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Netizen Report, édition Moyen-Orient : La censure du porno

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Cyber-activisme, Droits humains, Gouvernance, Liberté d'expression, Médias citoyens, Technologie, Advox

L'ensemble du Netizen report de ce mois est le résultat des recherches, des contributions et de l'éditing de Rayna St [1], Nermeen Edrees [2] et Hisham Almiraat [3].

La traduction en français a été réalisée par Marie André [4], Emmanuelle Leroy [5], Thalia Rahme [6], Laurence Noël [7]. Les liens sont en anglais sauf mention contraire.

La bande-annonce du film “L'innocence des musulmans” publiée sur YouTube avait provoqué une importante vague de protestations dans les pays de la région voici quelque temps. Différentes mesures ont été mises en place par les gouvernements du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord pour renforcer le contrôle des contenus qui circulent sur internet. Outre une campagne d'arrestations d'internautes accusés de blasphème, certains gouvernements de la région ont décidé d'étendre le champ de leur censure en ligne aux sites jugés “pornographiques”.

L’Arabie Saoudite, qui censure déjà de tels sites web, souhaite bloquer [8] des noms de domaine contenant des mots tels que ‘sexe’, ‘gay’ ou ‘porno’.

En Palestine, comme nous l'avions mentionné dans un précédent numéro [9] du Netizen Report [français], le gouvernement du Hamas dans la Bande de Gaza a pris des mesures [10] pour interdire l'accès aux sites porno. La crainte que le Hamas puisse étendre cette interdiction à des sites politiques [11] augmente.

The region’s officials have made banning websites deemed “pornographic” their new hobby horse. Image by Ronai on Flickr (CC-BY 2.0), adapted by the MENA NR team [12]

Les responsables des gouvernements au Moyen-Orient ont fait de l'interdiction des sites ‘pornographiques’ leur nouveau cheval de bataille. Photo de Ronai sur Flickr (CC-BY 2.0), modifiée par l'équipe du Netizen Report

L’ “allergie au porno” ne semble pas diminuer. Le site Your Middle East (“Votre Moyen-Orient”) rappelle [13] les tentatives des responsables égyptiens pour mettre un terme à l’ “appétit des internautes pour les sites de sexe”. En Égypte, de tels sites sont interdits par la loi mais ne sont pas bloqués. Selon Google Trends, en 2011, le pays se situait en 5ème position mondiale pour des recherches portant sur des mots comme “sexe”.

Le Dr. Salamouny, un avocat égyptien, fait tout son possible pour appliquer une réglementation plus coercitive : il a initié une procédure judiciaire demandant la fermeture complète des sites pornographiques en Égypte. Ce n'est pas la première fois qu'il intervient. Le Dr. Salamouny a déjà déployé toute son énergie [14] pour réglementer “la publicité vulgaire, qui utilise un langage obscène et des références sexuellement suggestives”.

Le 7 novembre, le Procureur de la République égyptien a annoncé que les sites porno seraient bloqués [15]. Effectivement, un tribunal avait autorisé des mesures techniques pour bloquer les contenus de sites jugés “pornographiques” en 2009. Nombreux ont émis des réserves [16], mettant en avant le fait que toute condamnation du contenu d'un site internet donné était la porte ouverte à la censure généralisée. L'Autorité de régulation des télécommunications égyptienne a toutefois publié un communiqué beaucoup plus nuancé [17] qui met à mal l'action du Parquet en faveur de la censure.

Censure

En Iran, un nouveau front de la censure du Net [18] semble s'être ouvert. Il y a environ un mois, le “Comité de filtrage” (mieux connu sous le nom l'armée spéciale des censeurs en ligne de la République Islamique), a ouvert un protocole qui rend inaccessible dans le pays tout matériel audiovisuel hébergé sur un serveur situé en dehors de l'Iran.

Des manifestations [19] contre la vidéo jugée anti-Islam, initialement diffusée sur YouTube en juillet 2012, se sont poursuivies en octobre dernier quand 10 000 musulmans ont manifesté devant les bureaux londoniens de Google pour demander que la vidéo soit retirée [20] du site. Un porte-parole de YouTube, filiale de Google, a reconnu que le sujet était sensible mais a déclaré que la vidéo “était conforme [à leurs] directives et procédures et qu'elle resterait sur YouTube”.

