Montée de l'extrême-droite dans le vote ukrainien

Alors que les chiffres [en ukrainien] définitifs des élections législatives en Ukraine se font encore attendre (ce qui ne va évidemment pas sans polémiques [en anglais]), les internautes débattent déjà du résultat anticipé. Beaucoup portent une attention particulière au parti d'extrême-droite Svoboda (VO Svoboda, l'Union panukrainienne “Liberté”)  [en anglais] et son bond victorieux au-dessus du seuil de 5% nécessaire pour obtenir des sièges au parlement.

Avant 2004, VO Svoboda s'appelait le Parti Social-National d'Ukraine [en anglais]. Son logo actuel, un geste indépendantiste rappelant le Tryzub (NdT : le trident des armoiries ukrainiennes), a été adopté également en 2004, à la place du symbole de l’ “idée d'une nation” similaire à celui en usage dans l'Allemagne nazie.

L'un des auteurs de ce relooking a été Oleh Tyahnybok [en anglais], arrivé à la tête de VO Svoboda en février 2004. A l'époque, il était aussi député du courant de Viktor Youchtchenko du bloc Notre Ukraine (son second mandat [en ukrainien] au parlement ; son premier s'était déroulé de 1998 à 2002 [en ukrainien]). Mais en juillet 2004, Tyahnybok fut exclu de ce qui deviendrait le mouvement politique du futur président ukrainien, à cause des propos xénophobes [en ukrainien], anti-sémites et anti-russes tenus dans un de ses discours.

Le leader de l'Union panukrainienne “Svoboda” Oleg Tyahnybok fait un discours pendant un rassemblement de la campagne électorale à Kiev. Photo Sergii Kharchenko, copyright © Demotix (26/10/12)

Aux élections parlementaires de 2006, VO Svoboda obtint 0.36% des voix, en 2007, 0.76%. En 2009, le parti remporta l'élection du Conseil Régional de Ternopil, battant le Bloc Ioulia Tymochenko (article de GV ici). Cette année, VO Svoboda a signé un accord de coopération avec le parti Batkivhtchina de Tymochenko, sous le nom d'Opposition Unie, peu de temps avant les élections (Mme Tymochenko quant à elle est en prison depuis plus d'un an). D'après les résultats préliminaires [en ukrainien], le parti de Tyahnybok a obtenu 10.42% des voix au scrutin du 28 octobre.

Un grand nombre de ces votes vient de gens qui désapprouvent ou ne prennent pas au sérieux VO Svoboda et son programme.

Serhiy Petrov, membre du conseil de Wikimedia Ukraine, expliquait [en ukrainien] ainsi le succès de VO Svoboda :

[…] Le score de Svoboda ne me surprend pas. Ils vont depuis longtemps dans cette direction : ils apparaissent toujours aux rassemblements avec leurs propres drapeaux, ils distribuent des tracts, des lettres d'information, à une époque où les autres se reposent sur la cote de leurs leaders. Et c'est ce manque de transparence et d'approche méthodique chez les dirigeants de tous les “démocrates” qui a attiré à Svoboda même ceux qui ne partagent pas leur idéologie […].

L'utilisateur LJ dmytro a noté [en ukrainien] que de nombreux électeurs de VO Svoboda à Kiev étaient “russophones ou pour la plupart bilingues russophones, et [qu’]il y avait aussi quantité de Russes de souche” :

[…] Pour la plupart d'entre eux, c'était un vote protestataire : les habitants de la capitale en ont plus qu'assez des [partis qui sont au parlement depuis longtemps], surtout [le Parti des Régions du Président Victor Ianoukovytch]. Or, si Svoboda veut conserver ces électeurs, il lui faut écarter la natiocratie pour une version plus démocratique du nationalisme, moins la xénophobie et l'obscurantisme. […]

Olena Tregub a écrit ceci [en ukrainien] à propos de VO Svoboda :

[…] Je suis contre leur réthorique raciste et homophobe, mais ce n'est que de la rhétorique. La vraie différence restera : voilà le seul parti d'idées qui croit à autre chose que l'argent. D'ailleurs, toute ma famille russophone de Kiev vote pour eux – un phénomène !

Par la suite, Tregub a ajouté en commentaire [en ukrainien] :

Je suis d'accord que Svoboda n'est pas un parti tout à fait civilisé, mais notre pays n'est pas civilisé dans l'ensemble. Et aussi, d'après ce que je comprends, ces skinheads qui rossent les gays ne sont pas candidats au parlement. Le programme [de Svoboda] parle de lustration, d'implication des jeunes dans la gestion publique […].

La journaliste Sonya Koshkina a publié cette “approbation” [en russe] de VO Svoboda à la veille du scrutin :

[…] Tyahnybok & Co. ont une vision du monde solide. On peut ne pas être d'accord avec elle (et c'est mon cas, sur de nombreux points), mais il est difficile de ne pas respecter le fait qu'elle existe. […]

Réponse du journaliste Vitaly Portnikov [en russe] à Koshkina :

Ça me fait penser [à la République de Weimar]. 1932. Mais à l'époque, ils votaient pour l'original, et maintenant c'est pour une copie qu'ils votent). Et le résultat, heureusement, ressemblera à une farce. Mais ça n'est pas mieux pour autant.

