Selon Freedom House, la situation de la liberté d'expression en Azerbaïdjan [en anglais] demeure “désastreuse”, dans la mesure où les autorités continuent “de mettre en prison des journalistes et des blogueurs qui expriment des opinions différentes”. Quoiqu'il en soit, il y a d'autres façons de faire taire la presse et les journalistes d'investigation, comme l'a découvert à ses dépens encore ce mois-ci une voix dissidente qui n'hésite pas à s'attaquer au gouvernement.
Khadija Ismaïlova, une journaliste qui travaille avec l'antenne de Radio Free Europe à Bakou et qui a souvent révélé le haut niveau de corruption qui régnait dans l'ancienne république soviétique particulièrement riche en pétrole, a reçu un courrier anonyme. A l'intérieur, il y avait une note, accompagnée de photographies prises par une caméra cachée, qui la menaçait de diffuser une vidéo de nature intime et personnelle si elle ne mettait pas un terme à ses activités journalistiques.
Plutôt que céder à la pression, Mme Ismaïlova a répondu publiquement à cette tentative de chantage sur Facebook dans une note rédigée à la fois en azerbaïdjanais et en anglais:
Ce courrier dit que, si je n'arrête pas de travailler, je vais être couverte de honte. Cette menace ne me surprend pas. Je fais du journalisme d'investigation depuis longtemps. Mes enquêtes incluaient les affaires secrètes de la famille du président Ilham Aliyev, apportaient des preuves de l'existence de corruption au plus haut niveau et divulguaient des informations sur les affaires de membres de la famille dirigeante dans les paradis fiscaux.
Je travaille actuellement sur plusieurs enquêtes. J'ai envoyé des demandes d'informations à divers bureaux du gouvernement concernant les affaires de la famille qui est à la tête du pouvoir.
[…]Je veux répéter que ce n'est pas la première fois que de tels actes de chantage sont utilisés à l'encontre de collègues journalistes. Les motivations de ces actes sont connues du grand public. Ils sont commis pour faire taire ceux dont les paroles dérangent. Des crimes graves se cachent derrière ce type de pratique.
Mme Ismaïlova s'est également exprimée directement sur une chaîne de télévision indépendante et alternative diffusée uniquement sur internet. Le site RFE/RL a repris ses propos [en anglais]: “Il faut mettre un terme à cette pratique [d'intimidation de journalistes]. […] Et le moins que je puisse faire est de continuer et de combattre”.
La vidéo fut tout de même diffusée, ce qui ne fit que croître le soutien exprimé à la journaliste menacée. Des députés du parlement européen firent part de leur soutien [en anglais], au même titre que d'autres personnes, comme le célèbre photo-journaliste azerbaidjanais, Rena Effendi [en anglais]:
[…] Voilà une information dérangeante que j'ai reçue d'une de mes collègues, la journaliste d'investigation Khadija Ismayil, qui fut aujourd'hui victime de chantage de la part des autorités. Khadija Ismayil est une journaliste de haut vol, professionnelle et totalement intègre ! Depuis des années, elle enquête sur le sujet de la corruption au sein du gouvernement en Azerbaïdjan, un thème que personne d'autre n'ose traiter de manière aussi précise qu'elle ne l'a fait jusqu'ici. Vous trouverez sa déclaration ci-dessous, ainsi que des liens vers ses articles. Pour être honnête, vu l'état déplorable des relations avec la société civile en Azerbaïdjan, je m'inquiète pour la sécurité de Khadija. J'espère qu'elle restera hors de danger et qu'elle continuera son important travail. Je vous en prie, faites passer le mot […]
C'est ce qu'a fait [en anglais] Emin Milli, l'un des deux ‘donkey bloggers’ mis en liberté conditionnelle [en anglais] après avoir été condamné sur des bases considérées comme politiques par les organisations internationales:
Khadija Ismayil, une des plus professionnelles et des plus courageuses journalistes d’Azerbaïdjan, a fait l'objet d'un chantage mis en place par les autorités du pays. Au cours de ces dernières années, elle a mené des enquêtes sur les affaires plutôt douteuses de la famille du président. Il s'agit d'un sujet tabou en Azerbaïdjan, que de nombreux journalistes et citoyens n'osent pas aborder en public.
[…] Parmi les informations publiées par wikileaks, on apprend que le président de l'Azerbaidjan l'aurait accusée d'être une “ENNEMIE DE L'ETAT” lors de réunions avec des diplomates américains. Il est primordial que la communauté internationale et les journalistes du monde entier la soutiennent en ce moment difficile, condamnent cette honteuse tentative de chantage et demandent directement au président IIlham Aliyev de garantir la protection de la journaliste en Azerbaïdjan.
Pourtant, alors que le gouvernement azerbaïdjanais nie toute implication dans cette tentative de chantage, d'autres, comme le South Caucasus Diary ne sont pas convaincus [en anglais]:
Cette affaire n'est pas le fait du hasard. Le 23 février 2012, la célèbre émission télévisée de la chaîne CNBC, “Filthy Rich”, a programmé un épisode sur le richissime président d’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, et sa famille. Khadija Ismayil a fait partie des journalistes qui ont aidé à préparer l'épisode en apportant des éléments de preuves.
