- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Ukraine : Le sort de Youlia Timochenko et l'Euro 2012

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Europe de l'ouest, Allemagne, Pologne, Ukraine, Droit, Droits humains, Economie et entreprises, Gouvernance, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Relations internationales, Sport

(Billet d'origine publié le 17 mai 2012)

[Liens en anglais, sauf mention contraire] Sur la Toile, il reste encore quelques endroits (ici [1] et [2], par exemple) où les supporters de foot continuent leurs discussions apolitiques sur l'Euro 2012 [3] [en français], qui se déroule en Pologne et en Ukraine du 8 juin au 1er juillet 2012. Pourtant, dans les dernières semaines, à mesure que se rapprochait la date de l'événement sportif, il est devenu un thème de débat pour des internautes qui jusque-là semblaient plus intéressés par la politique, ukrainienne et européenne, que par le sport.

En mai, quelques hommes politiques européens, parmi lesquels le président de la Commission européenne Jose Manuel Barroso [4] et la chancelière allemande Angela Merkel [5] [en français], ont fait part [6] de leur projet de boycott [7] [en anglais] en signe de protestation contre l'emprisonnement [8] [en russe] de l'ex-Premier ministre de l'Ukraine, Ioulia Timochenko [9] [en français]. Mais il n'y a pas eu consensus au sein de la Commission européenne [10] [en anglais] sur la question de décréter ou non un boycott politique de la partie ukrainienne de l'Euro 2012.

Mme Timochenko a été placée sous mandat d'arrêt le 5 août 2011, à peine plus d'un mois après le début de la première procédure judiciaire à son encontre (qui a débuté le 24 juin 2011 [11]). Elle a été détenue au Sizo (centre de détention) Loukianovski de Kiev (lire les articles publiés par Global Voices ici [12] et ici [13]) jusqu'au 31 décembre, puis transférée à la colonie pénitenciaire Kachanivska à Kharkov, où elle doit purger 7 ans pour avoir outrepassé ses fonctions pendant son mandat de Première ministre. Ses problèmes de santé et sa grève de la faim de 20 jours [14] ont été les sujets principaux des reportages qui lui ont été consacrés. Le 19 avril à Kharkov, a commencé un nouveau procès [15] contre Timochenko, auquel elle a refusé de comparaître. L'audience de la seconde affaire, où Timochenko est accusée d'avoir détourné l'argent des impôts dans les années 90, a été reportée [16] [en anglais] à la fin du mois de mai [puis de nouveau renvoyée au 25 juin].

[17]

Cérémonie de présentation du trophée de l'Euro 2012 à Kiev, en Ukraine. Photo ALEKSANDER PEREVOZNIK, copyright © Demotix (May 11, 2012)e la coupe d

Les préparatifs du tournoi en Ukraine ont été assombris par d'autres controverses [18] (portant sur la cruauté envers les animaux errants [19] ou les tarifs prohibitifs pratiqués par les hôtels) [20] et, entre autres, par la menace représentée par “les belles Ukrainiennes” [21], le scandale international qui semble avoir causé le plus de tort à l'image du pays [en anglais].

Le 3 mai, “The Economist” a lancé un questionnaire Internet [22] pour demander à ses lecteurs s'ils approuvaient les appels au boycott des jeux en Ukraine :

Les mauvais traitements que semble avoir subis Ioulia Timochenko, l'opposante emprisonnée, ont provoqué des appels aux dirigeants européens à ne pas assister aux matchs de l'Euro-2012, que l'Ukraine accueille conjointement avec la Pologne.
“The Economist” exprime son accord [23] avec ces appels. Et vous ?

Sur presque 1850 votants, 68 % approuvent le boycott, 32 % se prononçant contre.

Odessablogger, qui trouve que “le foot est le mauvais moyen bâton pour frapper l'Ukraine vu la nécessité pour les dirigeants européens d'entrer en contact direct avec la population ukrainienne”, énumère [24] [en anglais] quelques exemples passés de collusion entre sport et politique. Il cite également une interview [25], donnée le 28 avril au “Spiegel”, où le boxeur et politicien Vitali Klitchko [26] [en anglais] prend position contre le boycott de l'Euro-2012 :

[…] Ce tournoi est l'événement sportif le plus important de l'histoire de l'Ukraine. Il faut qu'il ait lieu. De plus, c'est une excellente occasion d'attirer l'attention internationale sur la mauvaise gestion de notre pays. […]

Odessablogger souligne également la position de Timochenko par rapport au boycott :

[…] Pour ceux que ça intéresse, la position actuelle de Timochenko à ce sujet est la suivante : il ne faut pas boycotter à cause d'elle, et il faut que les Ukrainiens accueillent chez eux les dirigeants de l'UE : cela leur donnera envie d'un rapprochement bien davantage que s'ils se sentent ignorés. […]

L'homme politique et député européen Marek Sivits explique [27] dans son blog, BlogActiv.eu [en anglais], pourquoi il est contre le boycott:

[…] En Pologne, nous devons comprendre (et je l'ai dit plus d'une fois) que le championnat de foot est pour les Ukrainiens une question nationale, une source de fierté, indépendamment des opinions politiques. Les Ukrainiens ont su défendre leurs droits à accueillir ce tournoi dans une atmoshère festive, malgré toutes les difficultés. […]

[…] En outre, comme force politique, nous soutenons Timochenko, en dans ce cas nous devons dissocier sport et politique. S'il se trouve en Pologne des gens pour s'imaginer qu'ils vont pouvoir voler quoi que ce soit à des Ukrainiens, qu'ils sachent que les relations [entre nos deux pays] en seraient durablement et sérieusement affectées. […]

