asie, ou même en Amérique latine. C'est en Europe de l'Est – dans des pays comme la Russie et l'Ukraine – où un récent rapport de l'UNICEF montre qu’une augmentation des taux d'infection de 700% a été observée depuis 2006.

“Il y a un besoin urgent d'action rapide pour l'ensemble de la région de l'Asie centrale et d'Europe de l’Est», a dit ce matin Bertil Lindblad. “C'est vraiment assez effrayant compte tenu du fait qu'il y a beaucoup de déni, de stigmatisation et d'homophobie [dans cette région.] Cela pourrait vraiment créer d'énormes problèmes si le VIH continuait de se propager à partir de petits groupes à une population plus large.”

Le monde entier a pris bonne note de l'épidémie comme en témoigne un communiqué de presse sur le blog de la protestation auprès des Ambassades de Russie le 5 décembre 2011, portant sur les manifestations de la Journée mondiale du sida :

Durant la Journée mondiale contre le sida 2011, qui a eu lieu il y quelques jours à peine, les organisations de prévention et de réduction des risques, dirigées par des toxicomanes et soutenues par le Réseau International des consommateurs de drogues (INPUD), se sont réunies devant les ambassades russes des villes du monde entier, dans le plus grand spectacle mondial de solidarité jamais organisé par et pour les consommateurs de drogues.

Les manifestations « Honte, Honte à la Russie » étaient dirigées contre les mesures très controversées prises par la Russie pour lutter contre les drogues, drogues censées être à l’origine de l’épidémie de VIH et de tuberculose dans la CEE. L'injection de drogues avec du matériel contaminé est le moteur de l'épidémie de VIH en Russie, qui a aujourd'hui la plus forte croissance dans le monde ; et cela se reflète dans les chiffres ; jusqu'à 80% des nouvelles infections se produisent chez les personnes qui s'injectent des drogues (PWid), sur une population séropositive d'environ 1,3 million. C'est dans cet esprit que, selon des projections récentes, environ 5 millions de personnes supplémentaires pourraient être infectées par le VIH dans un proche avenir, à moins que la Russie ne transforme radicalement la façon dont elle traite la pandémie de VIH.

Masha Ovchinnikova a publié un texte de 2007  sur le Blog de lutte contre le sida et de justice sociale, texte intitulé, “L'activisme dans la prévention et la réduction des risques en Russie” Ancienne utilisatrice de drogues, vivant à Moscou, Mme Ovchinnikova parle des défis que doivent relever les utilisateurs en Russie quand ils cherchent un traitement :

De nombreux obstacles financiers, bureaucratiques et moraux empêchent les utilisateurs de drogues d'être en mesure de prendre soin de leur santé, ou parfois de leur vie. Les gens ne peuvent recevoir aucune aide médicale dans les cliniques habituelles si elles sont en train de “décrocher.” Si vous voulez participer à un programme de désintoxication, vous devez attendre quelques semaines, parfois plus. Vous devez préparer un grand nombre de documents et faire quelques tests (y compris le dépistage du VIH). De plus, il n'existe aucune garantie que vous obtiendrez la bonne thérapie – mais ce qui est sûr, c'est que vous serez blâmés et humiliés par le personnel de la clinique.

Un autre problème est la confidentialité du ‘statut de toxicomane’. Vous ne pouvez pas obtenir un traitement gratuit sans enregistrement officiel, mais cette liste est parfois mise à la disposition de la police. Bien que la situation soit devenue récemment meilleure, le niveau de violences policières est encore très élevé. Il est toujours dangereux d'acheter une nouvelle seringue parce que les policiers surveillent les utilisateurs de drogues à proximité des pharmacies.

