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Réponse à Kony 2012, “Ce que j'aime de l'Afrique” se réapproprie le récit

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Afrique du Sud, Côte d'Ivoire, Erythrée, Kenya, Nigéria, Ouganda, Action humanitaire, Cyber-activisme, Guerre/Conflit, Médias citoyens

Qui suit de près les médias citoyens en ligne ce mois-ci n'aura pas pu échapper au débat mondial enflammé sur la campagne virale d'Invisible Children [1] pour la capture du criminel de guerre et chef d'armée rebelle Joseph Kony [2].

Si la campagne Kony 2012 [3] a obtenu à coup sûr l'attention recherchée, nombreux sont les Ougandais et Africains à trouver son message dépourvu de la nuance requise par le contexte, et plus centrée sur la levée de fonds pour la survie de l'organisation que sur la réhabilitation des victimes  [4]du conflit.

Qui plus est, beaucoup d'Africains ont ressenti une fois de plus que la présentation d'une histoire hautement médiatisée sur l'Afrique se concentrait sur ses aspects négatifs tout en négligeant les tendances positives manifestées sur le continent.

Pour faire contrepoids [5], bon nombre se sont mis à écrire sur Twitter sur “ce qu'ils aiment de l'Afrique” sous le mot-clic #WhatILoveAboutAfrica [6].

[7]

ce que j'aime de l'Afrique, tête de tendance mondiale, par Semhar Araia – @Semhar

L'initiative, qui a pour fer de lance Semhar Araia [8], une blogueuse du Diaspora African Women Network (DAWNS) [9], (‘Réseau des Femmes africaines de la diaspora’) est en tête de tendance mondiale sur Twitter [7] depuis le 13 mars 2012.

L'avers de l'histoire

Si nul ne dénie le mérite d'exposer les crimes odieux perpétrés par l’Armée de Résistance du Seigneur [10] de Kony, les commentaires qui ont suivi sur les médias citoyens expliquent en quoi ce débat dépasse la “guerre de mème [11]” : c'est une lutte pour reconquérir la perception et la narration internationales à propos de tout un continent.

Des Nord-Ougandais, les principales victimes des crimes de Kony, à qui on a projeté en public le film d'Invisible Children, n'ont pas été très heureux de son contenu, comme on le voit dans la vidéo [12] ci-après d'Al Jazeera English.

“Si les gens de ces pays s'intéressent à nous, ils ne porteront sous aucun prétexte des t-shirts avec le portrait de Joseph Kony,” dit un homme interrogé. “Ce serait se réjouir de nos souffrances.”

Un Ougandais déclare lors d'une autre projection que “Il y a des gens, des ONG, d'un certain type, qui essaient de mobiliser des fonds en se servant des atrocités commises dans l'Ouganda du Nord.”

La mobilisation pour faire ressortir les aspects positifs de l'Afrique est aussi montée en puissance sur la scène des médias sociaux. L'étudiante américaine et amoureuse de l'Afrique Karen Bilger a rassemblé quelques-uns de ses articles préférés [8] autour de ce mème, et cite aussi la blogueuse africaine Tatenda Muranda [13] sur Twitter parmi ses raisons d'écrire son billet :

@IamQueenNzinga [14]: Il est temps pour nous d'introduire l'ère de l'afro-optimisme en paroles et en action

La journaliste kenyane Paula Rogo a réuni sur Storify le “meilleur et le pire” [15] de la discussion autour de “WhatIloveAboutAfrica”. Quelques messages de sa sélection:

@mwanabibi [16]: #WhatILoveAboutAfrica La jeunesse ! Pleine d'espoir, optimiste et innovatrice

@Sarenka222 [17]: #WhatILoveAboutAfrica Sa presse indépendante résistante, perspicace, courageuse, même face à l'intimidation (cf. @dailymonitor :)

@RiseAfrica [18]: RT @texasinafrica: Les innovations comme le paiement par mobile, la cartographie collaborative de crise. #WhatILoveAboutAfrica

Map of Africa tagged by participants of Barcamp Africa in October 2008, from the Maneno Flickr photostream

Carte d'Afrique étiquetée par les participants de Barcamp Africa en octobre 2008, source : galerie photo de Maneno sur Flickr

L'éternelle lutte du récit africain

Se réapproprier le discours sur le continent africain par le moyen des médias sociaux n'est pas un effort nouveau. En 2007 déjà, une campagne du même genre avait fait fermenter les médias sociaux africains lorsque plusieurs blogueurs de premier plan avaient invité leurs confrères à entrer dans la discussion sur “Pourquoi je blogue sur l'Afrique” [19].

