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Madagascar : Les leçons à retenir d'une nouvelle mutinerie

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Madagascar, Dernière Heure, Gouvernance, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique

Ce dimanche 22 Juillet, un nouvel affrontement entre militaires dans les casernes à Ivato à Madagascar a fait 3 morts et 4 bléssés dont le caporal Koto Mainty, ancien garde du corps de l'ancien ministre des forces armées général Noël Rakotonandrasana. Comme lors des précédents affrontements, cet accrochage arrive à la veille d'une tentative de rencontre entre le leader de la transition Andry Rajoelina et l'ancien président Marc Ravalomananana ce mardi 24 Juillet aux Seychelles. Les citoyens malgaches n'ont pas manqué de noter que cette tentative de déstabilisation suit un schéma bien trop familier maintenant et se demandent à qui profitent ces perturbations avant chaque tentative de médiation.

Un scénario bien trop familier

Ce n'est pas la première fois depuis le changement de pouvoir en 2009 qu'un affrontement éclate entre militaires à l'aube d'une nouvelle tentative de médiation et de sortie de crise.  Le journaliste Rianasoa était à Ivato et donnait des nouvelles en temps réel [1] sur son compte twitter du déroulement des événements et Newsmada illustre par un photo-reportage [2] le déroulement de la mutinerie.

Le blog Fijery note avec humour que le scénario était aussi prévisible qu'un film hollywoodien [3] :

 Dès l’annonce de la rencontre du 24 juillet 2012 aux Seychelles [4] entre le Président Ravalomanana et Monsieur Rajoelina, j’avais parié avec un ami qu’on risquait de voir apparaître un évènement incongru dans les jours qui suivent pour servir de prétexte à annuler ou reporter le Sommet.  Pari gagné, et un dîner bien carnivore à la clé : l’expérience des trois dernières années commence à valoir science, et les choses deviennent tellement prévisibles qu’elles finissent par perdre de l’intérêt. Avec de telles pitreries, comment voulez-vous que le monde entier nous prenne au sérieux et que nous ne finissions plus qu’être  des personnages de dessins animés ? [..]On se souviendra de l’attaque de Viva et des bombinettes artisanales avant une réunion prévue à Addis-Abeba (juillet 2009) ; du tir contre la voiture de Rajoelina avant Maputo III (décembre 2009) ; et d’une affaire de coup d’État révélée au grand jour juste avant une réunion prévue à Johannesburg (avril 2010) [..] Le ballet semble être bien réglé. Scène 1, avant chaque tentative de réconciliation, une affaire « fumante et croustillante » apparait. Scène 2, les super-enquêteurs malgaches, gendarmes, policiers et griots à la solde de la Haute autorité de la transition (HAT), trouvent en quelques heures, si ce n’est minutes, voire secondes, le coupable : le camp Ravalomanana. Scène 3, la HAT annonce qu’elle ne participera pas à la réunion de négociation prévue »


Vidéo des affrontements entre militaires

Reflexiums ajoute que le déroulement des mutineries est réglé selon un processus bien établi [5]:

  • Tôt le matin, une caserne militaire proclame une mutinerie
  • Quelques heures, l’EMMO-REG (armée régionale) débarque sur place
  • Quelques minutes plus tard, les échanges de coup de feu commencent
  • Quelques secondes plus tard, les négociations commencent

 

Même les diplomates à Madagascar semblent partager cette notion de scénario prémédité.  Newsmada remarque sur son compte twitter [6] que l'AFP écrit dans son rapport [7] que :

Une source diplomatique a évoqué une possible mise en scène destinée à impressionner la communauté internationale et à perturber la rencontre entre Rajoelina et Ravalomanana. Ces troubles confirment en tout cas la situation toujours volatile et tendue dans la Grande Ile.

[8]

Un soldat vise avec son arme à feu sous le regard des citadins. Photo sur twitter via @RyMakao (CC-license-BY)

A qui profite l'enlisement de la crise ?

La BBC dans son rapport sur la mutinerie note que l'armée a toujours joué un rôle prépondérant [9] dans la politique malgache [en]:

The army plays a major role in Madagascar's society, frequently meddling in politics. It backed Mr Rajoelina's 2009 seizure of power from Marc Ravalomanana. In 2002, the army had also helped Mr Ravalomanana to seize power in similar fashion when he led street protests against the previous Marxist administration.

