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Birmanie, Thaïlande : Les réfugiés birmans en grande précarité

Catégories: Amérique du Nord, Asie de l'Est, Etats-Unis, Myanmar (Birmanie), Catastrophe naturelle/attentat, Femmes et genre, Histoire, Médias citoyens, Réfugiés, Conversations pour un monde meilleur (ONU)

[Liens en anglais] En apparence, la Birmanie est un pays magnifique, naturellement riche, et sa population est ethniquement diversifiée. Elle est également dirigée par l'un des régimes les plus oppressifs du monde, le Conseil de l'Etat de la paix et du développement [1], un groupe de 11 membres du commandement militaire. Cette junte, au pouvoir sous des noms différents depuis 1988, a été accusée [2] d’ innombrables violations des droits de l'homme. Le SPDC (comme la junte est communément appelée) supervise également un système économique corrompu et inefficace. En dépit de la richesse naturelle du pays, les conditions socio-économiques continuent de s'y détériorer, notamment dans les écoles et les hôpitaux de Birmanie.

Le résultat final est qu'entre 1,5 et 2 millions de Birmans, d'ethnies différentes, ont été forcés [3] de se disperser en Thaïlande. Près de 300 000 personnes – appartenant principalement aux groupes ethniques Karen, Karenni et Mon – vivent dans neuf camps de réfugiés  le long de la frontière. Plusieurs centaines de milliers de membres de l'ethnie Shan résident également en Thaïlande ; la plupart du temps, ce sont des immigrants illégaux que le gouvernement thaïlandais ne reconnaît pas en tant que réfugiés.

Une vie fragile

Les réfugiés birmans ont un statut précaire en Thaïlande. Leurs droits et les protections sont presque inexistants [4], principalement parce que la Thaïlande n'est pas signataire de la Convention de 1951 des Nations Unies concernant le statut des réfugiés, ce qui signifie que seules les personnes déplacées des zones de conflit de la Birmanie sont autorisées à recevoir de l'aide humanitaire. Bien sûr, le gouvernement de la Thaïlande reconnaît les innombrables autres réfugiés birmans, mais il limite strictement leur circulation. Un rapport publié par Suzanne Belton et Cynthia Maung illustre [5]le manque de liberté de mouvement pour les réfugiés et les migrants : «Si un travailleur migrant birman a un permis de travail, ils peut se déplacer et bénéficier du régime universel d'assurance santé de [la Thaïlande], mais le climat de peur et d'incertitude est susceptible d'empêcher les gens de voyager. Les transports publics doivent passer de nombreux barrages et contrôles et si les passagers sont découverts en n'ayant pas de papiers en règle, ils sont expulsés.”

Pour les Shans et les autres immigrants illégaux, la vie peut être encore plus difficile que la vie dans les camps. Ces migrants sont souvent privés [6] d'accès à l'eau potable, aux sanitaires et au logement, de même qu'ils sont privés d'accès à l'éducation et aux soins médicaux. Pour les filles et les jeunes femmes, la traite des êtres humains est particulièrement problématique, surtout avec la présence de quelques 16 maisons closes à Mae Sot, la plus grande ville frontalière. Un rapport a établi [7] que des jeunes filles victimes de la traite des femmes doivent faire “face à un large éventail d'abus, y compris la violence sexuelle et autres violences physiques, la servitude pour dettes, l'exposition au VIH / SIDA, le travail forcé sans paiement et la séquestration.

Education sexuelle

Une population, souvent pauvre, qui a généralement été traumatisée, signifie que la santé génésique (liées à la sexualité et à la reproduction) est un problème constant. Cependant, la plupart des gens qui grandissent en Birmanie reçoivent très peu d'éducation sur la sexualité ou la reproduction. En fait, une étude de 2007 portant sur 400 adolescents birmans qui vivent désormais en Thaïlande a démontré ce manque de connaissances sur la sexualité. L'étude, réalisée par une ONG locale appelée le Réseau de santé reproductive des adolescents à Mae Sot, a relevé [8] que :

- Plus d'un tiers des adolescents interrogés ne savent rien au sujet du sexe ou de l'anatomie sexuelle ;
– Près de 25 pour cent des personnes interrogées ont déclaré être sexuellement actifs, généralement vers l'âge de 18 ans. Toutefois, les enquêteurs de l'ARHN pensent que les filles peuvent avoir sous-estimé leur activité sexuelle ;

- Plus de la moitié des personnes interrogées ont déclaré connaître les pratiques de contraception de base – les préservatifs, la pilule et les injections de contraceptif – mais ils n'étaient pas au courant des méthodes contraceptives d'urgence à utiliser ; et,

- Parmi ceux qui ont déclaré avoir des rapports sexuels, seulement 23 pour cent ont utilisé un préservatif masculin et seulement 9 pour cent ont utilisé régulièrement la méthode de contrôle des naissances.

