L'enseignement de l’administration publique en Afrique francophone

Février 2001,  la Charte de la Fonction Publique en Afrique (PDF) est adoptée à la conférence de Windhoek, en Namibie. Quarante ans après les indépendances, la déclaration de Windhoek révèle la prise de conscience tardive de l’impact déterminant de l’administration publique sur la croissance et la redistribution des richesses en Afrique. Les programmes d’ajustement structurel des années 80 ont contribué à diminuer le nombre total de fonctionnaires dans les administrations publiques africaines. Il y a désormais plus de pression sur ceux qui sont toujours candidats à la fonction publique : gagner en efficacité, faire mieux avec moins.

Les objectifs de l’enseignement de la fonction publique

Rappelons « quelques » aspects de leur mission (PDF) :

  • Préserver la paix et la stabilité du cadre étatique: la résolution pacifique des conflits ethniques ou frontaliers est l’œuvre de négociateurs chevronnés, formés à l’art de la diplomatie et du dialogue.
  • Gérer les finances publiques : ce sont des fonctionnaires experts en gestion des finances publiques et en législation fiscale qui rendent possible  les programmes de relance économique, de désendettement et de modernisation de l’appareil productif d’économies encore marginalisées par le commerce mondial.
  • Assurer les services sociaux essentiels : C’est dans une école d’administration publique que les futurs cadres de la nation apprennent à élaborer les contours des services de protection sociale ou d’éducation, la partie la plus difficile à mettre en place dans la plupart des pays d’Afrique francophone.
  • Garantir la neutralité et la probité de l’appareil étatique : C’est enfin à l’école d’administration que le fonctionnaire approfondit (ou découvre !) ses connaissances en matière d’éthique et de service publique au cœur des débats sur la corruption des états, clé de voute de la confiance du citoyen en ses instances dirigeantes.

Conférence à Cotonou. Photo de Wikipédia (licence Creative Commons)

Où en sont les écoles nationales d’administration francophones africaines ? A la différence du système anglophone, la formation des cadres de la fonction publique en Afrique francophone se place sous la tutelle de l’Etat, suivant le modèle de l’ancienne puissance coloniale. Certaines écoles, telles que l’ENAM – Bénin, l’ENAM-Cameroun, l’Institut de l’Economie et des Finances-Gabon, l’ENAM-Madagascar, l’ENA-Mali, l’ENA- Mauritanie et l’ENA- Togo figurent sur la liste des membres de la très dynamique Association Internationale des Ecoles et des Instituts d’Administration (AIEIA).  L'organisme fondateur de l’association est l’Institut International des Sciences Administratives. Dix autres écoles, dont celles du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire et du Niger apparaissent sur le site de l’Observatoire des Fonctions Publiques Africaines (OFPA),   dont l'objectif est  « une mise en commun des expériences de restructuration des fonctions publiques africaines ».

Le site précise la nature de ses fonctions :

Collecte des informations, appréciation des problèmes communs, identification des programmes régionaux et implication dans les activités d'études et de recherche sont nos principales missions..

Pour certains, cette mise en commun des expériences est essentielle. Wise Doh,  étudiant Ghanéen en formation à l'ENA, explique:

 Je dois aider mon pays avec des méthodes françaises pour qu’il soit moins isolé au sein de la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest].  Nous sommes entourés d’anciennes colonies françaises, le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Togo. Mais, du fait de notre identité anglo-saxonne, nous ne pesons pas assez.

Les difficultés rencontrées par les formation en administration publique

Les promotions comptent en moyenne 100 diplômés, tout grade confondu. Certaines écoles, comme celle du Mali, indiquent que sa rentrée 2012 compte 82 admis pour 10262 candidats. Ces chiffres masquent pourtant la baisse générale du niveau des fonctionnaires sortants sur plusieurs décennies, un déclin renforcé par les mouvements libéraux, fustigeant le rôle invasif de l’Etat et les dépenses liées à ses activités. Par coupes budgétaires successives, les métiers de la fonction publique ont fait rayonner, par effet de contraste, les professions libérales, l’ingénierie ou la gestion des affaires plus propices à « nourrir son homme ».

Dans un exposé, instructif, sur les défis des institutions de formation en administration publique en Afrique, le Pr Jacques Mariel Nzouankeu au Sénégal  souligne que :

Le déclin n’est pas uniquement dû à un contexte économique hostile (chocs pétroliers de 71 et 79, programme d’ajustement structurels des années 80), mais également un manque de vision et d’agilité des autorités nationales face aux nouveaux besoins d’un monde moins pyramidal, plus rapide et plus intégré.  Ainsi, l’enseignement de culture générale destiné à renforcer la vision politique et la faculté d’encadrement des hauts fonctionnaires fut délaissé au profit de l’enseignement économique, jugé plus adapté aux défis posés par les récessions. On forme alors des agents économiques, plus que des acteurs de développement.

Autre erreur, toujours selon Jacques Nzouankeu :

les autorités n’ont pas prêté grand intérêt aux nouvelles structures des « Bureau Organisation Méthodes » (BOM), dont les méthodes héritées du management public américain auraient été plus adaptées aux réformes administratives à venir.

Aujourd’hui, le modèle dominant reste celui de l’ENA française et les candidats africains francophones les plus ambitieux sont nombreux à se présenter au concours d’entrée au cycle international de l’institution strasbourgeoise.  Ce parcours n’est pourtant accessible qu’à un nombre limité d’élèves africains. Ainsi, de 1949 à 2008, 747 élèves africains de 32 pays sont passés par l’ENA française, soit un peu moins de 13 étudiants par an. La représentation des pays d’Afrique sub-saharienne est minime : 56 pour le Cameroun, une trentaine pour le Sénégal comme pour la Mauritanie.
Formation d’élite, l’ENA française bénéficie de moyen sans commune mesure avec ses émules africaines : en 2011, l’école disposait d’un budget de fonctionnement de 42,3 millions d’euros, subventionné à 85% par l’Etat.

Le défi des ENA africaines est de taille : enseigner l’efficacité par l’exemple, en fusionnant les écoles par spécialité, afin de réaliser davantage d’économies d’échelle au niveau inter-régional ; introduire des outils de gestion stratégique dans les  programmes ; rapprocher le terrain de la théorie en systématisant les stages en environnement réel. Le tout avec des moyens financiers réduits.
Les difficultés ne s’arrêteront  pas là :   la qualité de la formation en administration publique est une condition nécessaire au développement mais insuffisante pour le garantir. La pression de pairs, l’atteinte d’une masse critique de fonctionnaires bien formés, un dialogue dynamique avec la société civile et surtout une volonté politique sans faille au plus haut sommet de l’état. Une volonté qui ne s’apprend pas à l’ENA.

 

1 commentaire

  • enseigner l’efficacité par l’exemple, en fusionnant les écoles par spécialité, afin de réaliser davantage d’économies d’échelle au niveau inter-régional ; introduire des outils de gestion stratégique dans les programmes ; rapprocher le terrain de la théorie en systématisant les stages en environnement réel. Le tout avec des moyens financiers réduits.I like it.

Ajouter un commentaire

Merci de... S'identifier »

Règles de modération des commentaires

  • Tous les commentaires sont modérés. N'envoyez pas plus d'une fois votre commentaire. Il pourrait être pris pour un spam par notre anti-virus.
  • Traitez les autres avec respect. Les commentaires contenant des incitations à la haine, des obscénités et des attaques nominatives contre des personnes ne seront pas approuvés.