France, Liban, Syrie : L'invraisemblable périple du vol Paris-Beyrouth

Le vol Air France Paris-Beyrouth du 15 août 2012 a viré pendant 20 heures au cauchemar pour ses passagers, probablement plus angoissant encore pour ceux de marque à son bord : l'ambassadeur de France au Liban, et des personnalités libanaises hostiles au régime de Bachar al-Assad, dont la liste n'a pas été rendue publique.

Boeing 747-440 d'Air France à l'atterrissage par caribb sur Flickr (CC BY-NC-ND-2.0)

Air France, invoquant des raisons de sécurité – une manifestation de chiites sur la route de l'aéroport de Beyrouth contre les enlèvements de leurs en Syrie – et à court de carburant, après une heure de tergiversations, a dérouté son vol sur… Damas. L'affaire s'est corsée, lorsque faute de moyens de paiement du kérosène en raison des sanctions imposées au régime syrien – notamment par la France -, l'équipage a  demandé aux passagers de se cotiser en argent liquide. Après quoi, l'avion a fait un crochet par Chypre pour se poser finalement à Beyrouth.

Insécurité à Beyrouth, sécurité à Damas ?

Sur Twitter, l'inquiétude immédiate et l'alarmisme ont bientôt cédé le pas aux sarcasmes.

@clarissecarnets: Un vol Air France pour Beyrouth dérouté sur Amman http://ht.ly/cZQ7A “Conditions de sécurité pas entières sur la route de l'aéroport”

@FlashPresse: Le Liban rattrapé par le conflit syrien: Un avion d'Air France a été dérouté et les kidnappings se multiplient :… http://bit.ly/RYr54h 

@RimkAbdulJabbar : #LastRT Ce genre de #FAIL intergalactique… #Liban #Syrie #Damas#AirFrance

@TibDupont: Dérouter un avion dans une ville qui abrite Thierry Meyssan depuis plusieurs semaines… Faut être taré!

The Price of Peace

Le prix de la paix – Aéroport de Damas, 2006 par fabuleuxfab sur Flickr (CC BY-NC-SA-2.0)

Certains en déduisent que le régime syrien n'est pas si mauvais que cela :

@FredericHelbert: Avion #AirFrance qui va faire un tour à#Damas: Du temps de #SaddamHussein, ils auraient ts finis otages! Sports les syriens sur ce coup!

@kadsak: Comment un avion Air France a pu atterir et decoller a #Damas, cet enfer qu'on nous decrit tous les jours dans les médias français?#syrie

A l'étranger, les sarcasmes se font plus acérés, surtout côté américain  :

@StephaniaSun:@AP@RadioChio: “all right, everyone get out and push…”

@StephaniaSun:@AP@RadioChio: “Bon, tout le monde sort et pousse”

@nytjim: This is your captain panhandling: Air France pilot asks passengers to chip in for fuel after landing in #Syria http://bit.ly/PiMtz4 

@nytjim: Ici votre commandant de bord qui fait la manche: Le pilote d'Air France demande aux passagers d'apporter leur écot pour faire le plein après avoir atterri en Syrie.

Le ministre fulmine, Air France se défend

Le quai d'Orsay est intervenu pour empêcher que des agents syriens pénètrent à bord. Pour le ministre français des Affaires Etrangères Laurent Fabius, la décision était une “énorme bêtise” :

“C'était extrêmement dangereux […]. Les décisions dans ces circonstances sont compliquées à prendre mais en plein conflit, se poser à Damas, vous conviendrez avec moi que ce n'était pas la décision la plus pertinente, et je suis diplomate”, s’est ainsi indigné le ministre.