Le rapport a également constaté des différences fondamentales entre les sexes quand il s'agit de décider s'il convient d'avoir recours au  contrôle des naissances. Près des deux tiers des femmes interrogées ont dit qu'elles avaient le droit de pratiquer un contrôle des naissances quelle que soit l'opinion de leur mari. Toutefois, seulement la moitié des hommes interrogés sont d'accord avec cette affirmation. Pire peut-être, 55 pour cent des hommes ont admis que, parfois, une partenaire féminine mérite d'être battue. Plus de 36 pour cent des femmes sont également d'accord avec cela.

Éducation par les pairs

Après avoir examiné le rapport de l'ARHN, Nancy Goldstein souligne [9] l'importance de l'éducation sexuelle par les pairs à la frontière Thaïlande-Birmanie dans un article pour RH Reality Check.

L'ARHN doit sa capacité à rentrer en contact avec les jeunes migrants birmans à ses jeunes éducateurs-pairs,  intrépides et farouchement dévoués. A l'intérieur de la Birmanie, tout type de travail humanitaire qui touche à la santé des personnes en dehors de celui effectué par l'armée est considéré comme politique et peut voir un travailleur arrêté, battu, voire tué. Et la culture birmane elle-même reste à la fois très conservatrice et très prude au sujet du sexe et de la sexualité. Rares sont les parents dans les camps pourrait penser que c'est cool que leur fils ou leur fille travaille comme éducateur sexuel pour ses pairs, et des pairs éducateurs doivent faire preuve de prudence sur ce qu'ils enseignent et où le font. « Chaque fois que des éducateurs pairs de l'ARHN se rendent dans des communes pour organiser des ateliers sur la sécurité sexuelle et la santé, pour distribuer des contraceptifs, ou pour collecter des données pour une enquête, ils risquent d'être arrêtés, ils risquent la violence, l'expulsion, et le mécontentement de leurs familles», explique Tarjina Hai, actuelle conseillère technique de l'ARHN.

Comme un éducateur me l'a expliqué, une session de formation relativement facile, sans obstacle, est celle qui a la bénédiction du chef de village, du chef religieux ou du pasteur, et qui se déroule dans une église. Cela entraîne des déplacements extrêmement coûteux, mais seulement un ou deux passages illégaux de la frontière, et nécessite de ne soudoyer que quelques agents des pouvoirs publics. Ça, c'est si vous avez de la chance : s'il y a trop de personnes présentes quand l'éducateur est arrêté à la frontière, vous ne pouvez pas donner votre pot-de-vin, ce qui signifie qu'il ou elle n'a fait que la moitié du chemin et a tout payé, pour un voyage qui s'arrête là.

Pourtant, le travail doit se poursuivre. Comme Leila Darabi l'a noté, la Thaïlande a un programme assez rigoureux de planification familiale qui ne s'étend pas aux jeunes migrants birmans, qui sont une population à risque important de grossesses non planifiées, d'agressions sexuelles, et de maladies sexuellement transmissibles. Beaucoup de ces jeunes travaillent et vivent dans des usines (certains légalement, la plupart non). Ils n'ont pas un accès aisé à la contraception, et sont des proies faciles pour le sexe à la fois transactionnel et coercitif. La plupart des réfugiés n'ont même pas un accès limité aux soins de santé, sans parler des soins de santé sexuelle et reproductive. Les efforts d'éducation sont entravés par de faibles taux d'alphabétisation, l'accès limité à la télévision et pratiquement aucun accès à Internet.

