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Russie : L'opposition vote en ligne, les résultats font scandale

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Russie, Cyber-activisme, Élections, Manifestations, Médias citoyens, Politique, RuNet Echo

Les élections du Conseil de coordination de l'opposition sont terminées. Maintenant que les résultats sont connus et que le Conseil s'est déjà réuni [1][en russe] pour la première fois, il est temps de regarder d'un peu plus près ce qui s'est passé.

Indubitablement, ces élections représentaient un des événements les plus attendus (en ligne ou non) de l'histoire de l'opposition russe. Les participants ont été plus de 170 000 [2] à s'inscrire, et plus de 97.000 d'entre eux ont passé le processus relativement compliqué d'identification et authentification (soit en acquittant un paiement par téléphone, soit en envoyant en pièce jointe une photo d'eux-mêmes tenant leur passeport). Finalement, près de 84% des participants dûment authentifiés (81801 citoyens) ont exprimé leur suffrage entre les 20 et 22 octobre.

Malgré quelques contretemps, l'événement a, dans l'ensemble, été un succès, poussant Alexeï Navalny — qui arrive en tête avec 43 723 votes — à bloguer “We did it [3]”, “On l'a fait”, [en russe]. (Note explicative : les électeurs pouvaient exprimer jusqu'à 45 suffrages pour les 45 sièges du Conseil.) Néanmoins, certains blogueurs et activistes de la Toile ont trouvé à redire à la fois aux résultats et à l'organisation du vote.

[4]

Le site du Comité électoral central recense le nombre de personnes enregistrées, authentifiées, et ayant voté. Capture d'écran, 24 octobre 2012.

Premièrement, beaucoup de critiques concernaient le fait que presque tous les vainqueurs de cette élection étaient ceux que l'on attendait –- les figures de proue du mouvement de protestation depuis l'an dernier –- et dont on peut dire qu'ils n'ont pas fait grand-chose de concret. L'utilisateur du LiveJournal andrey_kuprikov écrit ceci [5] [en russe]:

Новых фамилий вы там не увидете : Собчак, Немцов, Удальцов и прочие Кацы, из регионов аж четыре персонажа

Vous ne trouverez pas de nouveaux noms : Sobtchak, Nemtsov, Oudaltsov et autres Katz, soit 4 pékins pour l'ensemble des régions

Comme le twitte [6] [en russe] @Uberkatze :

Одно я могу сказать точно: народ, у которого в топ 5 оппозиционеров входят Яшин и Собчак – заслуживает Путина.

Je peux dire une chose avec certitude : un peuple qui place Yachine et Sobtchak dans le top 5 de ses opposants mérite Poutine.

Les candidatures de personnalités médiatiques comme Sobtchak ont extrêmement bien marché. A l'exception d'Irina Yassina et de Liudmila Oulitskaïa (qui ont déclaré forfait [7] avant le début du vote), tous les membres de l'équipe de campagne de Sobtchak, “Plateforme civile”, ont été élus. Curieusement, la Plateforme de Sobtchak, composée de célébrités et d'écrivains, a nié toute intention de faire de la “politique”.

Les candidats moins médiatiques n'ont pas été élus. En réaction à cette absence de personnes inconnues du public, le blogueur dmitry_dabb écrit [8] [en russe]:

Лично для меня показательно то, что не прошел ни один человек из тех, кто занимался политзеками.

Pour moi personnellement, il est significatif qu'aucun de ceux qui s'occupent de prisonniers politiques n'ait été élu.

La journaliste Olga Kuzmenkova note elle aussi ce fait, dans un tweet [9] [en russe]:

То, что Власов из “РосУзника [10]” не прошел – это вообще космический пиздец. Кто вместо него? Максим, бля, Кац!

Que Vlassov, du “PrisonnierRusse”, ne soit pas élu est en soi un pur scandale. Et qui on trouve à la place ? Maxime Katz, p… !

