Les recherches, la rédaction et l’édition de la plus grande partie du bulletin de veille de ce mois-ci ont été réalisées par Rayna St, Jillian C. York, et Hisham AlMiraat. La traduction en français a été réalisée par Suzanne Lehn et Claire Ulrich.
Le numéro de lancement du Netizen Report, édition Moyen Orient et Afrique du Nord est consacré à la cyber censure, aux menaces qui pèsent sur les blogueurs ou les internautes, et aux réglementations bientôt en vigueur en Jordanie et en Irak. Outre les rubriques régulières de l’édition hebdomadaire du Netizen Report Monde, nous avons ajouté une catégorie consacrée aux blogueurs disparus ou emprisonnés, un phénomène malheureusement courant dans cette partie du monde.
L’idée d’une édition spéciale consacrée au Moyen Orient et à l'Afrique du Nord de notre bulletin de veille, le Netizen Report, s’est concrétisée durant le récent Sommet de Global Voices. Il permettra de couvrir les nombreux problèmes locaux et spécifiques que rencontre l’Internet libre dans certaines régions du monde.
Cyber censure
Un projet de loi présenté au parlement tunisien par le parti au pouvoir, Ennadha, la semaine dernière, pourrait faire des atteintes aux “valeurs sacrées” un délit et sanctionnerait de fait les contenus et propos tournant en dérision la sainteté de la religion par des peines et amendes lourdes. Si ce projet de loi est voté, il affectera sans aucun doute les utilisateurs d’Internet ; en mars dernier, deux jeunes hommes ont été arrêtés et condamnés à 7 ans d’emprisonnement pour « atteinte aux bonnes mœurs et trouble à l’ordre public », pour avoir supposément mis en ligne des images représentant le prophète Mahomet nu.
Le ministère jordanien de l'Information et des technologies de communication a récemment annoncé publiquement que ses services travaillaient avec une société australienne au développement d'un système destiné à filtrer les contenus pornographique. De plus, les fournisseurs d'accès à internet jordaniens ont reçu des directives de la Commission de régulation des télécommunications (TRC) leur enjoignant de bloquer ce type de contenus. Les décisions du gouvernement font suite à des protestations de citoyens, demandant la censure des contenus “immoraux”. Les citoyens qui s'opposent à la censure ont lancé une pétition.
Brutalités
Le Centre pour les droits humains des Émirats a annoncé début juillet qu'Ahmed Abdoul Khaled avait été expulsé vers la Thaïlande avec un passeport de convenance comorien, après avoir été interdit de séjour aux Émirats Arabes Unis. Abdoul Khaleq, qui est né et a été élevé dans les Émirats, est un blogueur [fr] et activiste qui fait partie de la minorité apatride des Bidoun. Il avait déjà été emprisonné en 2011 avec quatre autres activistes pour avoir appelé pacifiquement à des réformes démocratiques dans une discussion en ligne sur la plate-forme émirati Hewar. Leur cas – connu comme “UAE5”— est considéré comme une affaire politique, ce qui fait d'Abdoul Khaleq un ancien prisonnier d’opinion. Des associations internationales de défense des droits humains se sont intéressées à cette affaire, et dénoncent la répression toujours plus sophistiquée aux Émirats. Le cas d’Abdoul Khaleq en est l’illustration parfaite, la première de son genre où le seul choix présenté à un détenu est de rester aux EAU en détention illimitée ou d’être expulsé vers la Thaïlande, où il ne connaît personne. La répression contre les dissidents se poursuit par ailleurs aux Émirats, avec l’arrestation supplémentaire de dix islamistes depuis l'ouverture par les autorités d'une enquête sur des groupes qui comploteraient contre « la sécurité de l’État » depuis l’étranger. Ceci suit une autre vague d’arrestations arbitraires d’internautes et de militants, dont 17 sont toujours en détention.
L’ancien Premier ministre du Koweït Muhammad Al Juwaihal a été arrêté pour avoir supposément tweeté de façon hostile aux membres de la tribu Mutayr [fr]. L’émir du Koweït a demandé la pleine application de la loi contre Al Juwaihal et ses partisans. L’ancien Premier ministre est connu pour ses opinions populistes et une position très ferme contre la naturalisation des Mutayr, avant même d’avoir été élu au parlement. Gulf News a publié un article selon lequel le Amiri Diwan (siège du gouvernement koweïtien) a condamné une publication sur Twitter visant les petits-fils du prophète Mahomet. Selon un quotidien koweïtien, l'auteur du commentaire n’a pas la nationalité koweïtienne et son compte sur les médias sociaux a été ouvert depuis un autre État du Golfe.
