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Tchad : Liberté d'expression fragilisée sur fond de contestation sociale

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Cameroun, Tchad, Développement, Economie et entreprises, Gouvernance, Liberté d'expression, Médias citoyens, Politique

Les récentes arrestations de trois responsables syndicaux et  du directeur de publication de N'Djamena bi-hebdo [1] sont symptomatiques d'une fragilisation de la liberté d'expression au Tchad. Ces arrestations font suite à des mouvements sociaux   initiés au mois de juillet pour protester contre la paupérisation de la population et la privatisation des ressources du pays.

Ainsi, Reporters sans Frontières RSF déplore la sentence contre Jean-Claude Nekim [2], le directeur de publication de N'Djamena bi-hebdo :

a été condamné à un an de prison avec sursis et à une amende d'un million de francs CFA (1.500 euros) pour “diffamation”, pour avoir rapporté une pétition contre le régime du président Idriss Déby.

Redistribution des gains provenant des ressources pétrolières en question

Le Tchad est un pays riche en ressource pétrolière mais dont la population tarde à percevoir les bénéfices de ses exploitations. L'oléoduc Tchad-Cameroun achevé en 2003 permet d'acheminer le pétrole dans le golfe de Guinée [3] et l'exploitation des gisements par un consortium associant ExxonMobil, Chevron, et Petronas. Le gouvernement Tchadien s'etait engagé auprès de la Banque mondiale suite à un prêt à consacrer 70% de son budget total aux programmes de lutte contre la pauvreté [4] (PDF en anglais).

[5]

Dessin d'humeur sur l'impact de l'exploitation pétrolière au Tchad- via Tchadonline.com – Domaine Public

Ces engagements ne sont pas encore ressentis par la majorité de la population qui demande plus de transparence sur les dividendes de la production pétrolière. L’ Union des syndicats UST a donc lancé un appel à la grève des travailleurs du secteur public pour mauvaise gouvernance.
Gali Gatta explique les origines de la grève [6]:

Les grévistes réclament le respect par le gouvernement des engagements pris par le Président de la République au début de l'année pour mettre fin à la grogne sociale. Aucune solution n'est en vue. [..] La gestion des ressources du pétrole n'est pas transparente alors même que les champs exploités gagnent du terrain. La nation ne sait pas combien rapporte cette ressource au pays, depuis 10 ans l'Assemblée Nationale n'a pas reçu de loi de règlements. [..] Alors que l'Etat doit avoir la maîtrise de toutes ses ressources pour faire face à tous ses engagements (dettes, salaires, dépenses de santé et d'éducation, etc.), ces ressources sont privatisées, détournées au profit de la famille et du clan.

Liberté d'expression fragilisée

La Ligue tchadienne des droits de l’homme (LTDH) rapporte le déroulement de l'arrestation des responsables syndicalistes [7], François Djondang, Michel Barka et Younous Mahadjir :

Le 18 septembre 2012, la Chambre correctionnelle de citation directe du Tribunal de première instance de N’Djamena a condamné MM. Djondang, Barka et Mahadjir à 18 mois de prison avec sursis et une amende de 1,5 millions de francs CFA (environ 2 290 euros) pour « incitation à la haine ethnique ». Cette condamnation fait suite à une pétition de l’UST datée du 1er septembre 2012 qui protestait notamment contre « la cherté de la vie » et « la paupérisation de la population » [..] Le 5 septembre 2012, le Bureau exécutif de l’UST a reçu une convocation écrite du procureur de la République et relative à la pétition mentionnée précédemment. Ils ont été auditionnés par la police puis par le procureur de la République le 10 septembre. l’UST est à l’initiative d’une grève réclamant l’application d’un décret promulgué en novembre 2011 suite à un protocole d’accord portant sur les grilles salariales dans le secteur public.

Les réactions à la condamnation des responsables a été vive. Benoit Bemadji rapporte que [8]:

Me l'avocate Delphine Kemneloum Djiraïbé [affirme que]: « C’est une parodie de justice et nous ne pouvons pas prendre part à un tel procès. C’est pour cela que nous avons quitté la salle. La déclaration du Procureur discrédite même les magistrats et c’est une honte pour notre justice». [..] Pour avoir éclaté de rire après le verdict, M. Mbaïlaou Gustave a été séance tenante arrêté dans la salle pour être jugé et condamné à trois mois de prison ferme pour [I outrage à Magistrat].

RSF aussi s'inquiète du caractère expéditif du procès: [9]

Le mauvais climat entre le pouvoir et la presse franchit une nouvelle étape avec ce verdict. Interrogé par Reporters sans frontières, un journaliste tchadien ayant assisté à l’audience a affirmé : “C’était un procès expéditif. Le procureur n’a pas prouvé la diffamation. Les avocats de la défense ont quitté la salle en signe de protestation. Ce procès ressemble à un règlement de compte