Le blogueur ivoirien Théophile Kouamouo avait interrogé en 2008 [20] :

Bloguons nous pour la diaspora et le vaste monde, coupé de nos contemporains sur le continent ? Blogue-t-on sur l'Afrique comme on blogue sur l'Europe ou l'Asie ? La blogosphère afro-orientée a-t-elle quelque chose de spécifique à offrir au concert de l'universel version 2.0 ?

Le mème avait ceci de remarquable qu'il n'a pas seulement réussi à faire jaillir une brassée de réactions en Afrique occidentale, mais s'est aussi propagé à travers le continent à la blogosphère d'Afrique anglophone [21]. Le commentaire à l'époque, de Rombo à “Ce que pense une femme africaine” a fourni une réponse exaltante sur “ce qu'elle aime de l'Afrique [22] :

L'Afrique est sous ma peau. L'Afrique c'est les voix dans ma tête. L'Afrique c'est cette démangeaison dans mon dos que je n'arrive pas tout à fait à atteindre.
[…] Elle est belle, elle est forte, elle a tant à donner, elle m'inspire et je l'aime sincèrement profondément à la folie.
Elle est meurtrie, contusionnée, parfois brisée, et je ne l'en aime que davantage.
Elle est toujours dans ma tête et dans mon coeur.
Alors, ce n'est pas tant que je choisis de bloguer sur l'Afrique. Je ne peux pas faire autrement.
Je voudrais vraiment que le monde voie en elle tout ce que j'y vois.
C'est mon autre raison de bloguer sur l'Afrique : pour que ce voeu devienne réalité.

Sokari de Black Looks ajoutait alors [23] :

… elle me met en colère et me frustre, m'abandonne, prend des bains de foule et tombe sous l'influence de quelques affreux personnages souvent de pays lointains. Mais je ne peux m'empêcher de l'aimer profondément : elle est vivante, elle est réelle et sage de tant d'histoires merveilleuses et pleines de sens sur l'humanité et la vie. Elle est riche en stature et esprit. J'aime sa façon de bouger, les expressions de son visage, le goût de sa nourriture, l'odeur et les couleurs de sa terre

La lutte pour le discours est certes une vieille histoire. Binyavanga Wainaina a écrit en 2005 un essai célèbre à propos de “Comment écrire sur l'Afrique [24]“, adapté en une vidéo sous le titre “Comment ne pas écrire sur l'Afrique” [25], dont le texte est dit par l'acteur Djimon Hounsou:

Dans cette interminable lutte pour dépeindre l'Afrique sous son aspect positif, on peut se demander pourquoi une telle difficulté à changer la vision mondiale sur le continent et pourquoi cela compte pour autant de gens.

Une réponse à cette question a été proposée lors de la conférence TED par Euvin Naidoo, président de la Chambre de Commerce d'Afrique du Sud. Il argue que la confiance est une composante importante pour les investissements en Afrique, et qu'une meilleure compréhension de toutes les nuances du continent est requise [26]. Il affirme :

George Kimble a dit que ‘Ce qu'il y a de sombre en Afrique, c'est seulement l'ignorance que nous en avons.’ Commençons alors par éclairer ce continent extraordinairement éclectique qui a tellement à offrir [..] Le premier mythe à dissiper est que l'Afrique n'est pas un pays, elle est faite de 53 différents pays. Dire ‘investir en Afrique’ ne sert donc  à rien. Ça n'a pas de sens.