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Chine: la lutte des ONG dans l'ombre du gouvernement

Catégories: Asie de l'Est, Chine, Développement, Education, Gouvernance, Médias citoyens

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Cui Yongyuan [1], un présentateur célèbre de la chaîne China Central Television, a récemment critiqué [2] les haut-fonctionnaires chargés de l'éducation de la province du Hunan pour leur indifférence manifeste à un projet de formation des professeurs en milieu rural. Sur Sina Weibo, plateforme de microblogging chinoise, Cui rapporte les propos [2] des officiels de la commission d'enseignement du Hunan : “Nous ne nous opposons pas mais ne soutenons ni ne cherchons à participer au Projet Enseignements Ruraux.”

Le programme, qui vise à sélectionner des centaines d'enseignants de campagne en vue de les former, est financé par une association caritative privée dirigée par Cui. Face à ces “trois non”, Cui a répondu avec colère “Aucun effort, aucun principe, aucun honneur !” L'intégralité de sa réponse a été publiée sur NDdaily [2].

Un gouvernement surpuissant

Image of Cui's Weibo post that sparked debate.

Capture d'écran du billet de Cui sur Weibo qui a lancé la controverse.

La Chine est depuis longtemps perçue comme dotée d'un “gouvernement fort” et d'une “société faible” et de nombreux citoyens aspirent à un changement [3]. La plupart des organisations non-gouvernementales (ONG) et associations caritatives chinoises sont encore jeunes et doivent souvent requérir l'aide du gouvernement [4] pour mener leurs actions.

Mais selon le China Charity Donation Report de 2011 publié sur le site people.com.cn [5], plus de 58,3% des dons privés en 2010 ont été détournés au profit du gouvernement ou d'associations contrôlées par le gouvernement, et seulement 1,3% des dons sont parvenus aux ONG d'intérêt général.

 

58.3 percent of private donations were channelled directly or indirectly to the Chinese government in 2010. Image source Digital Zhongguancun. [6]

En 2010, 58,3% des dons privés ont été détournés au profit direct ou indirect du gouvernement chinois. Source de l'image Digital Zhongguancun.

La lutte des ONG

La réaction de Cui a rapidement pris de l'ampleur et a déclenché un débat national sur la relation entre le gouvernement et les ONG en Chine. Certains critiquent les autorités du Hunan et leur refus de supporter des projets civiques tandis que d'autres affichent leur désaccord avec Cui Yongyuan.

Le China Media Project mené par l'Université de Hong Kong a traduit [7] l'avis de Yan Lieshan, chercheur spécialisé dans les médias chinois, sur la question. Selon Yan, qui a lui aussi organisé des programmes d'éducation dans les campagnes, il est impossible de mener à bien un projet lié à l'éducation sans l'accord du gouvernement car le secteur éducatif est contrôlé par l'Etat [8] :

没有湖南省教育主管部门的同意,也根本不可能进行。如果“越过”省教育厅,直接找“下边的”市县教育部门,“下边的”教育官员会为难;如果没有教育主管部门的同意,极少有校长敢“擅自”同意他的教师进京。什么叫“不反对”?人家免费帮助培训你辖区的教师,你有什么理由反对?说得倒好像他本来有权力反对,现在宽宏大量“不反对”,小崔们应该谢恩似的, 人家做好事,你凭什么“不支持”?

Rien ne peut se faire sans l'accord des autorités en charge de l'éducation dans la province du Hunan. Si Cui contournait l'avis officiel et appliquait son programme directement sur place, les petits fonctionnaires locaux se retrouveraient en mauvaise posture. Et sans l'autorisation explicite des autorités locales, peu de directeurs d'école oseraient laisser leurs enseignants y participer. “Qu'entendent-ils [les autorités chargées de l'éducation au Hunan] par “nous ne nous opposons pas” au programme de formation ? Pourquoi s'opposeraient-ils à un programme par lequel des gens financent la formation des enseignants de leur région ? Ils ont l'air de suggérer qu'ils ont le droit de s'y opposer, et que Cui devrait leur être reconnaissant de ne pas le faire. Quand quelqu'un veut faire une bonne action, comment peut-on “ne pas le soutenir” ?

Une question d'indépendance ?

Dans le quotidien chinois Southern metropolis [9], l'influent journaliste d'investigation Guo Yukuan (郭宇宽) exprime une opinion différente :

NGO是非政府组织,天然就和政府有一定距离,正是因为政府工作有其自身逻辑,NGO独立的探索才有其特别的意义。特别是乡村教师的培训,如果是教育厅牵头组织的,那一定是官方色彩非常浓厚的,民间的探索完全可以是个性化的。

Les ONG devraient vraiment garder leurs distances avec le gouvernement. Le gouvernement fait des affaires comme il l'entend, ce qui donne tout leur sens aux ONG indépendantes. Des programmes comme cette formation des enseignants en milieu rural, s'ils étaient menés par le gouvernement, deviendraient bureaucratiques et superficiels. Se diriger vers des partenariats d'intérêt général serait une meilleure solution.

Le commentateur de l'actualité Wei Yingjie (魏英杰) rejoint l'avis de Guo [10], insistant sur le fait que les ONG doivent rester indépendantes :

但要搞清楚的是,政府该如何支持民间公益。政府对民间公益活动,自然应持欢迎态度,并提供各种便利。在一些情况下,政府出资购买民间公益组织的社会服务,也不失为弥补政府职能欠缺的一种办法。但是让政府部门发公文,要求下属部门配合民间公益活动,或者直接参与其中,扮演民间公益组织的角色,这肯定不是合理途径。这样做,政府职能与民间公益只会重叠一起,使得民间公益变得面孔暧昧。其结果是,民间公益组织要么变成官方慈善机构,要么沦为政府部门的应声虫。

La question est la suivante : dans quelle mesure le gouvernement devrait-il soutenir les ONG ? Bien sûr, le gouvernement devrait les soutenir et leur apporter son aide. Dans certains cas, il peut même offrir ses services aux ONG en supplément de leur propre travail. Cependant, il n'est pas raisonnable de réclamer que le pouvoir central se mêle directement des activités des ONG ou que les agences gouvernementales s'associent aux ONG. Cela pourrait brouiller les limites entre les ONG et le gouvernement, voire même les estomper totalement en rendant les ONG totalement dépendantes du pouvoir central.