Le 9 juillet, un tribunal d’Oman a condamné quatre internautes à de la prison pour crime de lèse-majesté. Trois d’entre eux ont été condamnés à un an de prison, le quatrième à six mois de prison et à une amende. Selon le quotidien Muscat Daily, toutes les peines de un an de prison ont été données aux termes de la loi sur les crimes informatiques qui sanctionne l’utilisation d’internet ou d’autres technologies pour diffuser des insultes ou encourager des critiques envers les valeurs de la religion. La condamnation la plus légère est prévue par la loi sur les crimes informatiques qui punit la diffamation publique de « sa Majesté le Sultan ou son autorité ». Quelques jours plus tard, l’agence Reuters a annoncé que six autres internautes avaient également “été condamnés à de la prison pour avoir diffamé les dirigeants dans des publications sur les médias sociaux”. Les charges sont également celles de lèse-majesté. Reporters Sans Frontières a appelé à leur libération en demandant expressément “aux autorités de reconsidérer ces condamnations”.
En Syrie, où se déroule actuellement une guerre civile, Reporters Sans Frontières constate que le nombre de journalistes citoyens tués et arrêtés augmente chaque jour, et le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) considère la Syrie comme l’endroit le plus dangereux au monde pour les membres de la profession. Tout récemment, on a appris qu’une jeune journaliste de Latakié, Fatima Khaled Saad, avait été détenue pendant plus d’un mois sans savoir quelles charges étaient retenues contre elle. Il se dit aussi dernièrement que Mazen Darwish, directeur du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression serait jugé par un tribunal militaire. Mazen Darwish a été dans un premier temps incarcéré, ainsi que plusieurs de ses collègues, suite à un raid mené dans les locaux du Centre ; les femmes arrêtées ont par la suite été libérées, mais lui reste incarcéré, avec Hussein Ghreir, Hani Zetani, Mansour Al-Omari et Abdel Rahman Hamada.
À la suite d’un débat controversé sur les relations sexuelles hors mariage au Maroc, les ordinateurs des employés de l’Association marocaine pour les droits de l’Homme ont subi une attaque d’un cheval de Troie qui a permis à des individus de pirater son site. Le même cheval de Troie semble avoir été utilisé lors d’une attaque de plus grande ampleur ciblant un groupe d’activistes marocains qui ont reçu une série de mails infectés.
Le 9 juillet, un tribunal de Bahreïn a condamné à trois mois de prison le militant des droits de l'homme Nabeel Rajab pour un simple tweet. Nabeel Rajab y critiquait ouvertement le Premier ministre du Bahreïn, ce qui lui a valu une inculpation pour “injures publiques”.
Les Voix toujours menacées
Parmi les nombreuses voix de blogueurs qui restent menacées se trouvent Usamah Mohammed Ali, un militant soudanais connu sous le nom de @SimSimt sur Twitter ; Amnesty International a lancé une action urgente pour la libération de l'étudiant soudanais Siddig Salah Siddig al-Bashir ; Ali Abdulemam, le blogueur bahreïni entré dans la clandestinité et condamné par contumace à quinze ans de prison ; et Bassel (Safadi) Khartabil, blogueur et correspondant syrien de Creative Commons, disparu depuis mars, probablement détenu par les autorités syriennes.
Politiques nationales
Dans un rapport de 16 pages publié au mois de juillet, Human Rights Watch analyse et critique le nouveau projet de loi qui réglemente l'internet en Irak. L'organisme de surveillance des droits humains la condamne comme étant “une grave menace pour les journalistes, les dénonciateurs et les militants pacifiques”. D'après l'ONG, ce projet de loi fait partie intégrante des tentatives du gouvernement irakien pour museler la contestation.
Le Ministère jordanien des Technologies de l'Information et de la Communication a récemment déclaré publiquement qu'il travaillait avec une société australienne à développer un système de filtrage des contenus pornographiques. En outre, les fournisseurs d'accès internet du pays ont reçu des directives de la Commission de Régulation des Télécommunications (TRC) de bloquer ce genre de contenus. Les mesures du gouvernement ont suivi des manifestations de citoyens en faveur d'une censure des contenus “immoraux”. Les opposants à la censure ont lancé une pétition.
