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Mali: Un président agressé, un pays dans la tourmente

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, France, Mali, Dernière Heure, Élections, Ethnicité et racisme, Gouvernance, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique, Relations internationales

Il semble bien loin le temps où les citoyens maliens attendaient avec impatience les élections présidentielles, initallement prévues en avril 2012. Entretemps, le président sortant Amadou Toumani Touré, dit ATT [1], a été démis de ses fonctions par une junte [2] militaire emmenée par le capitaine Amadou Sanogo [2]. Les militaires annoncent la dissolution des institutions et la suspension de la Constitution et forment  Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État [3] (CNRDR).  Le 1er avril 2012, la rébellion Touareg, constituée du Mouvement national pour la libération de l'Azawad et d'un mouvement salafiste Ançar dine, contrôle les trois régions situées au Nord du Mali [4]. Le 6 avril, le MNLA proclame l’indépendance de l'Azawad [5]. Ces conflits ont entraîné le déplacement de milliers de personnes qui fuyent l'influence du MNLA et Ancar Dine [6], une population qui lutte déjà contre une sécheresse ayant provoqué une crise alimentaire touchant des millions de Maliens [7].

Une crise en crescendo

La crise ne s'arrête pourtant pas là. Le président par intérim Dioncounda Traoré est nommé pour un mois et et nomme Cheick Modibo Diarra [8] au poste de Premier ministre. A son arrivée, le président  Dioncounda Traoré doit gérer les conflits dans le Nord et des manifestations dans le Sud en soutien de la Junte.

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Le président par intérim Dioncounda Traoré (Wikipédia License CC-3.0)

Lors d'une de ses manifestations le 23 Mai, les manifestants pénètrent dans le palais présidentiel et blesse le président [10].  Malijet décrit en détails le déroulement de cette attaque :

..Les manifestants ont pris la direction du palais de Koulouba sur des motos et des véhicules. Ils pénètrent dans l’enceinte du palais avec à leur tête, le président de l’association Yérè Wolo Ton, Boubacar Boré. La situation était indescriptible à l’intérieur du palais. Sans rencontrer la moindre résistance malgré la présence des forces de l’ordre, les arrivants escaladent les murs pour se retrouver jusqu’au sommet de l’imposant édifice. Une délégation des marcheurs conduite par Boubacar Boré sera reçue par le président Dioncounda Traoré à qui elle explique l’objet de la marche. Dioncounda Traoré leur assure qu’il a pris bonne note des griefs formulés contre lui et réitère sa volonté de ne jamais constituer un problème pour le pays. Boubacar Boré et ses compagnons prennent congé et rapportent le contenu de l’entretien aux manifestants dont une partie se disperse aussitôt. Mais, un autre groupe de manifestants était resté caché dans le jardin de la présidence. Ces irréductibles exigent la démission, séance tenante, de Dioncounda Traoré. La colère monte et ils défoncent les portes du secrétariat général de la présidence où le président a son bureau et investissent les bureaux. Il est alors un peu plus de 13 heures. Ils gagnent le premier étage où Dioncounda Traoré avait été évacué par quelques gardes de la salle d’audience pour une autre salle un peu plus éloignée. Les manifestants enragés balaient les quelques éléments de la Garde républicaine présents et forcent les deux portes de la salle. Ils font irruption dans la pièce. Quelques uns d’entre eux recommandent bien « ne le touchez pas » mais les plus nombreux se ruent sur le président dans défense, le frappent à coups de poing, de pied…

Une vidéo d'un amateur enregistre le déroulement des évennements [11] et confirme la version du reportage.

Malijet explique comment Traoré échappe à la colère des manifestants :

Il [Un garde républicain] a alors le bon reflexe de coiffer Dioncounda Traoré du casque qui servait à le protéger lui même. Ce geste a certainement sauvé la vie du président car certains agresseurs étaient armés de marteaux et s’en sont servis. La suite est un peu plus confuse. Selon des informations que nous n’avons pas pu recouper, les forces de l’ordre sont finalement intervenues en nombre. Elles ont tiré en l’air et dégagé le président pour le ramener inanimé dans la première salle d’audience qui était intacte. La confusion était alors générale au palais. Plusieurs manifestants ont été blessés dans leur fuite.

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Le Palais présidentiel après l'agression du président. Photo de Dex Traoré sur twitter (CC license-BY)

 

Quelle sortie de crise pour le Mali ?

Pendant que le président Traoré a été évacué en France pour soigner ces blessures,  la Coordination des organisations patriotiques du Mali (COPAM, pro-putsch) a annoncé souhaiter que Le capitaine Sanogo [13] prenne la direction de la transition. Une cérémonie au stade M Keita rassemble les partisans du putsch [14] et veut introniser Sanogo comme président.

Un ancien ministre Malien pense que le mali peut s'en sortir à condition de respecter sa pluralité [15]:

 Le Mali d’aujourd’hui est une nation qui doit assumer et s’enrichir de sa pluralité. Le fait d’avoir voulu, depuis l’indépendance, enfermer cette nation plurielle dans les carcans jacobins d’un État-Nation d’origine coloniale est la cause principale de l’indifférence des populations ou du rejet des institutions et de l’administration étatique. Nos ascendants ont fait cohabiter bamanan, foula, songhoi, soninkés, boua, tamasheq, etc.. dans les mêmes familles, les mêmes royaumes et les mêmes empires. Pourquoi ne pouvons-nous pas en faire autant aujourd’hui ? L’unité de la nation n’est pas antinomique du respect de sa diversité. Il faut les conjuguer au lieu de les opposer. Mettons alors en place des institutions et des procédures administratives qui comprennent et qui savent gérer cette question.

Les Maliens à l'étranger ont aussi réagi sur la situation au pays comme sur sur cette vidéo :

Gilles Olakounlé Yabi, directeur du Projet Afrique de l’Ouest de l’organisation International Crisis Group pense que la crise va hélas perdurer [16] :

Il n’y a malheureusement plus de solution miracle à une crise qui est partie pour durer. La condition nécessaire mais pas suffisante à la mise en place d’un cadre politique et sécuritaire permettant un retour progressif de l’Etat au nord est la clarification de la situation à Bamako (capitale du Mali). Il faut soutenir le gouvernement civil incarné par le Premier ministre Modibo Diarra et le président intérimaire Dioncounda Traoré, quoiqu’on pense des qualités et des défauts de ces personnalités, maintenir la pression sur les meneurs de la junte et leurs soutiens politiques tout en veillant à ne pas fragiliser davantage l’armée malienne. Remettre sur pied l’Etat, c’est redonner de la crédibilité et de l’autorité aux autorités civiles mais c’est aussi aider à restructurer l’appareil militaire. Mais on perd actuellement beaucoup de temps à Bamako dans de vaines querelles pendant que les groupes armés s’installent confortablement et durablement au nord, et imposent leur loi aux populations civiles.