Olga Kuzmenkova fait allusion à Max Katz, un joueur de poker professionnel qui s'intéresse à l'urbanisme, actuellement conseiller municipal dans un arrondissement de Moscou.

[11]

Leonid Volkov au QG électoral. Capture d'écran sur Youtube, 24 octobre 2012.

Le côté prévisible des résultats n'est pas le seul reproche fait à ces élections. Lorsqu'une attaque DDoS (par déni de service) a paralysé la plateforme le premier jour des élections, beaucoup s'en sont pris à Leonid Volkov, commissaire de ces élections et “cerveau” responsable de la conception technique du système en ligne. En effet, Volkov avait promis un site parfaitement verrouillé et paré à résister à tout type d'attaque. Ce qui, en tout état de cause, ne fut pas le cas [12] [en russe]. Auparavant, l'un des serveurs utilisés pour le vote avait été victime d'une attaque via le logiciel LOIC [13] — un outil renommé pour sa facilité d'utilisation et son efficacité pour saturer de requêtes un serveur (LOIC a été utilisé avec succès par le groupe d'activistes Anonymous [14] pour ses attaques contre l’Église de Scientologie.) Les agresseurs se sont ensuite tournés vers Botnet [15], qui a causé encore plus de problèmes, en obligeant à utiliser des tests captcha [16] [pour différencier de manière automatisée un utilisateur humain d'un ordinateur]. Les deux types d'attaques étaient très peu coûteuses [17] [en russe], et relativement modérées (environ 4.000 requêtes par seconde) selon un usager d'un forum d'informatique forum, lequel fait ce commentaire [18] [en russe]:

ну если это называется атакой… то на какую нагрузку то был расчитан сайт?

si c'est ça que vous appelez une attaque… le site était conçu pour supporter quelle charge ?

Les attaques ont empêché les votes pendant pas moins de 36 heures, obligeant à allonger la période électorale.

Finalement, les gens ont pu voter. Le nombre de votants, d'ailleurs, a soulevé d'autres critiques. En définitive, seulement la moitié des personnes inscrites a effectivement voté. De fait, une fois les élections terminées, Volkov a twitté [19] [en russe] que le taux de participation approchait de 80 %. Or il assimile le nombre de personnes qui ont voté au nombre de celles qui se sont authentifiées sur le site. Le pourcentage obtenu ainsi est erroné.

Si l'inscription sur le site ressemble dans l'absolu à l'inscription pour un vote, passer avec succès le processus d'authentification se rapproche davantage du fait de se présenter en personne à un bureau de vote ou de réclamer un bulletin de vote. Selon [20] [en russe] la journaliste Tatiana Chabaïeva, c'est justement ce qui détermine le résultat –- combien de personnes sur le nombre de celles qui se sont inscrites se sont donné la peine de suivre le processus d'authentification.

En chiffres réels (c'est-à-dire pas en pourcentages), le taux de participation a été faible, de quelque façon qu'on le tourne, surtout si l'on tient compte du fait que les Russes sont très actifs sur la Toile. L'un des candidats malchanceux l'a souligné [21] [en russe] dans un post sur Facebook :

За Навального проголосовало 43 723 человека. При количестве подписчиков в твиттере 300 000 + ЖЖ, где тоже очень много подписчиков.

43.723 personnes ont voté pour Navalny. A rapporter à ses 300.000 followers sur Twitter, plus son LiveJournal, qui a aussi de nombreux followers.

D'autres étaient plutôt découragés. Mitya Aleshkovsky twitte ceci [22] [en russe]:

И самое важное чему нас научили выборы в КС это то, что проголосовало – 81801 человек. Я не верю, что оппозиции так мало.

Et ce que les élections du Conseil de coordination nous ont appris de plus important, c'est que 81.801 personnes ont voté. Je ne peux pas croire que l'opposition soit si peu nombreuse.

