Ce billet fait partie de notre dossier central en anglais sur les peuples indigènes
A nouveau sous la menace d'une expulsion de leurs territoires, les Guarani-Kaiowá de Pyelito Kue / Mbarakay dans la municipalité de Iguatemi, dans l'état du Mato Grosso do Sul (MS), ont écrit une lettre le 8 octobre 2012 qui a entraîné des vives réactions dans la presse brésilienne et sur le Web.
À qui dénoncerons-nous les violences commises contre nos vies ? À quelle instance judiciaire du Brésil ? C'est la Justice fédérale elle-même qui engendre et nourrit des actes de violence envers nous. (…)
En fait, nous le savons bien qu'au cœur de notre territoire ancestral sont enterrés beaucoup de nos grand-pères et grand-mères, bisaïeux et bisaïeules. Ici se trouve le cimetière de tous nos ancêtres. Conscients de ce fait historique, nous allons et nous voulons être tués et enterrés aux côtés de nos ancêtres, ici même, où nous sommes aujourd'hui, c'est pourquoi nous demandons au gouvernement et à la Justice fédérale de ne pas décréter l’ordre de nous expulser mais de décréter notre mort collective et de nous enterrer tous ici.
Profondément affaiblis par la perte presque totale de leurs territoires au fil du dernier siècle, les indiens Guaraní-Kaiowá, la deuxième population autochtone du Brésil qui compte 43 000 personnes, subissent harcèlements moral et physique et intimidations, ce qui a provoqué une alarmante vague de suicides [en français]. Les terres de l'Etat du Mato Grosso do Sul sont les plus productives au Brésil en termes d'élevage et de culture de biocarburants.
La lettre a été motivée par une ordonnance judiciaire émise par le bureau de la Justice fédérale de la ville de Navirai (MS) (nº 0000032-87.2012.4.03.6006), ordonnant que la communauté Pyelito Kue / Mbarakay libère ses terres ancestrales.
“Ceux qui devraient mourir”
“Nous ne devrions pas rester silencieux ou passifs face à cette clameur de la communauté Guarani-Kaiowá”, maintient Egon Heck, conseiller du Conselho Indigenista Missionário (CIMI), faisant allusion à la mémoire historique évoquée dans l'ouvrage “Y – Juca Pirama – O Indio: aquele que deve morrer“ (Y-Juca Pirama, l'indien : celui qui devait mourir), un opuscule publié en 1973 par les évêques et les missionnaires travaillant en Amazonie :
Face au décret de mort et d’extermination émerge la détermination obstinée des peuples, décidés à vivre ou à mourir collectivement, en accord avec leurs croyances, leurs espoirs et leurs désespoirs. Ce cri fera certainement partie du manifeste « Les peuples indigènes, ceux qui doivent vivre », malgré et contre les décrets de l'extermination”. […] Ce n'est pas un cas isolé, mais d'une exceptionnelle gravité, devant une décision de mort collective. Nous continuerons à être affecté par des faits similaires si des mesures urgentes ne sont pas prises pour résoudre la question de la démarcation des terres indigènes de ces gens.
La journaliste Eliane Brum a réagi à la lettre, et a écrit [pt] dans sa rubrique du magazine Epoca un rappel historique de la lutte des Guarani-Kaiowá, en expliquant comment une “partie de l’élite brésilienne méprise, par ignorance, l'immense richesse existant dans la langue, la connaissance et la vision du monde des 230 groupes ethniques indigènes qui survivent encore” au Brésil :
Comment pouvons-nous comprendre le désespoir d'une décision collective de suicide ? Nous ne le pouvons pas. Nous ne savons même pas ce que c'est. Mais nous pouvons connaître ceux qui sont morts, meurent et mourront par nos actions – ou absence d'action. Et ainsi, au moins, nous pourrons approcher nos mondes, qui jusqu'à aujourd'hui ont pour principal point de contact la violence.
Felipe Milanez, journaliste et auteur du documentaire Toxic: Amazon, et aussi créateur du blog en hommage à la Luta Guarani [Lutte Guarani, en portugais], a fait une utilisation prolifique des réseaux sociaux pour alerter sur la cause de ce peuple. Il a récemment publié une vídéo [en portugais] du témoignage d'un chef indien, Elpidio Pires , sur ce que c'est de vivre sous des menaces de mort :
Sur Twitter, Felipe (@felipedjeguaka) dénonce les liens entre les fonctionnaires des gouvernements locaux, les grands propriétaires terriens, le banditisme et le crime organisé en Amazonie, en donnant des noms [portugais] :
Le maire de Paranhos a conduit Elpidio Pires en prison. Et Aral Moreira est l'un des accusés du meurtre de Nisio Gomes Guarani. Les maires !
En avril, il avait déjà publié une autre vídéo sur la mort du chef indien Nisio Gomes, en novembre 2011, lors d'une embuscade tendue par des hommes armés :
Vague de protestations
Sur les réseaux sociaux se multiplient les initiatives de solidarité, telles que la page Facebook Solidariedade ao Povo Guarani-Kaiowá ou le blog du même nom du Comité international de solidarité avec le peuple Guarani-Kaiowá. Une vídéo réalisée par Tekoa Virtual Guarani est également diffusée, avec des messages adressés à la Présidente Dilma Rousseff, pour la sensibiliser aux violences subies par ces indigènes.
Le 2 novembre, sur Facebook, un groupe fera une simulation de “suicide collectif symbolique” en ligne, avec la désactivation collective des comptes Facebook, une initiative baptisée “facebookicide”. Une pétition sur le site Avaaz, contenant à l'heure de publication 34 218 signatures, lance un appel : “Arrêtons le suicide collectif des indiens Guarani-Kaiowá”. Cependant, une note du CIMI critique la façon dont ont été présentés les faits, présentés comme un “suicide collectif “ des Guarani-Kaiowa, interprétation largement reprise par leurs soutiens et par la presse quand en réalité, la lettre dit “mort collective”, dans le “contexte de la lutte pour la terre”.
Une autre pétition sur le site Avaaz, demandant la suspension de l'ordonnance judiciaire d'expulsion, a réuni 216 8723 signatures à l'heure de publication, renforce l'idée exprimée dans la lettre et lance cet appel :
Rejoignez-nous pour demander que les médias couvrent cette affaire et pour une action urgente de la Présidente DILMA et du gouverneur [de l'état du Mato Grosso do Sul] ANDRÉ PUCCINELLI, afin d'empêcher de telles morts ainsi que l'extinction de ce peuple.
Le 19 octobre, à Brasilia, a eu lieu une manifestation en face du Congrès National, appelée par le Cimi, le Conseil fédéral de la psychologie (PCP), la plateforme Dhesca et Global Justice. Egon Heck a écrit sur cette mobilisation et conclut :
Pendant ce temps, les communautés [indigènes] sur des terres reconquises, dans leurs campements ou villages, organisent l'espoir, affrontent ceux qui détiennent le pouvoir, et luttent avec ce qui leur reste de force contre les politiques de la mort et du génocide.
This post is part of our special coverage Indigenous Rights.
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