Jonathan Hibberd parle dans son blog [28] [en anglais] de la position de l'Allemagne au sujet de l'Euro-2012 en Ukraine :

Merkel boycotte l'Ukraine ? Rien de bien neuf. Il y a déjà un certain temps que l'Allemagne ignore les intérêts ukrainiens. […]

[…] L'Allemagne devrait prendre sa part de responsabilité, même indirecte, dans ce qui se passe ici [en Ukraine] depuis 2010. Il y a un an ou deux, un commentateur a dit que si Merkel venait à Kiev et prononçait un discours en faveur des ambitions européennes de l'Ukraine, cela aurait un poids énorme. N'oublions pas que Timochenko a perdu les présidentielles de peu. Si l'Allemagne avait soutenu un vote ukrainien pro-européen et pro-euro-atlantique, cela aurait pu suffire à lui faire gagner les élections. Elle ne l'a pas fait, ce qui voulait dire que l'Europe n'avait pas besoin de l'Ukraine et que le rapprochement avec la Russie était passé au premier plan de ses préoccupations. Merkel, à ce moment-là, n'était pas du côté de Timochenko. […]

Le rédacteur en chef adjoint de l'édition ukrainienne du quotidien “Kommersant”, Valéry Kalnych, sur le site OpenDemocracy.net [en anglais], voit [29] plusieurs raisons à la position de la chancelière allemande :

[…] Mais d'un autre côté, pourquoi l'Allemagne est-elle si agressive envers l'Ukraine ? Lors des débats, un journaliste allemand a fait ce commentaire : “Il est très facile pour Merkel d'attaquer l'Ukraine et d'exiger le respect des droits de l'homme. A la différence de la Russie, nous n'avons ni pétrole ni gaz, et ne sommes ni puissants ni influents comme la Chine. Critiquer l'Ukraine est très pratique et fait remonter sa cote [celle de Merkel]. […]

LEvko, dans son blog, explique [30] [en anglais] “pourquoi l'Euro-2012 ukrainien n'aura (de son point de vue) pas le succès escompté” :

[…] D'après mon expérience, pour les précédents tournois, de nombreux supporters ont passé leurs vacances dans les pays accueillant les championnats ; entre les matchs ils passaient leurs journées à la plage, en excursion, ou autre chose dans ce goût-là. Programme alléchant dans des pays comme l'Autriche, la Suisse ou le Portugal, où le tourisme est en forte croissance… mais excusez-moi… Kharkov ? Donetsk ?

Aujourd'hui, l'Europe traverse la crise la plus grave depuis la Seconde Guerre Mondiale. L'argent manque… surtout pour payer des chambres d'hôtels ukrainiens à des prix exorbitants.
En été de la même année, Londres accueille les jeux Olympiques, un appât de choix pour les amateurs de sport.

[…] Mais l'avalanche de réactions négatives dans les médias européens à cause de la façon dont est traitée Timochenko va les faire fuir définitivement. Les supporters préféreront rester chez eux, ou bien se déplacer uniquement pour les matchs, comme ils le font lors des tournois de clubs européens. […]

Olga Mrinska, dans son blog “Accents régionaux”, étudie [31] [en ukrainien] le scandale de l'Euro-2012 sous le prisme du contexte socio-politique ukrainien :

[…] Le harcèlement des opposants a atteint son apogée l'an dernier, et la politique intérieure focalise l'attention des dirigeants mondiaux. […] Aujourd'hui, l'Ukraine est associée à une opposition emprisonnée, une absence de liberté d'expression, et des dirigeants kleptomanes et malhonnêtes. Notre président a naïvement (???) cru que ces dirigeants européens “invertébrés” qui vivent dans des maisons de centre-ville (Allemagne), roulent à vélo (Pays-Bas), prennent des avions de lignes régulières (Finlande) et bénéficient d'une protection bien moindre que lui (n'importe quel pays de l'UE) allaient se faire mener par le bout du nez à coups de petits déjeuners sur le thème de futures réformes démocratiques. Et quand ces Européens ont fini par relever la tête… […], [les dirigeants ukrainiens se sont mis à parler] de l'époque de la guerre froide et de la gêne qui en résulte. A mon avis, c'est une bien piètre excuse…

Le problème ne vient pas des Européens, mais des Ukrainiens, de ces électeurs qui ont porté au pouvoir des gens dénués d'intellect, de vision stratégique et de foi en un avenir meilleur pour le pays et les gens. Le problème vient de cette soi-disant “élite” qui, comme les propriétaires des hôtels, vit au jour le jour, sans penser à l'avenir.

En dépit de l'avalanche d'information négative (le plus souvent avérée) sur l'Ukraine dans les médias mondiaux, il nous reste une chance [de montrer le bon côté de l'Ukraine] aux amateurs de foot qui viendront quand même à l'Euro. Notre dernière frontière et notre dernier espoir, ce sont nos habitants. De leur ouverture d'esprit, probité et hospitalité dépendent l'issue et l'appréciation finale de cet événement. […]

Concluons sur un aspect totalement méconnu de cet Euro-2012, l'image qu'en ont les Ukrainiens eux-mêmes. Il y a cinq ans, on nous promettait une mer d'investissements privés, des infrastructures neuves et scintillantes qui serviraient pendant des décennies aux villes-hôtes, un afflux de touristes et de milliards qui allaient profiter à l'économie nationale. Et pourtant, les habitants de Kiev et des autres villes ont surtout vu des conséquences négatives : les arbres des parcs abattus, les villes engorgées, les rues fermées à la circulation, les transports en commun déviés, […] les prix en hausse, et j'en passe. […]