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Rassemblements en Ukraine contre la fraude électorale

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Ukraine, Cyber-activisme, Droit, Droits humains, Élections, Gouvernance, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Technologie

Neuf jours ont passé depuis les élections législatives du 28 octobre [1] en Ukraine, et le décompte des votes se poursuit encore [2], non sans turbulences, dans bon nombre de circonscriptions.

L'opposition accuse les fonctionnaires électoraux de réécrire les compte-rendus du scrutin en faveur des candidats gouvernementaux. Le 5 novembre, des centaines de personnes se sont rassemblées à Kiev pour une manifestation [3] contre la fraude électorale, et certains semblaient déterminés à rester sans limite de temps devant la Commission  électorale centrale, malgré la présence massive de la police anti-émeute sur les lieux, et une récente décision de justice interdisant les rassemblements à Kiev [ces liens sont en anglais].

[4]

Des centaines de personnes rassemblées au centre de Kiev protestent contre ce que l'opposition ukrainienne qualifie de fraude électorale par le parti au pouvoir du Président Victor Yanoukovytch aux élections législatives du 28 octobre. Photo Sergii Kharchenko, copyright © Demotix (5/11/12).

Oleksandra Kuzhel, une candidate de la liste de l'Opposition Unie/Parti Batkivchtchyna [5], écrit ceci [6] [en russe] à propos de la contestation et des manifestants :

[…] Aujourd'hui la zone de manifestation ne se limite pas aux alentours de la [Commission électorale centrale], elle est bien plus vaste. Elle s'étend aujourd'hui à l'Internet : à Twitter [hashtag #вибори2012 [7]/élections2012] et Facebook – et à chaque bureau de vote où des confrontations ont lieu entre les autorités et les Ukrainiens, ces derniers défendant, non pas le personnel politique, mais leurs voix, leur dignité et le droit d'être entendus. […]

Les compte-rendus en ligne provenant la semaine passée des circonscriptions disputées jettent une lumière crue sur les moeurs électorales ukrainiennes et aident à comprendre la frustration des électeurs ordinaires.

Ainsi, Andriy Parubiy a raconté [8] [en ukrainien] cet incident :

A [Jytomyr [9]], le président d'[une commission électorale locale] représente [le Parti des Régions [10], au pouvoir]. Les procès-verbaux signés [avec les résultats officiels du scrutin], il les a remis non pas à la commission électorale de district, mais à l'état-major du Parti des Régions ! Nous sommes en train d'aller les récupérer !

Denis Kazanskiy a mis en ligne ce récit [11] [en russe] du bureau de vote N°141686 à Donetsk [12], le fief du Parti des Régions, que Maidan.com.ua a intégré [13] [en russe], avec une vidéo correspondante, sur sa carte des violations (plus d'informations sur la surveillance collaborative des élections dans cet article de GV [14]):

18 rue Tsusimskaya [adresse du bureau de vote, et aussi allusion à la bataille de Tsushima [15]], sur le front. Le lieu est encerclé par les [voyous] et flics, les gens sont bloqués à l'intérieur, une femme pleure et appelle à l'aide. Une ambulance arrive, mais on ne laisse pas entrer les médecins. Des journalistes, des représentants des partis d'opposition et le député Nalivaichenko passent. Les voyous jouent les provocateurs, ne laissent entrer personne dans le bureau de vote. Le fils d'un observateur a tenté de forcer le passage, mais a été empêché. Les flics ignorent les appels à l'aide depuis l'intérieur. Impossible de savoir la vérité, c'est un chaos absolu, l'anarchie, les représentants de l'ordre [restent les bras croisés].

Artem Shevchenko a publié cette information [16] [en russe] depuis Kiev :

Bataille de Kiev. Nouvelles du front : l'ennemi a été battu à plate couture et contre-attaque désespérément sur les sections du front [les circonscriptions] N°216 et N°211, le recomptage des voix conforme aux décisions de justice ici. Circonscription N°223 : une nouvelle poche de résistance, quatrième jour de suite de féroce combat, lourdes de pertes de par et d'autre en [hommes et matériel]. Aujourd'hui, nos troupes se sont emparées de [la tête de pont [17] du Dniepr, d'importance stratégique pour Kiev – cote N°214 [autre circonscription électorale], où l'ennemi [Oles Dovhyi, ancien député-maire de Kiev] a annoncé sa capitulation totale et sans condition pour arrêter le bain de sang.

Yaroslav Bondarenko a lui aussi mentionné [18] [en ukrainien] la circonscription N°214 de Kiev dans sa note sur Facebook :

Ai bien ri à cause d'un membre de la commission et des observateurs de [Oles Dovhyi], qui insistaient pour qu'un des bulletins soit compté en faveur d'Oles : à côté de son nom était écrit “Un [salaud] de première.” Ils ne plaisantaient pas en maintenant que ce bulletin ne pouvait être considéré comme nul : “On voit clairement quel candidat a choisi cet électeur.”