[…]
Et vous vous demandez toujours qui a commandé la vidéo ?
Un groupe de jeunes azerbaïdjanais a même contre-attaqué en prévenant les touristes qui se rendaient à Bakou cette année pour assister au concours de l'Eurovision de ne pas avoir de relations sexuelles dans leurs chambres d’hôtel ou dans leurs appartements de location [en russe] dans la mesure où ils pourraient y être filmés de manière clandestine, et l'auteur azerbaïdjanais controversé Ali Akper a également commenté l'affaire [en azerbaïdjanais], faisant référence à un incident similaire qu'aurait vécu un autre journaliste.
İqtidar yenə öz sevimli məşğuliyyətinə qayıdıb. Çoxdandır bizə porno göstərmirdilər. Səhv etmirəmsə axırıncı dəfə oteldə masturbasiyaya tamaşa etmişdik. İndi də Xədicə İsmayılovanın yataq otağını çəkib yayıblar. Xədicənin atılan dırnağı belə ola bilməyəcək adamlar, bu video ilə onu nüfuzdan sala biləcəklərini düşünürlər. Zırt!
[…]
[…] biz tabuları qırmadıqca, mentalitetin dalından yağlı bir təpik ilişdirmədikcə, əxlaqçılığa yox demədikcə, bu psevdodəyərlərlə möhtəkirlik edən rejimə məğlub olacağıq. […] zırrama paradiqmalarla yaşayan millət, əsla və əsla azad ola bilməz. Nə qədər çox “eyibdür” desək, bir o qədər əziləcəyik, çünki vuayerist rejim hamımıza bir ağızdan “eyibdür” dedirdəcək […]
Le pouvoir est revenu à ses premières amours. Ça faisait longtemps qu'on ne nous avait pas diffusé du porno. Si je ne dis pas de bêtises, au dernier visionnage, nous avons eu droit à une scène de masturbation dans un hôtel. Et maintenant, ils posent des caméras dans la chambre de Khadija Ismayilova. Ces gens qui ne valent pas mieux qu'un ongle de Khadija s'imaginent qu'ils peuvent l'atteindre de cette manière. Jamais de la vie !
[…]
[…] tant que nous n'aurons pas brisé les tabous, tant que nous ne serons pas débarrassés de cette mentalité, tant que nous n'aurons pas dit non à cette morale, nous céderons à un régime qui se joue de nos valeurs. […] une nation qui vit avec de tels paradigmes ne sera jamais libre. Nous pouvons dire que « c'est honteux » autant que nous voulons, nous serons toujours perdants, parce que ce régime voyeuriste nous le fera dire tous en même temps.
Le blogueur Turkhan also est également intervenu [en azerbaïdjanais], en faisant référence de manière sarcastique à ce que signifie être une figure politique locale et intouchable.
Hər kəsi bir cür şəxsi intim həyatı var. İntim həyatın olması ayıb deyil. Amma bu intim həyatı gizlincə çəkib yaymaq şərəfsizlikdi. Camaatın yatağına girmək düzgün deyil!
Mən bilirəm ki, mənim də videom adiyyatı qurumlarda var. Amma bu videonu heç zaman yaya bilməyəcəklər. Çünki məlum hadisə zamanı T-shirt-imin qabağında və arxasında bir nəfərin şəkili gülümsəyir
Chacun a sa propre vie privée. Ce n'est pas honteux d'avoir une vie privée. Ce n'est pas honteux d'avoir une vie intime. Il est déshonorant de filmer en secret une vie privée intime et de diffuser le film. Il n'est pas correct de s'introduire dans la chambre à coucher des gens !
Je sais que de hautes instances détiennent également des vidéos sur moi. Mais ils ne pourront jamais les diffuser. Parce que durant l'acte en lui-même, il y a, sur l'avant et l'arrière de mon t-shirt, l'image de quelqu'un qui sourit.
Le gouvernement azerbaïdjanais a promis de trouver les responsables de cette vidéo et de les mener devant un juge, mais certaines voix font entendre que les recherches mises en place pour trouver les personnes coupables du meurtre du journaliste Elmar Huseynov [en anglais] en mars 2005 sont restées vaines à ce jour. “C'est une tentative méprisable qui a pour but de discréditer une journaliste en plein milieu de son enquête sur la corruption au sein des plus hautes instances du gouvernement” a déclaré John Dalhuisen [en anglais], directeur adjoint du programme Amnesty International pour l’Europe et l’Asie centrale.
“La participation de la presse d’État dans cette campagne de diffamation est reconnue comme de l'extorsion condamnée de manière officielle et jette le discrédit sur les dirigeants nationaux qui affirment vouloir accueillir des journalistes provenant de plus de 40 pays différents pour le concours de l'Eurovision,” a ajouté le 14 mars [en anglais] le Comité de Protection des Journalistes. Dans le même temps, une pétition pour soutenir Khadija Ismaïlova a été lancée ici [en anglais].
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