Cyberactivisme
Le site d'information indépendant Nawaat dénonce [fr] les diverses difficultés autour des initiatives de gouvernement ouvert (OpenGov) en Tunisie. Le bref article examine la “face cachée de la transparence” : il estime que les militants du gouvernement ouvert et les internautes engagés n'en font pas assez pour collecter et analyser les données déjà disponibles. Ce manque d'implication peut être utilisé comme “outil de sabotage”, avertit l'auteur, qui explique que les administrations publiques n'ont aucun mal à publier d'énormes flots de données et accuser les tenants de l'OpenGov d'inaction et d'insuffisante participation civique. Pour être informé régulièrement, vous pouvez demander à rejoindre le groupe Facebook OpenGovTn [français et arabe] et les suivre sur Twitter [français et arabe].
Sous le titre “Les Pirates veulent utiliser Internet pour changer la Tunisie”, la Deutsche Welle publie un article présentant le Parti Pirate tunisien et décrivant les difficultés rencontrées par cette jeune formation politique dans le paysage social et politique post-révolutionnaire de la Tunisie.
Le soulèvement qui se déroule au Soudan a une composante en ligne. Bien que la pénétration d'Internet dans ce pays d'Afrique s'attarde autour de 10%, des groupes technophiles comme Girifna (« On en a marre ») font appel à des tactiques d'organisation en ligne, tandis que les contestataires soudanais seraient en contact avec des activistes en Égypte, Tunisie et Syrie en quête de conseils pour contourner la censure et éviter la surveillance. Le site internet Sudan Revolts fournit une moisson de liens et informations.
Cybersécurité
Le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) analyse les dangers d'une faible protection des comptes e-mail et de réseaux sociaux. Danny O’Brien du CPJ examine l'exemple très récent des comptes Twitter de Reuters piratés par des partisans pro-Assad. Une telle effraction, dit O’Brien, fait partie de la guerre des média autour du soulèvement syrien, car des failles techniques du même genre mettent en danger l'objectivité de l'information en plaçant des récits falsifiés.
Maîtres du Cyberespace
Un nouveau projet, créé par l'entrepreneur palestinien Ramzi Jaber, a été annoncé au Sommet de Global Voices en juillet. Le projet OnlineCensorship.org dépiste les cas de retrait de contenu et de désactivation de comptes sur les plate-formes de réseaux sociaux comme Facebook, YouTube, et Twitter, à partir des signalements d'utilisateurs.
Surveillance
FinFisher, le logiciel-espion furtif qui aurait été adopté par la Sécurité d'Etat égyptienne par des responsables commerciaux, vient d'être déterré par des militants de Bahreïn et est examiné sous toutes les coutures par des chercheurs du Laboratoire citoyen de l’École Munk des Affaires Internationales de l'Université de Toronto, selon Bloomberg. En défense, le cadre supérieur de FinFisher Martin Muench a déclaré à Bloomberg que FinFisher “est un outil de surveillance des délinquants, et pour réduire le risque de détournement de ses produits la société ne vend FinFisher qu'aux États.” Une recherche complémentaire de la société de Boston Rapid7 a établi que cet outil était utilisé sur les cinq continents.
Le 20 juillet, la nouvellement désignée Secrétaire d’État française à l'Économie numérique, Fleur Pellerin, a déclaré à la radio qu'elle était “opposée à l'idée que son pays continue à vendre des technologies de surveillance à des régimes répressifs”. La déclaration a alimenté les spéculations sur les intentions de l'administration Hollande de cesser ses exportations de technologie de surveillance de masse à des pays tels que la Syrie, Bahreïn, le Maroc, le Gabon et le Cambodge. Le gouvernement français est un actionnaire majoritaire de grosses sociétés françaises de surveillance comme Bull, dont les systèmes ont notoirement équipé les services secrets des anciens régimes Kadhafi en Libye et Ben Ali en Tunisie.
Bonnes nouvelles
Les activistes égyptiens ont créé el3askarmap [en arabe], une cartographie exhaustive des officiers supérieurs de l'armée qui atterrissent dans des postes d'influence de l'administration civile après leur mise à la retraite. Le projet a déjà catalogué plus de 400 de ces anciens galonnés. On peut les suivre sur Facebook et Twitter.
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