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Liban : une émission-télé homophobe provoque une rafle dans un cinéma pour homosexuels

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Liban, Droits humains, LGBTQI+, Média et journalisme, Médias citoyens

[Liens en anglais, sauf mention contraire] Le 28 juillet, 36 hommes ont été arrêtés [1] [en arabe] à Beyrouth pour se livrer à des “activités homosexuelles”. La rafle a eu lieu dans le quartier de Bourj Hammoud, au cinéma Plaza, considéré comme un lieu de drague homosexuelle. La police libanaise a également  effectué d'autres descentes dans des lieux réputés être des “lieux de débauche et de prostitution”.

Par ailleurs, les personnes arrêtées ont été soumises à des examens rectaux [2], supposés [3]apporter la preuve de leur homosexualité. Ces examens sont basées sur des connaissances médicales dépassées du 19ème siècle, et sont considérées aujourd'hui comme des atteintes à la dignité humaine et à une forme de torture par les codes internationaux des droits humains.

Ce raid de la police intervient après des mois d'une campagne menée [4] [arabe] par une émission célèbre de la télévision libanaise diffusée sur Murr TV (MTV), “Anta Hurr“, qui incite à l'homophobie [5] [arabe].

Le Lebanese LGBT Media Monitor, une initiative du collectif LGBT libanais Raynbow, avait publié [6] sur son site ce post sur cette campagne anti-gay :

Un nouveau reportage outrancier sur MTV, la station de télé libanaise désormais célèbre pour sa bigoterie, son racisme, son homophobie et ses incitations à la haine, a été diffusé le  8 mai 2012. Cette émission d’Anta Hurr (أنت حر   “Vous êtes libres” en arabe) a utilisé une caméra cachée dans une salle de cinéma pour adultes réservée aux hommes, dans la deuxième ville du Liban, Tripoli.  La vidéo montre des ombres chinoises d'hommes en train de se masturber et un bref tchat à caractère sexuel avec l'un d'entre eux. [Le présentateur] Joe Maalouf a appelé les autorités à fermer définitivement la salle de cinéma.  Le jour suivant, le  cinéma Hamra de Tripoli a été fermé, sans aucune prise de position officielle ou personnelle d'un responsable politique.

[7]

Photo publiée sur la page Facebook du groupe LGTB libanais  “The Lebanese LGBT Media Monitor”.

Le raid de la police a provoqué des réactions indignés chez les blogueurs homosexuels libanais. Le  blog [8] Gay in Beirut a publié ce commentaire :

Quoi que l'on puisse penser des lieux où ont eu lieu les rafles – louches, dégoûtants, immoraux – ils existent même dans les villes arabes les plus conservatrices. Il y en a à Damas, il y en a à Amman. Ce ne sont pas des lieux qui témoignent d'un “excès de liberté”, mais bien au contraire, ils sont un symptôme d'une société fermée et homophobe. Ils représente la seule possibilité pour les homos d'avoir des rapports occasionnels.

Des commentaires furieux ont été publiés sur la page Facebook [9] de Joe Maalouf, le présentateur de l'émission. Hasan Abdessamad [10] a déposé ce commentaire [11] :

ça fait quoi de faire arrêter 36 hommes, de les enlever à leurs familles, de les arracher à la sécurité de leur “placard”, de les mettre sous la lumière cruelle de votre jugement sans pitié, de leur faire risquer de perdre leur emploi et de les jeter en prison après avoir été abusés et soumis à un “examen rectal de dignité” ? Pourquoi vos cibles sont-elles toujours les marginaux et les faibles ? Attaquez-vous aux corrompus au pouvoir, en costume cravate, qui causent vraiment du tort à la société libanaise. Avant, j'aimais bien regarder votre émission, maintenant, je ne veux même plus regarder la chaîne  MTV Liban, du tout.

Dans un retournement inédit de situation, certains utilisateurs libanais de Facebook et Twitter ont répandu des rumeurs selon lesquelles Joe Maalouf était lui-même gay. Une vidéo [12] [arabe]  “Joe Maalouf est gay” a commencé à circuler contenant des photos de Joe Maalouf supposément sur l’île grecque de Mykonos [13], une destination gay.  Certains ont protesté contre ces rumeurs sur la vie privée de Joe Maalouf et les considèrent comme dommageable à la communauté gay au Liban.  Raja Farah, un blogueur qui se définit comme “gay, athée, activiste, pacifiste, et arabe”, a écrit dans son post  “36 hommes en prison et un à la télé ” [14]:

On dirait que voici quelques heures, quelqu'un (aucune idée de qui c'est) a lancé une campagne pour faire sortir Maalouf du placard, en mettant en ligne sur YouTube une vidéo et un article en ligne. Je me suis souvenu immédiatement que ce genre de tactiques sont horribles. Alors que l'affaire des arrestations dans le cinéma continue à rebondir, notre priorité numéro un doit être la protection de la vie privée, de la sécurité et du bien être de ces hommes. Cela devrait être notre priorité et notre but. La sexualité de Joe Maalouf n'y changera rien. Il peut être nocif, il peut être homophobe, il peut être le diable en personne, ça ne change rien. Le faire sortir du placard n'aidera pas les hommes qui sont en détention (au commissariat de police de) Hbeish et cela ne nous aidera certainement pas. Nous ne combattons pas la haine avec la haine et nous ne combattons pas l'homophobie par l'homophobie.

[15]

Photo publiée sur la page Facebook de Helem.

Selon Helem [16], une association basée au Liban d'information et de soutien aux LGTB, l'article 534 du Code pénal stipule que  “l'acte sexuel contraire à la nature” peut entraîner une peine d'au maximum un an de prison.  Cet article de loi est utilisé par la classe dirigeante libanaise pour criminaliser l'homosexualité chez les simples citoyens et étouffer un débat démocratique sur la sexualité.

L'article 534 fait partie de l'héritage colonial français au Liban, légué durant les mandats français d'administration de  la Syrie et du Liban entre 1920 et 1946. De fait, beaucoup des lois contre l'homosexualité ont été instaurées par les puissances coloniales [17] dans les législations nationales de plusieurs pays en Afrique, Asie et au Moyen Orient. Plusieurs associations LGTB au Liban font campagne [18] pour abolir l'article 534. En décembre 2009, HELEM a publié un rapport [19] sur le statut législatif de l'homosexualité  dans le monde arabe.

L'incident avait eu un précédent [20] au Caire en 2001, quand la police avait effectué une descente dans une discothèque : des dizaines d'hommes avaient été emprisonnés après avoir été soumis à un examen anal.

Cette affaire contredit l'image communément admise d'un Beyrouth tolérant, considéré comme une destination privilégiée du  tourisme gay [21].