Brésil : Le projet d'aquarium géant fait des remous à Fortaleza

A Fortaleza, cinquième ville du Brésil, l'ouverture de chantier d'un aquarium suscite de vives discussions à propos des finances publiques, des priorités du gouvernement de l'état (du Ceará) et du futur de la ville, au rythme de manifestations très créatives.

Avec un budget de 250 millions de Réaux (plus de 101 millions d'euros), le projet – s'il se réalise – se classe déjà au troisième rang des plus grands aquariums du monde. L'équipe du conseiller municipal au tourisme de l'état du Ceará (Setur) a présenté, le 30 janvier, une animation vidéo de ce que serait cet aquarium, une fois la construction terminée.

En dépit de ces images prometteuses, le coût élevé du projet est la principale cible de critiques, venant principalement de ceux qui souhaitent plutôt allouer cette somme à des portefeuilles tels que l'éducation, la sécurité et la santé, secteurs dans lesquels le Ceará est bien défaillant.

C'est avec ce genre de remise en question, que le 5 février, l'artiste Enrico Rocha a mis en ligne sur Facebook, une photo du terrain prévu pour la construction, n'attendant plus que le premier coup de pioche, et déclenchant un débat qui s'est étendu sur 150 commentaires.

"Enquanto o Acquário for uma maquete, ainda haverá tempo". Ilustração de Yuri Leonardo, reproduzida com permissão.

"Tant que l'Aquarium restera à l'état de maquette, il sera encore temps". Illustration de Yuri Leonardo, reproduite avec son autorisation.

Dix jours après la parution de la photo d'Enrico Rocha, s'ouvrait sur Facebook la page du mouvement Quem dera ser um peixe (Ah! si j'étais un poisson), en référence à la chanson Borbulhas de amor (Bulles d'amour) du compositeur Fagner, originaire du Ceará, dont les paroles “Quem dera ser um peixe/Para em teu límpido/Aquário mergulhar” (“Ah! si j'étais un poisson/dans ton limpide/aquarium je plongerais) se sont adaptées comme un gant à la question soulevée par le mouvement.

Sur la page Por que questionamos (pourquoi nous remettons en question), le collectif détaille les raisons de s'opposer à l'Aquarium, en critiquant le manque de transparence qui imprègne le projet.

Parmi les critiques, l'attention est attirée sur l'absence de preuve concernant l'appel d'offre publique, qui a retenu les entreprises Imagic pour les plans, et l'américaine ICM Reynolds, pour la construction proprement dite. La licence d'exploitation est aussi remise en cause, vue l'absence totale “d'études archéologiques obligatoires, qui doivent nécessairement être analysées et approuvées par le Patrimoine historique et artistique national”.

Et, bien entendu, les comptes d'un projet qui “outre la dette contractée, aura un coût mensuel estimé à 1,5 million R$ (ou 610 000 Euros)”, et dont le business plan est totalement inconnu :

Não foi apresentado um plano de negócios que mostre, detalhadamente, como iremos saldar a dívida que teremos com o banco norte-americano Ex Im Bank of United States, com quem o Governo do Estado está negociando empréstimo de aproximadamente US$ 105 milhões.  O restante dos gastos sairia diretamente dos cofres públicos no valor de US$ 45 milhões.

Il n'a pas été présenté de business plan qui démontre, de manière précise, comment nous allons nous y prendre pour rembourser cette dette contractée auprès de la banque américaine Ex Im Bank of United States, avec laquelle le gouvernement de l'état est en train de négocier un prêt d’une valeur approximative de 105 millions de dollars. La somme restante devant directement sortir des coffres publics, soit 45 millions de Dollars.

Bloc de Carnaval et rendez-vous hebdomadaires
Le 22 février, pendant le dernier Carnaval, des carnavaliers  critiquant le projet se sont réunis dans le bloc Unidos Contra o Acquario (Unis contre l'Aquarium), qui a parcouru les rues du quartier de Benfica avec le traditionnel bloc  Sanatório Geral (Sanatorium Central). Les participants, déguisés en poissons, avaient défilé sous une longue toile bleue représentant la mer.

