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Garder vivantes les langues menacées de disparition, grâce à l'Internet

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Guinée, Mali, Tanzanie, Langues, Médias citoyens, GV Summit 2012

Keeping Endangered Languages Alive #GV2012 [1]

(liens en français et anglais) Ne restera-t-il bientôt que l'anglais et le chinois sur le web ? Ou bien la technologie aidera-t-elle à maintenir en vie nos multiples langues maternelles ?

Eddie Avila, directeur de Rising Voices [2], souligne la différence entre langues menacées de disparition et langues sous-représentées. Trois des membres du panel travaillent sur ces dernières dans des langues africaines sans présence proportionnelle en ligne. Pour que les jeunes comprennent que leur langue appartient à l'avenir et non au passé, il faut qu'ils la voient présente sur internet et dans des logiciels localisés (comme OpenOffice).

Boukary Konate

Boukary (@fasokan [3], il blogue sur Fasokan.com [4]), vient du Mali, et parle le bambara [5], une des quelque quinze langues du Mali. Le bambara est parlé par environ 80% de la population. L'enseignement commence en langue maternelle, et se poursuit en français et anglais. Il pense qu'il est crucial de conserver sa langue natale en ligne, c'est pourquoi il blogue en bambara et en français. La langue se transmet dans les villages avec les cours d'alphabétisation, Boukary a donc créé des cours pour encourager les enfants à écrire et raconter des histoires dans leur langue maternelle.

Le bambara nécessite quatre caractères qui lui sont propres, et que ne possèdent pas les claviers occidentaux. Mais le clavier QWERTY standard dispose de caractères inutilisés, comme le Q, qui n'existe pas en bambara, des substitutions peuvent donc être faites manuellement et des caractères échangés. Quelqu'un a développé une application Facebook / Twitter compatible avec le bambara, permettant de poster des statuts en langue maternelle.

Est-ce que des claviers virtuels, basés sur des logiciels, pourraient nous aider à surmonter les limitations des claviers physiques créés pour les langues dominantes ? (Voir plus d'informations sur la page des claviers langues [6] d'ANLOC). Accentuate.us [7] est une autre solution. C'est une excellente extension Firefox qui “vous permet de taper vite et facilement dans plus de 100 langues sans touches supplémentaires ni clavier spécial.”


Abdoulaye Bah

Abdoulaye est un blogueur de Global Voices du groupe francophone. Originaire de Guinée, il vit en Italie et France. Au courant de sa vie, il a parlé 8 langues, mais celle qu'il connaît le moins est la sienne, le peul [8]. Il a pratiqué davantage les autres langues, dont il avait besoin pour des raisons concrètes. Le peul est parlé comme première ou seconde langue dans pas moins de 18 pays africains, dont la Guinée, où 40% de la population le parle, ainsi que la Mauritanie, le Cameroun, le Tchad, et des parties de l'Ethiopie.

Beaucoup de problèmes qu'affronte cette langue viennent de ce qu'elle n'est pas enseignée à l'école. Les gens apprennent à l'écrire par des cours particuliers, ou pas du tout. Abdoulaye voit dans la pratique des blogs l'une des seules voies pour garder la langue vivante. Il y a de nombreux blogs en peul. Les vidéos en ligne sont une autre présence de la langue en ligne, qui surmonte l'obstacle que plus de gens parlent la langue que ne l'écrivent.


Oliver Stegen

Oliver est un Allemand qui séjourne en Afrique de l'Est depuis de longues années (sa langue maternelle n'est absolument pas en danger). Ce n'est pas en blogueur qu'il est venu à Global Voices, mais en linguiste avec SIL, un organisme qui travaille sur les langues maternelles et la traduction.

Le rangi [9] est une des 120 langues parlées en Tanzanie, et est historiquement une langue seulement orale. La communauté mondiale des linguistes a voulu documenter une version écrite, Oliver a donc passé des années en Tanzanie à parler avec des fonctionnaires et des enseignants pour enregistrer cette langue. Il a écrit des articles de linguistique dans des revues scientifiques, mais a vite compris que cette forme de publication n'aiderait pas cette langue en danger à survivre. Changeant de direction, il a travaillé avec des enseignants à créer des classes d'alphabétisation dans les villages. Mais la langue n'a pas pour autant gagné beaucoup de terrain.

