Ce billet fait partie de notre dossier central sur les relations internationales et la sécurité
L’Afghanistan a bloqué l'accès à YouTube le 12 septembre 2012, après que la bande-annonce (note : la vidéo a été retirée) du film très controversé l'Innocence des musulmans a été diffusée en ligne.
Le film aurait été produit par Nakoula Basseley Nakoula, un Copte américano-égyptien, et dépeint le prophète Mahomet comme un coureur de jupons et un religieux dévoyé. Cela a suscité des protestations dans plusieurs pays musulmans et a entraîné l'assassinat de l’ambassadeur américain et trois autres diplomates américains en Libye.
[Liens suivants en anglais et farsi] – Le président afghan Hamid Karzai a dit que les cinéastes avaient commis un « acte diabolique » et que la liberté d'expression ne permet pas d’insulter l'Islam. Aimal Marjan, le directeur général des technologies de l'information au ministère des Communications a déclaré à Reuters qu'il leur avait été demandé de bloquer YouTube jusqu'à ce que le film en soit retiré.
Malgré les constatations contraires, Aimal Faizi, porte-parole du président afghan a nié que YouTube ait été bloqué, disant sur Twitter :
L'Afghanistan n'a pas interdit YouTube. Le Ministre de l'Information et de la Culture avait demandé au ministère d'interdire la vidéo insultant le prophète Mahomet sur YouTube, pas YouTube.
La page Facebook de la réconciliation nationale afghane commente :
Nous dénoncons avec vigueur l'assassinat barbare du diplomate américain à Benghazi, en Libye et nous approuvons l’interdiction de YouTube prononcée par le gouvernement Karzaï comme mesure de prévention face aux possibles émeutes incontrôlables en Afghanistan.
Les talibans ont également publié une déclaration condamnant le film et ont demandé aux « moudjahidin » de punir l'acte qui, selon eux, a été perpétré par le gouvernement américain :
L’Émirat islamique appelle également tous ses moudjahidin à être inflexibles face à toutes les violations contre notre livre saint (le Coran), le Prophète et d'autres sanctuaires, perpétrés par les envahisseurs américains. Les Moudjahidin en Afghanistan devront punir ces actions du gouvernement américain en donnant un coup très dur à ses troupes d'invasion sur le champ de bataille. De même, l’Émirat islamique appelle tous les érudits religieux du pays à informer pleinement le peuple de ces actes barbares de l'Amérique dans leurs sermons et de les préparer à une lutte de longue haleine.
Quelques internautes afghans ont aussi partagé des points de vue contraires à ceux des talibans. Par exemple, Shabnam Samay Rakeen a commenté sur Facebook :
J'apprécie vraiment que ces personnes fassent ces films pour obtenir une réaction des musulmans, et nous ne manquons jamais de réagir de manière violente. Comme quelqu'un l'a dit, un prophète de Dieu n'a PAS besoin d'être défendu.
Beaucoup craignent de nouvelles manifestations contre le film en Afghanistan, en particulier depuis que les protestations antérieures contre le « blasphème » se sont soldées par des violences et des morts.
En février 2012, des exemplaires du Coran ont été jetés par les troupes américaines à la base de Bagram. La combustion des exemplaires du Coran a déclenché une vague de protestations à travers l'Afghanistan, entraînant la mort de 30 personnes – dont 4 Américains – et plus de 200 blessés.
L'OTAN a également mis en garde contre d'éventuelles manifestations violentes à travers l'Afghanistan alors que Barack Obama et Hamid Karzaï se sont engagés à prévenir une flambée de violence anti-américaine après le meurtre de diplomates américains en Libye. Le président Karzaï a également reporté un voyage diplomatique en Norvège en raison des risques d’émeutes. Et le jeudi 13 septembre, les chefs religieux se sont réunis à Kandahar pour appeler à des manifestations calmes et paisibles contre le film.
Sur la page Facebook de l’ambassade américaine, sous un lien vers une déclaration de l’Ambassadeur en Afghanistan, James B. Cunningham, Harris Najib écrit :
Je pense que répondre violemment au film fait par un sot ignorant va alimenter les stéréotypes déjà erronés sur les musulmans du monde entier. Au cours des réactions violentes à ce genre de vidéos idiotes, des personnes innocentes ont perdu la vie dans les rues. J'espère que mes compatriotes afghans feront preuve de modération et manifesteront de façon civile et pacifique.
Sakhidad Hatif, un blogueur Afghan, ayant vu les cas de « blasphèmes » antérieurs, a été surpris que cette fois-ci les manifestations afghanes n’aient pas été violentes :
من دیشب با این امید به خواب رفتم که فردا که خبرها را ببینم حد اقل بیست نفر افغان به خاطر این فیلم شکم های همدیگر را دریده باشند. امروز صبح دیدم که هیچ خبری نشده.
La nuit dernière, je suis allé me coucher en craignant que le lendemain, aux nouvelles, j’entendrai qu’au moins vingt Afghans se seraient entretués à cause du film. Mais, je n'ai rien entendu.
Cependant, les manifestations ont inévitablement atteint l’Afghanistan. Le 14 septembre, des Afghans ont organisé un rassemblement dans l’est à Jalalabad. Quelques manifestants ont chanté « Mort à l’Amérique » et mis le feu à une effigie de Barack Obama.
Des manifestations étaient également prévues à Kaboul et dans d'autres villes d'Afghanistan le 14 septembre. Mais elles n'ont pas eu lieu ce jour-là.
Atia Abawi, journaliste de NBC, tweeta qu’elle était fière des habitants de Kaboul.
Tellement fière de Kaboul et de ses habitants en ce moment. Nous rentrons en voiture, ni manifestations ni foules en colère.
Néanmoins, le film a suscité des protestations dans d'autres villes afghanes et sur les campus des universités. Des étudiants à Kaboul et Herat ont organisé des manifestations contre le film le 16 septembre.
Les cyber-pirates afghans ont également attaqué le site de l'Église de Dieu en Géorgie du Nord, un acte qui ne fait qu'illustrer la condamnation générale de l'Innocence des musulmans.
Ce billet, ainsi que ses traductions en français, arabe et espagnol ont été commandés par l'International Security Network (ISN) dans le but de faire entendre les points de vue des citoyens sur les questions de relations internationales et de sécurité. Le billet a été d'abord publié sur le blog de l’ISN, d'autres articles sont disponibles ici.