Bloc Unidos do Acquário. Photo mise en ligne avec l'autorisation du mouvement Quem dera ser um peixe.

Les années précédentes, le bloc  Sanatório Geral avait déjà joué la musique de carnaval Fortaleza Aquática, une satire du projet, évoquant aussi certaines polémiques passées sur la gestion du gouverneur Cid Gomes.

Inundação (L'Inondation), comme sont appelés les rendez-vous organisés tous les samedis, grâce au hashtag #OcupePI (Occupez la Plage d'Iracema) et #DesocupeAcquario, (libérez l'Aquarium) sont d'autres formes prises par la mobilisation in-situ du mouvement Quem dera ser um Peixe, dans le quartier de la plage d'Iracema, où doit être érigé l'aquarium. La première rencontre a eu lieu le 10 mars et a réuni les opposants ainsi que les habitants du Poço da Draga, population présente sur le site depuis une centaine d'années et qui sera expulsée pour laisser la place au parking destiné à recevoir les visiteurs de l'Aquarium.

#OcupePI. Photo mise en ligne avec l'autorisation du mouvement Quem dera ser um peixe.

La réaction du gouvernement de l'état ne s'est pas fait attendre et a suivi de peu ce premier rendez-vous. Le profil institutionnel récemment créé @acquario_ceara répondait aux critiques, non par des faits, mais par des accusations :

@acquario_ceara: Quem está contra o #AcquarioCeara trabalha contra o desenvolvimento do Ceará. Parece que são pessoas a serviço de outros estados.

@acquario_ceara: Qui est contre l’ #AcquarioCeara travaille contre le dévelopement du Ceará. On dirait des gens au service d'autres états.

Toujours sur Twitter, l'étudiante Débora Vaz partage une vidéo tournée par l'historienne Andréa Saraiva, du blog Chafurdo Mental (maladresse mentale) dénonçant le début des travaux avant même l'obtention du permis de construire :

Enquanto isso, aqui em Fortaleza, a estúpida obra do Acquário começa sem alvará, além de ter sido contestada pelo Iphan http://youtu.be/PUtNBHg27FQ

Pendant ce temps, ici à Fortaleza, le stupide chantier de l'Aquarium commence sans permis de construire, en plus d'avoir été contesté par l'Iphan http://youtu.be/PUtNBHg27FQ

Manque de transparence

Le mouvement Quem dera ser um peixe a publié le 11 avril, des documents dénonçant des irrégularités dans l'appel d'offre :

Dentre os nossos pedidos está o de cancelar imediatamente o processo de contratos já efetuados. Veremos que na surdina o governo tem contratado e licitado ao arrepio da lei e que já está superando o numero milionário de R$ 250 milhoes iniciais.

Veremos também que já foi pago R$ 876 mil reais que ninguém sabe pra quem e nem pra quê, pois o governo não publicou os termos como seria de sua obrigação.

Nous demandons, entre autre, l'annulation immédiate du processus de contractualisation déjà effectué. Et nous verrons qu'en cachette, le gouvernement à signé des contrats et lancé des appels d'offres, au mépris de la loi et que l'addition dépasse déjà le chiffre des 250 millions de R$ initiaux.

Nous verrons aussi que 876,000 R$ ont déjà été dépensés, personne ne sait pour quoi ni pour qui, puisque le gouvernement n'a publié aucun acte, alors qu'il est tenu de le faire.

L'utilisateur Alexandre Ruoso a fait suivre l'information, en la commentant:

‎#AquarioIlegal #GovernoFazdeconta
Se isso acontece em obras como esta, que tem toda a visibilidade, imagina nas obras menos importantes.
‎#AquarioIlegal #GovernoFazdeconta

Si cela arrive pour un tel chantier, objet de tant d'attentions, imaginez ce qui se passe pour des chantiers de moindre importance.

O Ataque dos Homens Acquario. Ilustração de Yuri Leonardo, reproduzida com permissão.