L'armée joue un rôle majeur dans la société malgache et souvent partie prenante en politique. Elle a soutenu la prise de pouvoir par Rajoelina au dépens de Marc Ravalomanana en 2009. En 2002, l'armée a aussi aidé M. Ravalomananana à prendre le pouvoir quand il fut à la tête des protestations contre le précédent régime marxiste.

Michael Rakotoarson souligne que les intêrets financiers des soldats de l'armée malgache sont un facteur non-négligeable [10] dans l'enlisement de la crise:

Revenons donc à cette histoire de mutinerie, maintenant que nous avons rappelé à la base que ce régime de coup d’État est une œuvre de l’armée, dont elle en tire d’ailleurs une juteuse manne financière. Par définition une mutinerie, ou rébellion est un mouvement de protestation contre le détenteur de l’autorité. Hors en l’occurrence, il s’agit de l’armée elle-même. Ces évènements ne sont donc au mieux qu’une risible histoire de règlement de compte (c’est le cas de le dire) entre les vils poinçonneurs de la sueur et des tracas du bas peuple.

RFI note de son côté qu'il est difficile de comprendre les objectifs [11] de ce soulèvement :

Les mutins n’ont pas transmis de communiqué officiel aux journalistes sur les lieux. Ils ont simplement fait une courte intervention sur la radio privée d’opposition FreeFM pour annoncer la dissolution des institutions et la mise en place d’un directoire militaire. Une annonce suivie d’aucune mesure concrète et d’aucun effet. Il est difficile de qualifier cette mutinerie de véritable tentative de coup d’Etat tant les moyens déployés sont minces. Certaines sources proches du dossier avancent que les mutins demandaient la démission du ministre des Forces armées et du chef d’Etat major. [..] Le fait est que cette mutinerie a eu lieu à la veille de la rencontre entre Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana, [..] La mutinerie a-t-elle été fomentée pour faire capoter la rencontre?

Le fait est que personne, même les forces armées ne semblent connaître les raisons exactes de cette mutinerie. Le Courier International rapporte que [12] :

Le ministre des Forces Armées, André Lucien Rakotoarimasy, a déclaré qu'il s'agissait d'”une mutinerie fomentée par quelques éléments” et affirmé “ne rien savoir de ce qu'ils veulent”.

Si la  majorité des Malgaches montrent du doigt l'armée sur les causes de ces affrontements, Randy propose une autre raison [13] sur les motifs de cette mutinerie. Randy pense que le camp de l'ex-president Ravalomanana prefererait qu'un directoire militaire remplace la transition actuelle.

Le blog Fijery pense qu'il faut plutôt regarder du côté de ceux à qui  le retour possible de Ravalomanana pourrait nuire [3] :

La rencontre prévue aux Seychelles pouvant déboucher sur ce retour, il est logique que ceux qui trouvent un intérêt commun à l’empêcher cherchent à s’associer. Que ce soit ceux qui veulent s’accrocher unilatéralement au pouvoir ; ceux qui ne veulent pas rendre des comptes sur leurs actes en 2009 et après ; ceux qui ne veulent pas voir leur business juteux mais pas toujours très clair prendre fin (racket des grandes entreprises, bois de rose…) ; ceux qui profitent de l’argent salement gagné  pour investir dans l’immobilier mauricien ; ceux qui se présentent comme sucrés mais plongent sans vergogne les investisseurs miniers dans l’amertume ; et de manière générale, ceux qui tirent profit de l’atmosphère actuelle d’anarchie et de gabegie.

Reflexiums conclut que chercher à savoir qui sont à l'origine de ces affrontements est un excercice bien futile. Les Malgaches devraient plutôt se demander pourquoi ils continuent de subir le même scénario ad vitam eternam [5] :

J’avais dis que nous sommes des spectateurs, mais je me trompais, car nous sommes les producteurs de ce navet qui se répète sans cesse. Nous permettons à ces abrutis de continuer leur jeux politico-politiciens par notre apathie alors pourquoi se plaindre hein ?