Oleksandr Aronets, chargé de la communication pour la section de Kiev de VO Svoboda, s'est joint à la discussion lancée par Koshkina, et apostrophe [en ukrainien] en premier Portnikov :

Vitaly Portnikov, c'est dur de lire votre ânerie sur le NSDAP [le parti national-socialiste des travailleurs allemands], mais je voudrais dire que le communisme et le socialisme sont capables de créer des Hitlers eux aussi. Encore quelques années sans Svoboda dans ce pays et nous aurons un tel hitler – un Ianoukovytch, ou la famille Ianoukovytch. Alors vous pleurerez de vous être si profondément trompé auparavant.

Aronets a ensuite participé à un échange sur le nationalisme en Ukraine et Israël, où il a défendu (avec quelque maladresse) l'actuelle “ligne du parti” de VO Svoboda sur la question :

Dmitry Rosenfeld:

LE NATIONALISME EST UN COMPLEXE D'INFÉRIORITÉ

Aronets:

Je me demande alors pourquoi tous les juifs sont nationalistes ? :)

[…]

Le nationalisme est l'amour pour les siens, mais absolument pas l'hostilité envers les autres. Voilà pourquoi tous les juifs sont si nationalistes : ils aiment ce qu'il y a de mieux chez eux.

Rosenfeld:

Les juifs sont nationalistes ? Sottise. […]

Aronets:

Je suis pourtant sûr qu'il n'y a que des juifs à la Knesset, à la différence [du parlement ukrainien], où différentes ethnies sont représentées. […] Appelez-le sionisme. Nous avons notre homologue : le nationalisme ukrainien. […]

Dans ces propos Aronets se faisait l'écho de son patron, Tyahnybok, qui lors d'une conférence de presse post-électorale, se vit demander si VO Svoboda était “un parti anti-sémite.” Voici sa réponse [en ukrainien] :

Je respecte les opinions patriotiques des Israéliens. Je trouve digne de respect qu'Israël ait un ministre des Affaires Etrangères qui, à travers ses déclarations, s'efforce de défendre les intérêts des [Israéliens]. Je voudrais demander à la partie israélienne d'avoir un même respect pour nos sentiments patriotiques et traiter avec compréhension l'expression de la libre volonté des Ukrainiens. Parce que, peut-être, chaque parti présent à la Knesset israélienne est un parti nationaliste. Du premier au dernier. Si Dieu le veut, nous ferons de même.

Aronets a re-publié la vidéo [en ukrainien et russe] de sa conférence de presse sur sa page Facebook, réitérant [en ukrainien] le message de Tyahnybok en termes moins diplomatiques :

Les juifs sont toujours à fouiner ! Qu'ils mettent les choses en ordre dans leur pays, et nous nous débrouillerons dans le nôtre !!!

Et voici la “ligne du parti” de VO Svoboda telle qu'interprétée [en ukrainien] par un de ses sympathisants, Yakiv Glovatsky, 22 ans :

[…] Bien entendu, les chétifs [communistes] vont faire un foin – pas le meilleur moment maintenant pour leur synagogue homo ! Bien entendu, les bons à rien libéraux vont pleurer – parce que la politique ukrainophobe n'aura plus une chance ! Bien entendu, les invertébrés [habitants de Donetsk] ont [la trouille] – parce qu'ils ont maintenant un Ennemi sérieux, […] – la puissance et la gloire de l'Ukraine, son avant-garde culturelle, le courage d'un loup et l'intelligence d'un serpent ! […]

Drapeaux de VO Svoboda à la célébration du 70ème anniversaire de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne à Kiev. Photo Sergii Kharchenko, copyright © Demotix (12/10/12)

Aleksei Bobrovnikov, qui voit [en russe] dans VO Svoboda “un parti qui épouse les politiques d'intolérance ethnique, tout en émargeant au budget d'oligarques proches de Ianoukovytch,” a regardé de près la plate-forme [en ukrainien] du parti et en a souligné [en ukrainien et russe] quelques-uns des éléments les plus déplaisants. En voici une brève énumération :

[…] Instaurer une ligne “ethnie” dans les passeports et certificats de naissance. Déterminer l'ethnie à travers les certificats de naissance des parents, en prenant en compte les souhaits des Ukrainiens. […]

[…] Instaurer la responsabilité criminelle pour les manifestations d'ukrainophobie de toute sorte. […]

[…] Interdire l'interruption de grossesse, sauf en cas d'indications médicales et de décision de justice [confirmant qu'il y a eu viol]. Dans le code pénal, assimiler l'exercice illégal d'un avortement à une tentative de meurtre. […]

[…] Interdire l'adoption d'enfants ukrainiens par des étrangers. […]

Artem Chapeye et ses lecteurs de Facebook ont placé [en anglais et ukrainien] la situation de l'Ukraine dans un cadre européen plus large :

Artem Chapeye:

Selon les sondages de sortie des urnes, près de 12% des Ukrainiens ont voté pour l'extrême-droite, l'ex parti “social-nationaliste”.

C'est même plus qu'en hongrie, non ?

Oksana Dutchak:

non, [le Jobbik] a fait 16%

http://en.wikipedia.org/wiki/Hungarian_parliamentary_election,_2010#Results

Mykhailo Kozak:

[Marine Le Pen] a eu 18% en France. :)

Andrij Gucul:

Honnêtement, j'ai vraiment pensé aux Le Pen, moi aussi. 16+[%] à la première élection présidentielle et 18[%] à la deuxième. L'inquiétant ici n'est pas tant le pourcentage de ceux qui ont voté, que le fait que [ces forces] soient maintenant au parlement.

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