- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Kibera : Mieux faire connaître les communautés marginalisées

Catégories: Kenya, Développement, Education, Femmes et genre, Médias citoyens, Rising Voices

Ce billet fait partie d'une série provenant de la collaboration de Global Voices avec Map Kibera et Map Mathare [1] lors du Sommet de Global Voices [2] à Nairobi en juillet 2012.

Texte de Leila Nachawati Rego [3]

Lors du Sommet 2012 de Global Voices à Nairobi, un groupe de membres de l'organisation s'est rendu à Kibera, le plus important bidonville du Kenya et l'un des plus peuplés du monde. Lors de notre visite, nous avons rencontré des responsables locaux et des acteurs de Map [4]Kibera Trust [4] [en anglais comme tous les liens du billet], qui s'efforcent de sensibiliser le monde extérieur aux besoins des habitants de Kibera à travers l'utilisation de la vidéo et des médias sociaux.

[5]

Image courtesy Map Kibera

Alors que des élections générales sont prévues début 2013 au Kenya, d'aucuns craignent une nouvelle poussée de violence qui précipiterait le pays dans le chaos, à l'image de ce qui s'était passé suite à l'élection présidentielle du 27 décembre 2007 [6]. A l'époque, l'annonce de la victoire de Mwai Kibaki avait déclenché une crise à la fois politique, économique et humanitaire. Les observateurs internationaux avaient fait état de fraude électorale ; des violences visant essentiellement la communauté Kikuyu, à laquelle appartient Kibaki, avaient alors éclaté, suivies de près par des actions de représailles à l'encontre de groupes de partisans d'Odinga, candidat du parti de l'opposition.

Les responsables locaux Hamza Ahmeda et Tobias Omondi s'efforcent d'empêcher les affrontements tribaux auxquels poussent les partis politiques dans le but de gagner des voix. D'après Hamza Ahmeda, de l'organisation Interfaith Women of Peace, “les hommes politiques des différents partis s'entendent bien, on les voit prendre le thé ensemble tout le temps. Pourquoi donc s'entretue-t-on alors ?” Elle souligne également le besoin de travailler  à un processus de réconciliation :

“Les gens ne parviendront pas à pardonner ni à se réconcilier tant qu'ils ne parleront pas, ni admettront ce qu'ils ont fait et engageront un vrai dialogue, certes douloureux mais nécessaire. Ca ne sert à rien de demander pardon à Dieu si vous n'avez pas d'abord adressé votre requête à vos victimes. Dieu ne vous pardonnera qu'après que vous vous soyez pardonné vous-même.”

Tobias Omondi est membre du parti libéral Orange Democratic Movement. Il œuvre en faveur de l'intégration sociale des personnes handicapées en essayant de combattre le phénomène de rejet dont souffrent plus de 4 millions de Kenyans. Il est inscrit dans la Constitution du pays que 5 % des emplois gouvernementaux doivent être occupés par des travailleurs handicapés, mais la majorité des citoyens l'ignorent. “Ils ne postulent pas. Parfois, ils n'ont pas non plus le niveau d'éducation requis pour un emploi donné et nous tentons d'agir dans ce domaine aussi.”

Tous les deux s'efforcent de faire prendre conscience aux gens de l'importance de bien choisir pour qui voter et de s'assurer que le parti qu'ils veulent voir élu les représente réellement et mettra bien tout en œuvre pour satisfaire leurs besoins. “Les représentants des partis les plus importants ne se déplacent jusqu'à Kibera que lorsqu'ils ont besoin de nos voix”, fait remarquer Ahmeda. “Nous voulons élire un dirigeant qui sera à notre écoute, qui travaillera avec nous. Vous avez vu nos conditions de vie ? Combien de temps cela va-t-il encore durer ?”

[7]

Des maisons de Kibera. Sur le toit de certaines, on peut apercevoir les restes des affiches apposées en 2009, dans le cadre de son projet Women are Heroes, par l'artiste français JR. Photo de Laura Schneider (GV Flickr)

C'est dans le but d'aider la population à réaliser l'importance de ces enjeux, et bien d'autres encore la concernant, qu'un groupe de jeunes habitants de Kibera a monté Map Kibera Trust en avril 2010, avec l'aide de quelques subsides de l'Unicef et de Hivos. N'ayant au départ aucune connaissance technique, ils se sont formés eux-mêmes au maniement de petites caméras numériques pour commencer à rassembler des informations relatives aux bidonvilles de Kibera et de Mathare et les cartographier grâce au logiciel en ligne et libre d'accès Ushahidi. Ils ont ainsi répertorié des données permettant de localiser les points d'eau, les toilettes publiques, les centres médicaux, les écoles non officielles, les églises et les mosquées, les vidéoclubs, les diverses organisations communautaires, etc. “Nous essayons de faire mieux connaître ces populations marginalisées, explique Kefan Guito. Si vous n'êtes pas sur la carte, vous n'existez pas. Avant, Kibera n'était qu'un espace vide sur la carte : qui voudrait investir en un lieu où il n'y a rien ni personne ?”

Voice of Kibera [8] est l'un des projet portés par Map Kibera Trust. Il s'agit d'un site internet accessible à la communauté pour partager en ligne des informations sur des incendies, des accidents et autres situations d'urgence. Les utilisateurs se servent de leur téléphone portable pour transmettre leurs infos sur la plateforme. Les SMS sont plutôt bon marché au Kenya et c'est pourquoi, selon les coordinateurs du projet, cette méthode est efficace pour informer et réagir sur des questions utiles à la communauté.

Kibera News Network [9] est un autre projet de Map Kibera Trust qui vise à réaliser des interviews d'acteurs essentiels de la communauté et à replacer les histoires dans leur contexte afin de donner plus de poids et de sens aux données rassemblées. Ses responsables plaident différentes causes et cherchent à éveiller les consciences au travers de projections publiques de leurs vidéos. L'une des plus grandes réussites a été l'histoire intitulée “Le problème de l'eau à Kibera”, qui montrait les pénuries d'eau rencontrées en de nombreux endroits du bidonville. Beaucoup d'habitants de Kibera n'avaient pas accès à l'eau et les vendeurs d'eau faisaient payer leur marchandise de plus en plus cher. A la suite de la projection du film, le conseil municipal de Nairobi a organisé un forum de discussion sur la question et une solution a été trouvée dans la foulée. A partir de ce moment là, l'eau a été vendue moins chère.

Parmi les autres projections, il y a eu celle relative au Kimbilio forum [10], qui s'est tenu afin de sensibiliser les habitants aux questions liées à la violence envers les femmes, ou celle montrant une action collective de nettoyage [11] organisée pour faire se rapprocher les gens et promouvoir la paix.

Interrogés sur les moyens dont dispose Kibera News Network, Stephene Oduor et Joshua Ogure dressent rapidement une liste de six petites caméras numériques et six ordinateurs. “Nous réfléchissons à monter des partenariats avec les médias classiques. Nous avons besoin d'aide pour pouvoir continuer notre action”, dit Stephene Oduor. “Le problème, c'est que beaucoup d'habitants de Kibera n'ont pas accès à Internet, ajoute Joshua Ogure. Une importante part de notre travail se déroule donc dans les espaces que nous devons louer pour projeter nos films. Ces projections sont notre moyen de sensibiliser, de débattre, de recueillir des informations sur d'autres histoires à couvrir et sur ce qui est important aux yeux de la communauté.”