Géraldine de Bastion (@geralbine) est consultante internationale. Elle est issue d'un milieu multiculturel et vit à Berlin en Allemagne. Spécialisée en Technologies de l'Information et de la Communication ainsi qu'en développement des nouveaux médias, elle conseille les organisations gouvernementales, les ONG et les entreprises en médias numériques et stratégies de communication. Elle travaille aussi avec des activistes et des blogueurs dans le monde entier.
Geraldine a commencé sa carrière en travaillant pour la société allemande de Coopération internationale (GIZ) et le Ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du développement (BMZ). Elle a aidé à organiser la délégation allemande pour le Sommet mondial de la Société d'Information (WSIS) en 2005 et a travaillé pour l'Agence nationale de développement des Philippines (NEDA) via GIZ. Durant ces cinq dernières années, Géraldine a travaillé avec la société Newthinking Communications, une agence en stratégies Open Source. Elle a organisé la conférence 2012 re:publica, la plus grande conférence allemande sur le thème d'Internet et la société.
Elle est passionnée de musique, d'arts et de nouvelles technologies et s'en inspire pour son travail. Dans son temps libre, elle est aussi un membre actif de l'Organisation à but non lucratif Digitale Gesellschaft e.V.
Markos Lemma (ML) : Quelle est la situation des médias sociaux en Ethiopie ?
Geraldine de Bastion (GB): De ce que j'ai pu voir lors de ma première visite en Ethiopie, il y a, de manière générale, une importante demande d'information et de communication et les médias sociaux s'avèrent être pour les gens un moyen d'expression. En raison de la faible pénétration d'Internet, les médias sociaux sont pour l'heure réservés à une poignée de personnes qui y ont accès – mais cette petite communauté des médias sociaux utilisent des plateformes telles que Facebook et Twitter de manière créative afin d'accroître l'échange d'informations. Pour prendre un exemple, j'aime vraiment le groupe Facebook dirigé par un jeune Ethiopien qui partage des idées pour sortir à Addis Abeba.
ML : Quel rôle les technologies des médias citoyens jouent-elles en politique ?
GB: A l'heure actuelle, les médias citoyens, en particulier les blogs, jouent un rôle important pour les personnes qui s'engagent et veulent étudier certains sujets ou points de vue non couverts par les médias classiques. Par conséquent, les médias citoyens jouent un rôle important dans la création d'un paysage médiatique plus pluraliste. Toutefois, l'influence des médias citoyens sur la prise de décisions politiques n'est pas encore visible – principalement en raison du manque de pénétration d'Internet et du manque de capacité à toucher une large audience dans le pays. Il y a aussi ce sentiment de peur d'une possible répression des dissidents bien que de nombreux blogueurs le fassent alors qu'ils sont continuellement surveillés par le gouvernement.
ML : Les sites de médias sociaux constituent-ils une nouvelle sphère publique ?
GB: C'est une question complexe. A mon avis, certains contribuent assurément à une nouvelle forme d'expérience sociale et de sensibilisation. On pourrait arguer que dans un pays où les manifestations publiques ne sont pas autorisées, le rassemblement virtuel d'un groupe Facebook est une alternative à la manifestation – bien qu'elle soit virtuelle au lieu de physique. Cependant, tant que la majorité des gens n'aura pas accès à ces technologies, son pouvoir démocratique sera limité.
ML : Quelle est la situation de la liberté de l'information en ligne en Ethiopie et dans le monde en général ?
GB : Plutôt inquiétante car elle se détériore. Avec les menaces internationales qui pèsent sur la liberté d'Internet comme celles de l’ACTA qui accroît les possibilités de répression des leaders dissidents par les gouvernements, il semblerait que la liberté d'information soit menacée. C'est particulièrement vrai pour l'Ethiopie. Le réseau TOR a récemment annoncé que le gouvernement éthiopien était en train d'entreprendre une profonde inspection du contenu de tout le trafic Internet. Il compare ce type d'action à la censure et à l'espionnage des communications privées menés par la Chine, l'Iran et le Kazakhstan. La société de Télécommunications éthiopienne Ethiopian Telecommunication Corporation étant toujours le seul fournisseur de services en Ethiopie, les Ethiopiens n'ont aucun moyen d'échapper en ligne au contrôle de l'Etat.
Je crois qu'il est important d'être informé et de défendre activement ses droits – en ligne et hors ligne ! Il y a un certain nombre d'organisations comme l’EFF, l’EDRI et TOR auprès desquelles vous pouvez obtenir des conseils sur la manière d'être en toute sécurité un internaute-activiste.
ML : Comment les hommes politiques utilisent-ils en général les médias sociaux en Ethiopie et en Afrique ?
GB: En général, les hommes politiques ont un large éventail de possibilités pour utiliser les médias sociaux et certains leaders africains ont bien compris leur potentiel comme Goodluck Jonathan ou Jacob Zuma. Toutefois, ce potentiel à dialoguer de manière effective et significative avec les citoyens est souvent négligé et les hommes politiques utilisent plutôt les médias sociaux comme un débouché supplémentaire pour informer et rassembler.
En Ethiopie, l'utilisation d'Internet pour la communication politique de base est encore balbutiante. Il y a si peu de citoyens en ligne que les médias traditionnels, la télévision en particulier, demeurent le principal canal utilisé.
ML : Comment les ONG utilisent-elles les médias sociaux ?
GB : Les ONG utilisent de manière croissante les médias sociaux pour faire campagne et les plus importantes d'entre elles donnent l'exemple – citons, entre autres, la campagne de Greenpeace “The Dark Side” (Le côté obscur) qui a été un énorme succès. Elle a utilisé les médias sociaux pour informer, divertir et impliquer les gens. Le financement en ligne est de plus en plus populaire. Je pense que de nombreuses ONG éthiopiennes sont intéressées par l'utilisation des médias sociaux, pour sensibiliser et toucher les gens à travers le monde en particulier, mais beaucoup d'entre elles n'en n'ont ni les capacités ni les moyens. L'utilisation de plateformes commerciales comme Facebook pour diffuser ses messages et recueillir des soutiens constitue déjà une tendance qui s'accroît de manière prometteuse.
ML: Quels sont les principaux défis des médias citoyens en Ethiopie ?
GB: Les infrastructures monopolisées par l'Etat sont de loin le plus grand obstacle en Ethiopie. On peut, certes, améliorer la maîtrise d'Internet car l'intérêt et la motivation qu'il suscite sont particulièrement très importants mais le monopole de l'Etat sur les fournisseurs de services entraîne des prix élevés et rend aussi le réseau Internet plus facile à contrôler et à surveiller.