En attendant, Volkov a pris cher pour sa gestion des suffrages exprimés par les membres de MMM, la pyramide financière de Sergueï Mavrodi. Mavrodi, qui a clairement dit avant les élections qu'il essaierait d'influencer les résultats en obtenant de ses sbires des centaines de vote pour une liste [23] [russe] de 38 candidats moins connus (Global Voices a relaté [24] cette affaire il y a quelques jours). Selon Volkov lui-même [25] [en russe], près de 2000 membres de MMM ont échoué à s'authentifier et à voter dans ces élections. En d'autres termes, les satellites de Mavrodi formaient, en gros, un quart de l'électorat. Quoi qu'il en soit, la Commission électorale n'a décompté que la moitié des votes des membres de MMM. La raison de cette décision [26] [en russe] est pour le moins curieuse.

L'argument, alambiqué, ressemble à ceci : un certain nombre de personnes ont voté pour la liste de Mavrodi, mais ces votes n'étaient pas tous frauduleux ; l'étaient seulement ceux des membres de MMM qui se sont inscrits contraints par Mavrodi, en étant obligés de présenter une preuve de leur inscription pour pouvoir accéder à leur page personnelle de son site.

Les gens qui se sont inscrits après le 16 octobre (quand Mavrodi a décidé [27] [en russe] que demander simplement à ses sympathisants de s'inscrire n'était pas suffisant) ont donc été disqualifiés car “influencés par une campagne illégitime” si leur vote allait à la liste de Mavrodi.

Une décision bien difficile à justifier logiquement. Si l'implication de Mavrodi n'était pas dans l'esprit de ces élections, tous les votes MMM auraient dû être ignorés (ce qui abaisserait le nombre de participants réels à 60000 personnes). Si une telle proposition est impensable à cause de son caractère fondamentalement antidémocratique, la seule alternative rationnelle est de prendre en compte tous les votes. Après tout, ce n'est pas Mavrodi en personne qui a procédé aux votes, seulement à l'inscription. En outre, il n'a forcé personne a voter pour un candidat en particulier. Ainsi qu'il l'a lui-même fait remarquer [23] [en russe] sur son site Web :

[…] я рекомендую — не требую! боже упаси! :-)) — голосовать. Да и как я могу требовать? Я же не имею возможности проверить, как вы голосуете?

[…] Je recommande un vote, je ne l'exige pas ! Dieu m'en garde ! :-)) Et comment diable pourrais-je l'exiger ? Je n'ai pas les moyens de contrôler le vote des gens.

Si le fait de pousser les gens à s'inscrire pour ce vote sous la contrainte n'est pas sans poser des questions morales, il n'équivaut pas à forcer à participer au vote ou à voter pour un candidat précis (ce que Mavrodi n'a jamais fait). Dans ce sens, tous ceux qui ont voté en accord avec la liste de Mavrodi sont soit tous coupables, soit tous innocents.

En fin de compte, on ne sait pas si le Conseil va réellement avoir un rôle de leader de l'opposition. Le député de la Douma Ilya Ponomarev, qui a retiré sa candidature quelques jours avant le début des élections, a twitté [28] [en russe] à Volkov :

@leonidvolkov ты убил идею #ВыборыКС своей ее реализацией. Теперь надо как можно скорее похоронить усопшую и заняться другими делами

@leonidvolkov Tu as tué l'idée de ces #élections par la façon dont tu les as mises en oeuvre. Maintenant il n'y a plus qu'à enterrer le corps au plus vite et à passer à autre chose

Inversement, le journaliste Ilya Barabanov s'est adressé [29] [en russe] aux mécontents sur Twitter :

Не нравится этот КС – выберите через год другой.

Si ce Conseil de coordination ne vous plaît pas – vous n'avez qu'à en élire un autre dans un an.

Que Barabanov croie que le Conseil de coordination passera l'année 2013, voilà qui est optimiste. Mais cette confiance est-elle fondée ?