Le blog Psychiatrist illustre la façon dont le système de santé russe empêche le bon déroulement du traitement anti-HIV :

Dans ma clinique, des psychiatres travaillent dans des pièces à côté des médecins. Aujourd'hui, à la clinique, j'ai parlé à Mark Sulkowski, un docteur spécialisé en maladies infectieuses et dans la coinfection  VIH-hépatite C. Nous avons plusieurs patients en commun. Je sais que je peux frapper à sa porte à tout moment, quand il n'est pas avec un patient, pour discuter d'un malade ou du dernier traitement contre l'hépatite C (nous avons deux nouveaux inhibiteurs de protéase qui feront probablement augmenter les taux de guérison). Nous avons également des travailleurs sociaux et des pharmaciens, des gestionnaires et des docteurs pour les premiers soins, des obstétriciens et des gynécologues, des dermatologues, des ophtalmologistes et des neurologues. Et nous écrivons tous dans le même dossier et nous gérons ensemble les mêmes patients.

En Russie, un tel système n'existe pas. La semaine dernière, nous avons discuté du problème épineux de la gestion des patients atteints de VIH, de tuberculose, et d'utilisation de drogues par injection. Le plus gros problème est qu'il n'y a pas de prise en charge globale. La tuberculose est traitée à la clinique de la tuberculose, le VIH à la clinique du VIH, et les médicaments dans la clinique “narcologie” (qui est indépendante de la psychiatrie et de la médecine générale). Personne ne parle à personne.

Dans un précédent billet intituléle SIDA en Russie – Pourquoi la Russie est particulièrement vulnérable, l'auteur expliquait comment les professionnels de santé russes sont mal équipés pour traiter les personnes infectées par le VIH. Les centres régionaux affirment qu'ils fournissent à la fois le pré-et le post-test, mais ce n'est pas toujours le cas, comme le prouve le récit d'une jeune femme à Nijni-Novgorod :

Lorsque j'ai été testée positive, j'ai été complètement choquée. On m'a dit d'aller voir un conseiller. Quand j'ai rencontré la conseillère, elle m'a dit : «Vous êtes infectée par le VIH. S'il vous plaît notez que propager le VIH en connaissance de cause constitue une infraction pénale en vertu du droit russe. Si vous avez des rapports sexuels non protégés et que vous propagez le virus, vous serez incarcérée. Signez ce document pour montrer que vous avez compris. Ce fut l'unique conseil que j'ai reçu. Quand je suis arrivée dans le couloir, je pensais que j'allais m'évanouir. Je ne savais rien des ARV [antirétroviraux]. Je ne les ai découverts que l'an dernier quand j'étais à Moscou”.

Comme dans de nombreux pays, l'attitude envers les personnes infectées par le VIH / SIDA est un problème réel. HIVnet.ru a posté une vidéo destinée à atténuer cette stigmatisation en montrant comment un jeune couple sympathique fait face à l'annonce de leur séropositivité. Le blog en langue russe, très populaire, de ibigdan sur LJ a abordé les questions [russe] qui se posent autour de la stigmatisation :

Dans notre société, il y a un modèle un comportement envers les gens qui sont VIH + en ce sens qu'ils sont dans les faits des «enterrés vivants». Leurs amis ne communiqueront qu'avec parcimonie avec les personnes infectées de peur qu'ils ne deviennent eux aussi séropositifs. Tout prétexte sera utilisé pour expulser [une personne séropositive] de l'école et il n'y a aucun moyen de trouver un nouvel emploi. Et le problème n'est même pas la méchanceté des employeurs – vous seriez les premiers à protester si une nounou, dans l'école maternelle de votre enfant, est infectée par le VIH. […] Même les médecins, qui semblent être des gens bien informés, refusent de traiter ces personnes s'ils reconnaissent un patient séropositif.

Mais ce n'est pas le seul problème – beaucoup de gens, craignant la stigmatisation associée à l'infection, refusent de se faire dépister, et quand ils apprennent leur séropositivité, ils la cachent, et cela, par suite, conduit à un développement rapide de l'épidémie. La seule façon de lutter contre cela est la rééducation de la société. […]

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