Au vu des violentes manifestations qui ont suivi la mise en ligne de cette vidéo sur YouTube, l'Arabie Saoudite souhaite la création d'un nouvel organisme international [21] pour censurer Internet. Dans un rapport au Forum International sur les Politiques de Télécommunications (World Telecommunications Policy Forum), organe des Nations Unies qui supervise les débats internationaux à venir sur la gouvernance d'internet, le Royaume dit vouloir “s'intéresser à la ‘liberté d'expression’ qui manifestement trouble l'ordre public”.

L'activisme des internautes

Au cours des 19 mois de révolution syrienne, Internet a prouvé être un champ de bataille très utile aux opposants au régime. Skype tout particulièrement est en train de devenir un “centre d'opérations” [22], la colonne vertébrale des communications, pour les insurgés qui s'en servent pour planifier, partager des informations en interne et faire connaître leurs points de vue.

En Égypte, une plate-forme collaborative en ligne, dostoormasr.com [23] (Constitution Égyptienne) [arabe] a été lancée. Elle utilise une interface Facebook et espère “faire participer tous les acteurs de la société égyptienne à la rédaction d'une nouvelle constitution”, en leur demandant de voter sur différents articles.

Brutalités

Le Ministre de l'Intérieur du Bahreïn a annoncé sur son site web [24] que quatre personnes ont été arrêtées en raison de leur “mauvaise utilisation des médias sociaux”. L'une d'elles a été accusé d'avoir “insulté le Roi” et a été condamnée à six mois de prison [25] le 1er novembre.

Le média tunisien indépendant Nawaat continue de subir des attaques informatiques : quelques messages sur Twitter ont annoncé [26] que Nawaat.org a été la cible d'attaques par déni de service (DDoS [27]) le 21 octobre. Le message sur la page Facebook du blog Boukornine [28] attribue cette cyberagression à une fuite qui devait y être publiée et écrit qu’ “on revient aux basses méthodes de la cyber-police de Ben Ali”.

Le caricaturiste syrien Akram Rslan a été détenu [29] après avoir publié un dessin représentant le président syrien Bachar El-Assad assiégé.

Le célèbre pianiste turc Fazil Say a été arrêté pour blasphème [30] après avoir posté des messages sur Twitter qui auraient soi-disant “insulté les valeurs religieuses”.

Des voix toujours menacées

Onze blogueurs ont comparu devant le tribunal de Muscat (Oman) le 24 octobre pour faire appel de la décision d'un an d'emprisonnement qu'ils ont reçue en août de cette année. Ils sont accusés d'avoir “insulté le Sultan”. Tous les blogueurs sont en liberté sous caution. Certains des accusés affirment avoir été emprisonnés après que leurs comptes Facebook ont été “piratés et détournés”.

Amnesty International a appelé les autorités égyptiennes [31] à libérer Alber Saber Ayad [32], un jeune activiste ayant participé au soulèvement populaire de 2011 qui a renversé l'ancien régime égyptien. Alber Saber est accusé de “diffamation de la religion” et encourt jusqu'à six ans de prison, pour avoir soi-disant posté des vidéos blasphématoires sur Internet. Son procès controversé a repris [33] le 16 octobre, mais a été reporté à novembre sans que la condamnation soit prononcée. Beshoy Kamil Kamel [34], un enseignant copte, a quant à lui été condamné à six ans de prison pour avoir soi-disant posté des contenus blasphématoires sur Facebook.

Cathy Casserly de Creative Commons rappelle [35] que Bassel Khartabil [36], activiste et collaborateur de Creative Commons, est toujours détenu.

Human Rights Watch appelle [37] à la libération immédiate du citoyen américano-saoudien Mohammad Salama, détenu pour avoir publié des tweets critiquant le Coran.

Vie privée

Les ressortissants des pays du Conseil de Coopération du Golfe pourront bientôt, avec leur seule carte d'identité, profiter de mesures permettant de réduire les files d'attentes aux points d'entrée et de sortie [38] des pays membres, grâce à l'utilisation de bornes électroniques. Mais le doute subsiste sur la façon dont les données seront collectées par ce système et sur la gestion de ces informations.

