- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Portugal: Une “petite source” qui fait refleurir les œillets

Catégories: Europe de l'ouest, Portugal, Economie et entreprises, Gouvernance, Manifestations, Médias citoyens

Ce billet fait partie du dossier spécial de Global Voices sur l’Europe en crise [1].

(Article d'origine publié le 30 avril) Tandis que le niveau de frustration des citoyens au Portugal continue à monter depuis déjà un an, en fait depuis le  “sauvetage [2] [3] international de la dette publique du pays [3], la commémoration annuelle de la Journée de la Liberté le 25 avril, célébrant la Révolution des Œillets [4], qui mit fin à une dictature [5] de 41 ans en 1974, a repris du poil de la bête.

Quelques jours avant, le 19 avril, l’expulsion musclée [6] d'un centre communautaire autogéré à Porto, a été l'étincelle qui a mis le feu aux poudres et incité beaucoup de gens à aller commémorer ce 25 avril, en signe de solidarité avec les expulsés ainsi qu'avec tous ceux qui luttent contre la crise économique actuelle.

Pour illustrer la tension provoquée avec cette nouvelle forme de commémoration, l'Association historique du 25 avril (fondée par les militaires qui participèrent au coup d'état de 1974) a refusé [7] de participer aux commémorations traditionnelles organisées cette année par le gouvernement, en signe de protestation contre les politiques nationales et les mesures d'austérité extrêmement dures que les ex-soldats jugent [8] [en portugais, comme les liens suivants] contraires aux idéaux démocratiques de la révolution des œillets. A la place, ils ont participé avec beaucoup d'autres citoyens, à des commémorations non-officielles.

A man with carnations, a symbol of Freedom Day (Lisbon, 25/04/2012). Photo by Fernando Mendes copyright Demotix [9]

Un homme brandissant un œillet, symbole de la Journée de la Liberté (Lisbonne, 25/04/2012). Photo de Fernando Mendes copyright Demotix.

"Don't let yesterday's carnation carve today's revolution". Photo by Filipa Sequeira on Facebook. Porto (25/04/2012) [10]

"Ne laissons pas l’œillet d'hier s'incruster dans la révolution d'aujourd'hui". Photo de Filipa Sequeira sur Facebook. Porto (25/04/2012)

Avec les mesures d'austérité imposées par la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne et le Fond Monétaire International, le taux de chômage des jeunes est de 35 %. Et, alors que chaque jour qui passe, 26 familles voient leurs maisons confisquées [11] par les banques, il y a des milliers de locaux d'habitations abandonnés dans les principales villes du pays (voir le tableau pour Lisbonne [12] (pdf)).

La Banque Alimentaire Contre la Faim a récemment annoncé [13]  qu'elle avait atteint un point critique dans sa capacité à répondre à l'augmentation des familles et institutions en manque de nourriture.

L'ordre d'expulsion de l’Es.Col.A [14] (acronyme de: Espace Collectif Autogestionnaire signifiant “école”), où des repas communautaires, des activités récréatives [15] et des cours étaient proposés gratuitement après l'école dans un édifice public occupé d'un quartier pauvre de Porto, émis dans un tel contexte par le gouvernement, a déclenché l'indignation à l'échelle nationale.

Comme le dit João Martins (@jpsmartins [16]) sur Twitter:

@jpsmartins: Eu sei o que responder quando me perguntarem onde estava no 25 de Abril: na #fontinha [17]

@jpsmartins: Je sais quoi répondre si on me demande où j'étais le 25 avril: à la #fontinha [17]

Marche de réoccupation

En dépit de l’annonce [18] de tolérance zéro faite par la police pendant la manifestation de la Journée de la Liberté, les défenseurs de l'Es.Col.A, soutenus par l'appel O!Brigada clown da Fontinha [19] (M!erci clown de Fontinha) et par une sono improvisée, se sont rassemblés dans le quartier de Fontinha, (NdT: qui veut dire “petite source” ou “petite fontaine”) à Porto, dans le but de réoccuper le bâtiment.

Protestors in front of the City Hall, Porto (25/04/2012). Photo by José Ferreira (used with permission) [20]

Des manifestants chantant des airs traditionnels remixés en face de l'hôtel de ville, à Porto (25/04/2012). Photo de José Ferreira (utilisée avec permission).

Queelques 2.000 personnes se sont rassemblés à la marche, comme le montre cette vidéo [21] publiée sur YouTube par olhorobot:

Quand la manifestation est arrivée à Fontinha, les citoyens ont à nouveau occupé l'école:

The opening of the boarded up doors and windows at Es.Col.A. Photo by José Ferreira (used with permission) [20]

Ouverture des portes et des fenêtres scellées de l'Es.Col.A. Photo de José Ferreira (usada com permissão).