Devant le manque de transparence du gouvernement quant à l'utilisation de ces 250 millions de réaux, nombreux sont ceux qui critiquent  les arguments du gouverneur Cid Gomes dans son refus de répondre aux revendications des personnels de l'éducation et de la sécurité pendant les récentes grèves.

Outre Fortaleza, différentes villes du  Ceará ont organisé des manifestations, comme le rapporte le professeur Tiago Coutinho :

Neste momento estudantes da Urca ocupam as ruas do Crato e cantam “é ou não é piada de salão, tem dinheiro pro aquário mas não tem pra educação?”.

En ce moment même, des étudiants de l'Urca occupent les rues de Crato en chantant “c'est une blague ou quoi, y a des sous pour l'aquarium et y en n'a pas pour l'éducation ?”.

Andréa Saraiva questionne le modèle de tourisme vers lequel on se dirige avec cet aquarium, modèle qui laisse de côté des alternatives moins dépensières et plus bénéfiques pour la communauté :

O turismo é uma atividade econômica como outra qualquer, portanto ela não é neutra. Aqui no Ceará várias comunidades sofrem pelo turismo predatório, grande aliado da especulação imobiliária, das empreiteiras e do turismo sexual que vem sendo aplicado em sucessivos governos que investem em modelos que só favorecem a industria do turismo. A concepção Tasso-Cidista [referência ao ex-governador Tasso e o governador Cid] de desenvolvimento no Ceará baseado na industrialização se mostrou fracassada e só melhorou a vida de grandes empresários, o número de miseráveis só aumentou. Há outros modelos de turismo exitosos no mundo e até aqui no Ceará que é referência internacional em turismo comunitário. Mas não há investimento porque estes não financiam campanha, esse tipo de turismo não é ‘montado no cimento’.

Le tourisme est une activité économique comme n'importe quelle autre, cependant, elle est tout sauf neutre. Ici dans le Ceará plusieurs communautés souffrent du tourisme prédateur, grand allié de la spéculation immobilière, du secteur de la construction et du tourisme sexuel, en vigueur dans les gouvernements successifs investissant dans des modèles qui ne favorisent que l'industrie du tourisme. La conception Tasso-Cidista [référence à l'ex-gouverneur Tasso et à l'actuel, Cid] du développement au Ceará basée sur l'industrialisation a été un échec et n'a amélioré que la vie des chefs de grandes entreprises, le nombre de miséreux, quant à lui, ne faisant qu'augmenter. Il existe d'autres modèles de tourisme réussi dans le monde et même ici, dans le Ceará qui sont des références internationales en termes de tourisme communautaire. Mais il ne bénéficient pas d'investissements car ceux-là ne financent pas de campagnes électorales, ce genre de tourisme n'est pas ‘construit sur du ciment’.

La soutenabilité du projet provoque aussi des réactions, principalement devant les rumeurs de dégradations d'autres lieux culturels de la ville comme le Centre Dragão do Mar de Arte e Cultura.

La couverture médiatique des grands organes de presse locaux s'est montrée particulièrement ambigüe, même si un article publié par la journaliste Adísia Sá fait état d'une nécessaire consultation populaire quant à ce projet :

Volto a insistir: a população tem o direito de ser não só informada como consultada. E não venham me dizer que deputados e vereadores sabem de tudo e que eles, sim, são a opinião pública. Todos foram eleitos com os nossos votos, sim, mas não lhes foi dada carta de alforria para falar, agir e decidir por nós – em qualquer assunto. Há limite na representação popular. E, pelo visto, isto não está sendo considerado.

J'insiste encore : la population à le droit d'être non seulement informée mais aussi consultée. Et que l'on ne vienne pas me dire que les députés et les conseillers municipaux savent tout et qu'eux seuls sont l'opinion publique. Tous autant qu'ils sont, ils ont été élus avec nos votes, d'accord, mais il ne leur a pas été donné carte blanche pour parler, agir, et décider pour nous – quel que soit le sujet. Il y a des limites à la représentation populaire. Et, apparemment, elle n'est pas prise en considération.
Ce billet a été écrit en collaboration avec João Miguel Lima.

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