Complications post-avortements

L'association de personnes sexuellement actives sans éducation en matière de reproduction proprement dite, aboutit au fait que l'avortement devient fréquemment un problème. Le FNUAP estime en qu'en Birmanie près d'un tiers des grossesses se termine par un avortement. Pourtant, selon la loi, l'avortement ne peut avoir lieu que lorsque la vie de la mère est en danger. En réalité, l'avortement n'est pas si restrictif en Thaïlande, ce qui permet également de l'appliquer aux cas avérés d'inceste et de viol. Quelles que soient les restrictions, cependant, les avortements se poursuivent dans la communauté des réfugiés. Le ministère thaïlandais de la santé estime que le taux d'avortement pour les migrants birmans est près d'une fois et demie -deux fois plus élevé que le taux d'avortement dans la population locale thaïlandaise. En 2002, l'étude de Belton et Maung sur les soins de santé ambulatoires en matière de reproduction a constaté que [5] :

- 25 pour cent des femmes ayant des complications post-avortement avaient pratiqué l'auto-avortements comme ceux qui sont communs en Birmanie : boire du gingembre et du whisky, de vigoureuses triturations pelviennes et l'insertion d'objets pointus dans les organes sexuels ;

- La plupart des femmes atteintes de complications post-avortement sont mariées et deux tiers d'entre elles ont déjà au moins un enfant ;

- Un tiers des femmes ont déjà eu au moins cinq grossesses.

Voici une discussion sur la façon dont le problème de santé procréative pour les adolescents est étroitement lié à l'avortement à la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie, avec Cari Siestra, qui a contribué à modifier le rapport de l'AHRN.

 

La clinique de Mae Tao


Pour les réfugiés birmans, la clinique Mae Tao a aidé à combler une pénurie massive de soins. Elle a été créée par Cynthia Maung qui a quitté la Birmanie quand 10 000 étudiants militants [10] ont franchi la frontière en septembre 1988 après que le gouvernement eut violemment réprimé les manifestations pro-démocratie. Dr Cynthia, comme on l'appelle, avait pensé que ce ne serait qu'une question de quelques semaines avant qu'elle puisse retourner dans son petit cabinet médical de Rangoon. Au lieu de cela, elle a été consternée par le manque de soins dans les camps de réfugiés improvisés, où les réfugiés arrivaient en masse après avoir passé la frontière et qui souffraient d'un traumatisme, de blessures par balles ou par les mines, atteints de paludisme ou de diarrhée. Elle a ouvert une clinique dans le camp de Huay Kaloke seulement avec son manuel médical et un cuiseur de riz pour nettoyer et stériliser les instruments.

Aujourd'hui, la clinique Mae Tao compte 5 médecins, 80 auxiliaires de santé, 40 stagiaires et 40 aides soignants. Ce personnel traite plus de 100 000 patients par an. Deux étudiants de l'université de Westminster qui ont participé au projet pendant leur apprentissage en fournissent une bonne description [11] :

Le sol était de ciment irrégulier, couvert de boue. On pourrait mieux le décrire comme une promenade en plein air à travers la clinique ; chaque service ayant sa propre salle. La salle d'attente était remplie de Birmans déplacés épuisés. Lorsque nous sommes passés devant le centre pédiatrique, nous avons vu des enfants souffrant de malnutrition, immobiles, qui étaient réconfortés par leurs parents.

Le dispensaire offre des services dans des domaines différents, de la vaccination des bébés à la création de prothèses pour les blessures dues aux mines antipersonnelles. En 2006, les médecins de l'hôpital ont mis [12] 1600 enfants au monde. La clinique offre aussi des formations aux soins maternels. Cathy, qui travaille à la clinique de Mae Sot, donne des réponses [13] à quelques-unes des questions qui entourent les formations de santé reproductive.

Le dispensaire offre un programme de contrôle actif des naissances, mais toutes ne l'ont pas suivi. Pour les femmes migrantes (plusieurs milliers travaillent en Thaïlande dans les ateliers clandestins, pour aider leur famille) la vie n'est pas facile. La plupart de ces femmes ont besoin d'un protecteur, d'une manière ou d'une autre. Avec un bébé, il est impossible de continuer à travailler. Le Docteur Cynthia et l'Organisation des femmes de Karen ont créé plusieurs orphelinats. Les Karen font beaucoup d'actions de bienfaisance. Je n'ai pas rencontré de personnes plus altruistes. En général, les maris sont avec leurs épouses quand elles vont avoir leurs bébés car donner naissance à un enfant est une grande joie, mais souvent, de l'autre côté de l'immeuble, il y a des femmes très malades à la suite d'avortements clandestins.