Les lois sur le blasphème au Pakistan ont à nouveau fait l'objet d'un débat passionné, après qu'une jeune fille de 14 ans a été accusée d'avoir brûlé les pages de Noorani Qaida, une méthode d'apprentissage contenant des versets du Coran. Rimsha Masih a été arrêtée le 17 août 2012, amenée au poste de police local par une foule de plus de 100 personnes déchaînées. Le site Christian in Pakistan est le premier à avoir rapporté la nouvelle, comme il le fait habituellement pour tout ce qui concerne les persécutions dont est victime la communauté chrétienne au Pakistan. Quand la nouvelle est tombée, plusieurs personnes l'ont vérifiée sur Twitter et ont demandé l'intervention des autorités (voir l'article sur Global Voices en français). Les médias traditionnels ont à leur tour couvert l'évènement et des pétitions ont été mises en ligne depuis.
Parallèlement à cette mobilisation, les informations sur cette affaire sont très contradictoires. La confusion la plus marquante est l'utilisation d'une photo d'une petite fille, devenue le visage de la campagne #SaveRimsha (Sauvons Rimsha).
Erreur sur le nom, erreur sur la photo
Quand la nouvelle est tombée, plusieurs grands médias ont prénommé la jeune fille “Rifta” au lieu de “Rimsha”, le prénom initialement indiqué par le site Christian in Pakistan. Des journaux réputés comme Dawn, Express, le Guardian et même des organisations de défense des droits de l'homme comme Amnesty International, ont parlé de Rifta dans leurs communiqués de presse officiels pour demander sa relaxe et l'abrogation des lois sur le blasphème. D'autre part, un parallèle a été fait avec un autre cas, celui d’ un jeune garçon chrétien de 11ans, brûlé à mort, sans que l'on soit certain que ce crime puisse être attribué à la haine entre communautés religieuses. Quelques lecteurs ont signalé l'erreur des médias :
Raza Rumi(@Razarumi): RT @junaidqaiser: @rezhasan Au fait, le nom et l'âge de Samuel sont faux dans le rapport de l'Express Tribune.bit.ly/OwDAjH #Pakistan (22 août 2012)
Halima Mansoor (@Hmansoor): @razarumi @junaidqaiser @rezhasan Rimsha a été appelée Rifta très souvent, y compris en premier lieu par l'Express Tribune. Je ne sais pas si ce sont les journalistes qui sont négligents ou les systèmes (22 août 2012)
Junaid Qaiser (@JunaidQaiser): @hmansoor@razarumi@rezhasan. Une information qui n'est pas contrôlée. Et pas de réel contrôle éditorial. (22 août 2012)
La dernière fois que le prénom de Rifta a été utilisé était sans doute le 23 août. Il est à noter que les organismes de presse ont maintenant corrigé son prénom et parlent de Rimsha, mais qu'ils n'ont pas publié un errata et reconnu l'erreur, procédure élémentaire de journalisme.
Par ailleurs, quand des pétitions et des appels à manifester ont été lancés, la photo d'une fillette a été utilisée comme étant le portrait de Rimsha, alors qu'il ne s'agit pas d'elle.
Ayant remarqué que la photo de cette petite fille avait précédemment été utilisée pour d'autres campagnes, j'ai donc décidé de retrouver l'origine de cette photo pour éviter que les gens ne l'utilisent à la place de celle Rimsha. La fonction image de google et le glisser-déposer m'ont été très utiles pour retrouver la source de l'image. Publiée pour la première fois en avril 2006, il s'agit de la photo d'une petite fille à l'école dans un camp de réfugiés à Balakot, au Cashemire, qui a été prise après le tremblement de terre de 2005 (par Maciej Dakowicz).
L'image de la fillette a aussi été utilisée par des journalistes et sur des sites internet sans vérification. L’ Examiner.com, le Huffington Post et France 24 ont utilisé la photo, mais le Huffington Post l'a ensuite retirée.
Sunil Dixit (@sudixitca): @raushenbush @huffpostrelig- pouvez-vous s'il vous plaît vérifier/confirmer que la photo est bien celle de Rimsha Masih ? Merci – twitter.com/sudixitca/stat… (22 août 2012)
Paul B. Raushenbush (@raushenbush): @sudixitca je n'en sais rien, nous n'avions pas de photo de la fillette pour notre dossier (22 août 2012)
Sunil Dixit (@sudixitca): @raushenbush – Monsieur, voilà où j'ai vu la photo huffingtonpost.com/mike-ghouse/mu… (23 août 2012)
Maham Ali (@Mahamali05): la fillette de votre photo de profil n'est pas Rimsha Masih @naeemshamim (27 août 2012)
Umer Arain (@UmerArain):une chaîne de TV indienne fait un reportage sur Rimsha et le blasphème en utilisant la photo d'une victime du tremblement de terre. @cyalm en parle aussi. youtu.be/SGwMBcQNnP8 #FAIL (29 août 2012)
Sur une vidéo des manifestations à Londres, on voit des manifestants qui portent des affiches de la photo de la fillette :
Radio France International a utilisé la photo de la fillette lors de son l'interview de l'auteure Irshad Manji sur le sujet.
Sana Saleem @sanasaleem 25 août 2012 J'ai remarqué que quelques blogs ont utilisé une photo. La fillette de la photo n'est pas Rimsha Masih. C'est une photo du Cachemire en 2006 flickr.com/photos/6889857…
@sanasaleem l'auteur de l'article du Huffington Post a indiqué à un membre de mon équipe qu'il/elle avait utilisé une “photo de fillette prise au hasard”. Décevant.— 25 août 2012
Malgré l'utilisation de cette photo par de multiples médias, un seul site militant, Citizens For Democracy, a publié un démenti et des excuses en demandant de ne plus l'utiliser :
CFD s'excuse d'avoir utilisé une photo éronée pour le visuel publié précédemment sur ce blog pour illustrer la manifestation du 25 août à Karachi. Nous sommes conscients qu'il est particulièrement important d'être plus vigilants sur les visuels utilisés pour nos campagnes. Veuillez lire la note ci-dessous, envoyée aux signataires de la pétition pour la Libération de Rimsha par un professionnel de santé de Lahore : “La photo utilisée pour la campagne pour la Libération de Rimsha n'est pas celle de Rimsha et induit en erreur. En tant que membre d'un centre de soins communautaire, je peux vous assurer que le visage de l'enfant qui est représentée sur la photo ne présente aucun signe de trisomie […] Il est regrettable que la photo de cette enfant, photogénique mais normale, ait été utilisée pour faire les gros titres des journaux et illustrer d'autres articles sans faire les vérifications d'usage, telle quelle, et avec des légendes incorrectes…”
Si les grands médias traditionnels ne reconnaissent pas leur erreur à leur tour, il va devenir de plus en plus difficile de limiter l'utilisation de cette photo. Etant donné les risques qu’entraînent les accusations de blasphème, la publication d'une photo et d'une identité fallacieuses peuvent mettre en danger de nombreuses personnes homonymes ou figurant sur une photo.
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