Damascus airport

Aéroport de Damas (2005), par plasticshore sur Flickr (CC BY-NC-SA-2.0)

Air France a pourtant la conscience tranquille :

Faut-il rappeler que le commandant de bord est « seul maître à bord après Dieu », et que sa préoccupation première était sans nul doute la sécurité de ses passagers ? L’appareil d’Air France s’est posé à Chypre le soir même sans autre problème, et est reparti le jour suivant vers Beyrouth, où tout le monde est arrivé sain et sauf…

Tancée par le ministre, la compagnie plaide que l'équipage a été trompé par un contrôleur aérien syrien :

Le transporteur a donc choisi de dérouter l’avion vers Amman en Jordanie, aérodrome de dégagement prévu lorsque l’aéroport de la capitale libanaise est indisponible, en traversant l’espace aérien de la Syrie.
Mais l’équipage n’aurait pas obtenu du contrôleur aérien syrien la trajectoire attendue. Il lui aurait “même demandé de changer de cap à 270°, au lieu de faire simplement un virage à 90°”, explique la direction d’Air France.

D'ailleurs, les passagers n'ont finalement pas mis la main à la poche :

Le code des Transports lui permet (au pilote) en effet d’emprunter de l’argent auprès des passagers « en cas de difficultés dans l’exécution de son mandat ».
Il n’a finalement pas eu recours à cet emprunt, le chef d’escale d’Air France à Damas était entre-temps arrivé à l’aéroport et avait fait jouer son crédit pour obtenir le kérosène nécessaire.

Interrogations

Des commentateurs ont voulu creuser l'affaire.

Le blogueur 2kismokton pose deux questions, l'une technique, l'autre politique :

1- Pourquoi un avion arrivant à la fin d’un vol de 4 heures se trouve à sec de carburant, alors que la norme de sécurité est de conserver un 1/2 plein à l’arrivée? Il aurait du pouvoir voler encore 2 heures!

2- Pourquoi un contrôle aérien (fût-il libanais) déroute un avion civil vers une zone de guerre civile? N’y avait-il pas d’autres aéroports en Turquie? En Israël? Des aéroports qui auraient permis un atterrissage « safe » pour l’avion, l’équipage et ses passagers? On voit là les premières conséquences qui ont failli être désastreuses de la politique de boycott d’Israël par les pays arabes. En effet, Israël n’apparait jamais sur les cartes aériennes locales!

De Beyrouth, les consultants de Middle East Strategic Perspectives, analysent pourquoi Air France ne peut être tenue, seule, pour responsable de la décision “stupide, maladroite et dangereuse” et concluent :

La lecture des évolutions sur le terrain libanais, et à Damas, ce jour-là, en temps réel, aura été mauvaise, à Paris, au double niveau, diplomatique et sécuritaire. Il ne s’agit pas là de blanchir Air France ni de charger les autorités françaises. Mais, même si la compagnie aérienne française ne peut être excusée pour cette initiative malheureuse, ne serait-ce que pour n’avoir pas pu solliciter en temps réel les autorités françaises compétentes, et parce que des dysfonctionnements paraissent évidents au niveau de son système de « veille » sur la zone du Proche-Orient, on devrait plutôt se tourner vers Paris pour voir s’il y avait bien ce jour du 15/08 un pilote dans l’avion ? C’est Air France qui devrait, peut-être, demander des « explications » aux autorités françaises…

Et le Liban, dans tout ça ?

Au Liban, on est atterré. Le quotidien L'Orient Le Jour a exprimé le 17 août le sentiment prévalant de consternation :

@LOrientLeJour: La bourse ou la vie, option des passagers du vol Paris-Beyrouth d'Air France. Un billet d'humeur de Michel Touma #libanhttp://olj.me/773790

L'éditorialiste écrit :

il est permis de se demander si le commandant de bord ne débarque pas d’une autre planète… Réflexion qui s’applique d’ailleurs tout aussi bien à la direction générale d’Air France, à Paris…
Car estimer, dans le contexte explosif actuel en Syrie, que Damas est plus sûre que Beyrouth ne peut s’expliquer que par le (triste) fait que ceux qui ont pris la décision du déroutage en direction de la capitale syrienne sont totalement déconnectés des réalités (terrestres) du moment.

2 commentaires

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