Alors les commémorations du 25 avril purent avoir lieu dans la cour de l'école:

Des photo-reportages citoyens résumant ce que fut cette journée ont été mis en ligne dans l'album [22] de Renato Roque  Picasa, dans la Gui Castro Felga [23], Joana Maltez [24] et José Pacheco Pereira [25], tout comme sur Facebook.

Photo by Jorge Almeida on Facebook [26]

Photo de Jorge Almeida sur Facebook (utilisée avec permission).

Suite en eau de boudin

Dès le matin suivant, les portes de l'Es.Col.A étaient à nouveau scellées. Gui Castro Felga a décrit ce qui s'est passé sur son blog:

Foto de Joana Maltez (usada com permissão) [24]

Photo de Joana Maltez (utilisée avec permission)

desafiando claramente todos os ocuparam ontem o es.col.a, a CMP entrou pela escola vazia adentro e rebentou com canalizações, sanitas, arrancou portas e emparedou, já não com chapas, mas com tijolos e cimento, e cortou a água e a luz ao edifício.

En un geste clair de défi envers les occupants d'hier, des représentants de la CMP (Câmara Municipal de Porto, l'hôtel de ville) pénétrant dans l'école désertée, ont détruit les canalisations, les sanitaires, arraché et muré les portes, non plus avec des plaques, mais avec des briques et du ciment, et ont coupé l'eau et l'électricité du bâtiment.

La “companhia teatral Visões Úteis” (Compagnie Théâtrale Visions Utiles), sise dans la même rue que l'Es.Col.A, affirme [27] sur Facebook:

A nossa rua, quando chegam os ocupantes da Escola da Fontinha, enche-se de pessoas a sorrir; ouve-se música e palavras como “sonho”, “cultura” e “comunidade”.

A nossa rua, depois de vir a polícia com os seus tapumes, enche-se de um silêncio baço e temeroso. Como se tivesse levado uma grande descompostura por tocar em algo que não lhe pertence.

Notre rue, à l'arrivée des manifestants, s'emplit de personnes souriantes; on entend de la musique et des mots tels que “rêve”, “culture” et “communauté”.

Notre rue, suite à l'arrivée de la police avec ses palissades, s'emplit d'un silence maussade et craintif. Comme si l'on s'était fait réprimander pour avoir touché à quelque chose qui ne nous appartenait pas.

Aïe, aïe, aïe si la mode prend!

En commémorant le 25 avril en signe de solidarité avec l'Es.Col.A, les manifestants de Coimbra et Lisbonne ont fini par occuper de nouveaux espaces. A Coimbra, un jardin public [28] est en création dans le centre ville, tandis qu'à Lisbonne un groupe d'activistes a occupé un bâtiment abandonné dans la rue de São Lázaro [29].

"O meu coração vive na Fontinha. Ocupamos Coimbra com a Fontinha no coração". Imagem de Jardins de Abril no Facebook. [28]

"Mon cœur bat à Fontinha" " On a occupé à Coimbra avec Fontinha dans le cœur". Images de Jardins de Abril sur Facebook.

Leur manifeste a été publié [30] sur le blog Spectrum:

Antes emparedado que ocupado parece ser o último argumento de um poder que conseguiu sem grande esforço esvaziar as cidades dos seus próprios habitantes, empurrados para os subúrbios ou mesmo para a rua. São centenas de milhares de fogos vazios, deixados ao abandono. Abandono que também vemos nos olhos de quem fez da rua a sua casa. Cada vez mais olhares de abandono, cada vez mais abandono nos olhares. Decretamos, neste dia que se quer de liberdade, tolerância zero a este processo de requalificação urbana, que à custa da miséria de muitos ergue mansões e hotéis para alguns.

Plutôt emmurés qu'occupés semble être le dernier argument d'un pouvoir qui est parvenu, sans grands efforts, à vider les villes de leurs propres habitants, repoussés dans les banlieues et jusque dans les rues. Ce sont des centaines de milliers de foyers déserts, laissés à l'abandon. Abandon que l'on voit aussi dans les yeux de ceux qui ont fait de la rue leur maison. Chaque fois plus de regards remplis d'abandon, chaque fois plus d'abandon dans le regard. Nous décrétons, en ce jour qui se dit de liberté, la tolérance zéro envers ce processus de requalification urbaine, qui, au prix de la misère du plus grand nombre, bâtit des demeures cossues et des hôtels de luxe pour quelques uns.

Ce billet fait partie du dossier spécial de Global Voices sur l’Europe en crise [1].

Ana Vasquez [31] a collaboré à l'écriture de ce billet.