Il y a quelques heures à peine, des signalements [19] [en ukrainien] ont commencé à arriver des violations lors d'un recomptage de voix à la commission de la circonscription kiévienne contestée N°223, citée dans l'un des “rapports du front” ci-desus. RadioSvoboda.org (RFE/RL)  réalise depuis la majeure partie de la semaine passée dans ce lieu une émission en direct non-stop [20] [en ukrainien et russe] sans précédent, que beaucoup comparent à une télé-réalité dans le genre ‘Big Brother’. (Hashtag Twitter #ОВК223 [21] ; photos de Mustafa Nayyem ici [22] ; captures d'écran de l'émission en live ici [23].)

[20]

Un policier garde la pièce avec les urnes à la commission électorale de district contestée N°223 de Kiev. Capture d'écran de l'émission live non-stop de RadioSvoboda.org – 23:20, mardi 6 novembre 2012.

L'utilisateur LJ frankensstein a publié ce récit [24] [en russe] accompagné d'une vidéo de Donetsk :

La farce dans [les bureaux de vote] de Donetsk était si patente que je ne comprends pas comment ces élections peuvent être déclarées légitimes : [les membres de la commission électorale] pour [le Parti des Régions] se donnaient comme représentants enregistrés de toutes sortes de pseudo-partis, comme l'Union des Anarchistes, la Fraternité, le Parti des Retraités, etc. Les “anarchistes” étaient incapables de dire ce qu'était l'anarchie ou de nommer au moins un classique de l'anarchisme, un “membre de la Fraternité” n'a pas su dire l'adresse du bureau de Donestk de son parti (rien d'étonnant, [il n'y en a pas]) et n'avait aucune idée de qui était Dmitry Korchinsky [le chef de la Fraternité]. Mais j'ai enregistré l'exemple le plus aveuglant au bureau de vote N°141677 dans la 42ème circonscription. Là-bas, aucun des membres de la commission ne savait quels partis ils représentaient.

Après l'émoi causé par notre visite dans ce bureau de vote, la police et quelques [voyous] sont apparus. Le bureau de vote a été interdit d'accès toute le nuit, la représentante du [Parti Udar [25] de Vitaly Klitschko [26]] Galina Khilinskaya, qui tentait d'empêcher les fraudes, s'est fait insulter et garder à l'intérieur contre son gré. Au matin, elle a été hospitalisée avec une crise cardiaque.

Je persiste à le dire : il n'y a pas eu d'élections à Donetsk. Les résultats de Donetsk ne devraient pas être reconnus.

Dans un commentaire, l'utilisateur LJ bolshoi a expliqué les défauts du système ukrainien d'établissement des commissions électorales :

[Les membres des commissions électorales] ne font que gagner de l'argent et suivre les instructions. Ils peuvent ne pas savoir qui ils représentent, une règle juridique absurde qui a peu d'équivalents dans le monde. Dans les pays civilisés, des fonctionnaires locaux et des responsables de l'ordre travaillent dans les bureaux de vote, et le Ministère de l'Intérieur est responsable des élections. Mais ici, on rémunère des non-professionnels dans les commissions, des gens qui peuvent être ignorants des règles juridiques élémentaires, et on les salarie pendant deux mois, également.

Ce même utilisateur LJ, bolshoi, a encore conclu dans un commentaire ultérieur, que même si un système électoral plus avancé était adopté en Ukraine, il n'en finirait pas moins par être propice à l'illégalité :

[…] Dans la pratique européenne, le vote par correspondance et par procuration sont une règle. Et le vote anticipé est généralement autorisé. Ce que donnerait le vote par procuration ne fait pas de doute en Ukraine. Une certaine professionnalisation du travail des commissions électorales n'en est pas moins nécessaire. On peut voir les choses autrement, bien sûr : le degré de fraude reflète le niveau de développement d'une société. La loi électorale ukrainienne donne plus de défenses formelles contre les fraudes que partout ailleurs en Europe. Tricher disons, en Hollande, ou […] regarder pour qui les gens ont voté en Angleterre, est beaucoup plus aisé [qu'en Ukraine]. Mais il ne viendrait à l'idée de personne de le faire [là-bas]. [En Ukraine] la procédure est considérablement plus complexe. Mais ils le font. Parce qu'ils le veulent.

La circonscription électorale la plus violente jusqu'à présent a été la ville de Pervomaysk dans la région de Mykolayiv [27], où le paroxysme de l'exploit fraudeur a été atteint avec le soutien de la police anti-émeute, qui a envahi la commission électorale de district N°132, et passé à tabac dans la foulée une poignée de manifestants rassemblés à l'extérieur.

Vakhtang Kipiani a re-publié une vidéo YouTube de l'assaut et écrit [28] [en ukrainien] :

Les policiers ne sont pas avec la population, ils sont avec [les vilains]. Si l'opposition accède un jour au pouvoir, elle devra [licencier tout le monde] au Ministère de l'Intérieur et recréer la police de zéro suivant [l'exemple de la République de Géorgie [29]]. A condition, certes, qu'ils aient la volonté politique de changer le pays, au lieu de se borner à embellir le cadavre puant du [passé soviétique].