En 2006, Oliver a découvert les médias citoyens. Il s'est mis à poster des statuts Facebook en rangi, à la consternation de ses amis. Il n'a même pas pu convaincre les locuteurs de rangi d'utiliser leur langue en ligne, car beaucoup de leurs amis parlaient anglais. Les langues semblent bénéficier et souffrir des mêmes effets de réseau que les sites de réseaux sociaux eux-mêmes.

indigenoustweets.com Twitter List [10]

Oliver a alors commencé à écrire des tweets en rangi, et a découvert indigenoustweets.com [11], où Kevin Scannell identifie et suit les tweets postés dans les “petites” langues. La liste en représente une bonne centaine, avec les twitteurs les plus influents pour chacune (mesurés en suiveurs). Les tweets d'Oliver en rangi figurent sur la liste. Il a fourni à Kevin 150 pages de texte en rangi, incorporés dans le logiciel de sorte que cette langue est désormais reconnue lorsqu'utilisée en ligne.

L’African Network for Localization [12] (ANLOC; Réseau africain de localisation) organise des forums en langues locales [13].
Oliver a lancé un groupe Facebook pour les locuteurs de rangi, et après des années de tâtonnements, le groupe a crû à 26 membres en l'espace de deux heures. Les efforts précédents d'alphabétisation avaient porté leurs fruits, en nombre d'individus sachant écrire la langue. Le groupe compte maintenant plus de 300 membres, et fonctionne quotidiennement en Tanzanie et dans le monde. Un locuteur de rangi à Miami a pu utiliser le groupe pour entrer en contact avec un locuteur de rangi du Minnesota de passage pour un voyage d'affaires. Parmi les difficultés, il y a les caractères spéciaux de la langue Rwangi, ardus à représenter en ligne. Accentuate.us [7] est un service excellent, mais le rwangi repose sur des caractères particuliers.

Oliver fait aussi partie du comité des langues de Wikimedia et est un rédacteur de Wikipedia Swahili. Il y a un vrai débat sur le swahili, qui n'est en rien une langue menacée, mais est sous-représenté en ligne. Global Voices a eu du mal à trouver des traducteurs en swahili, avec pour effet des mois sans contenu frais en swahili sur le site.

EndangeredLanguages.com screenshot of languages by location [14]

La semaine passée, Google a lancé son opération EndangeredLanguages.com [14] avec l'Alliance pour la Diversité Linguistique. Le premier défi est de compter les langues menacées de disparition. L'initiative Google liste plus de 3.000 langues, dont certaines sont plutôt sous-représentées que menacées. Seules 285 langues ont une édition Wikipedia de quelque importance (et beaucoup moins, une édition consistante). Le fossé entre les 3.054 langues recensées par Google et les 285 éditions Wikipedia illustre le défi de mettre en ligne les langues en danger.

Un collectif travaille en Roumanie à localiser les logiciels, et rencontre des difficultés comme l'invention de nouveaux termes pour des objets modernes tels l'ordinateur. Rising Voices offre des micro-financements [15] pour amplifier les voix des communautés sous-représentées, dont trois pour des gens qui travaillent à faire revivre des langues sous-représentées :

Convergence linguistique en ligne

Il s'avère qu'avec la langue en ligne, ce sont les plus courantes et dominantes qui l'emportent par défaut. Une personne a écrit sur le mur d'un ami en quechua, qui a répondu en espagnol. Surtout sur Facebook, les gens écrivent dans la langue comprise par la majorité de leurs amis. Oliver suggère pour solution de créer un espace en ligne dédié où une langue sous-représentée peut être pratiquée. Ceux qui viennent sur les forums en rangi en n'écrivant qu'en swahili sont éconduits. Les normes de langue peuvent être appliquées sur un forum en ligne de la même façon que toute autre norme communautaire.

Avec la mondialisation croissante, on cherche la conformité. En Afrique, les gens viennent dans les villes et apprennent l'anglais et encore plus le chinois. Même les langues qui n'étaient pas auparavant en danger le deviennent, parce que les enfants fraîchement urbanisés n'étudient ou n'utilisent pas leur langue maternelle. Nous parlons tous l'anglais dans ces tables-rondes, et le concept de lingua franca [17] n'a rien de neuf.

Un membre de l'auditoire raconte une blague linguistique : le finnois est une langue si difficile que lorsque deux Finlandais veulent vite se dire quelque chose, ils le font en anglais.

Autre blague : Quelle langue est plus proche du paradis, le hongrois ou le finnois ?
Peu importe, il faut l'éternité pour les apprendre l'une comme l'autre.

La traduction automatique, une solution ?

Google Chrome, et désormais Gmail, proposent une traduction incorporée. Bing fournit une traduction de statuts Facebook. Ça n'est pas parfait, mais ça aide à deviner de quoi il s'agit. Et ça marche bien entre le finnois et le hongrois. Mais c'est horrible avec le swahili. Il faut de nombreux traducteurs humains pour améliorer les algorithmes de l'automatisation. Il y a peu de chances d'avoir jamais une option automatisée pour les langues menacées, en l'absence de corpus pour éduquer la machine.