Cybersécurité

Ahmed Mansour est un ingénieur en électronique de 42 ans des Émirats Arabes Unis et militant pour les droits civiques dans son pays. Son ordinateur a été piraté [39] par un logiciel espion très sophistiqué commandé par le gouvernement et capable d'enregistrer chaque frappe sur le clavier et d'actionner la webcam à distance. C'est la dernière en date d'une série d'attaques similaires ayant pour cible des activistes [40] dans toute la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord.

En octobre 2012, Google a envoyé des dizaines de milliers de messages d'alerte aux utilisateurs de Gmail [41], les avertissant du nombre croissant d'attaques envers les services de messagerie électronique orchestrées par des gouvernements. Plus particulièrement, les représentants de Google ont affirmé que ces attaques sont issues du Moyen-Orient.

Les souverains du cyberespace

La Fondation Wikimédia et la Compagnie des télécoms saoudienne (STC) ont conclu [42] un accord afin de proposer “un accès gratuit à Wikipédia sur leur téléphone portable aux clients de STC en Arabie Saoudite, à Bahreïn et au Koweït”.

Gouvernance d'Internet 

Dans le but d’établir une plate-forme commune pour discuter et débattre de sujets et de questions relatives aux usages d’internet, la Société koweïtienne d’information et de technologie (“Kuwait Information Technology Society”) a accueilli du 9 au 11 octobre 2012 le premier Forum arabe sur la gouvernance d'Internet [43].

Politiques nationales

Les craintes que le gouvernement syrien ne coupe totalement l'accès à Internet [44] s’accentuent. Les observateurs craignent que le régime, qui a réalisé l’importance de l’utilisation d’internet, puisse priver l’opposition d’une “corde de sécurité” vitale.

Le gouvernement tunisien a annoncé son intention de mettre en application deux lois [45] relatives à la réforme des médias : l’une d'elles (Loi 115) a été adoptée par le gouvernement provisoire en novembre 2011 et porte sur la liberté de la presse ; l’autre (Loi 116) est relative à la création d’une autorité indépendante de l’audiovisuel.

Le blogueur irakien Bahar a publié [46] [arabe] une longue étude à propos de la loi sur la cybercriminalité dans son pays. Il se demande si le but de cette loi n’est pas, plutôt que de prévenir la criminalité en ligne, un moyen de museler l’opposition. Comme nous l'avions déjà signalé [47] [français], ce projet de loi représente une grave menace pour la liberté d’expression en ligne.

Droits d'auteur

Le blog IPKat, spécialiste des questions de la propriété intellectuelle, examine l'affaire “Garcia contre Nakoula, Google et YouTube” [48]. Plus précisément, ce procès pose la question de savoir “si un acteur est aussi un auteur ?”. Nakoula est l’auteur de la tristement célèbre bande-annonce “L'innocence des musulmans” qui a généré des actes de violence dans de nombreux pays de la région et a constitué une justification à la censure [49].

De bonnes nouvelles

Arab Journalism Awards, les Prix 2012 du journalisme arabe accepte désormais les soumissions [50].

Le caricaturiste syrien Ali Ferzat, maintenant rétabli, a décidé de relancer [51] son ancien magazine satirique Al-Domari depuis Le Caire.

Des internautes marocains ont créé un groupe Facebook Open Government Morocco [52]. Il s'agit d'une page accessible en arabe, français et anglais et dédiée à l’ouverture et au partage des données publiques produites par le gouvernement. Ils ont tenu leur première réunion virtuelle [53] en langue française afin de discuter de l’organisation du groupe.

Les autorités palestiniennes se sont, elles aussi, engagées pour plus de transparence. Le site français OWNI a publié [54] un entretien avec Safa Nasser Eldin, la Ministre des télécommunications de l'Autorité palestinienne.

Le collectif égyptien Mosireen [55] a récolté lors de sa campagne de collecte de fonds collaborative [56] la somme de 40 415 dollars US (les activistes s'étaient fixé pour objectif 40 000 dollars US).

Lectures conseillées

Vous pouvez recevoir le Netizen Report par courriel [65]

Pour les évènements à venir en rapport avec le futur des droits des citoyens à l'âge numérique, voyez le Calendrier Global Voices des Evénements [66].