Ce billet fait partie de notre dossier spécial sur la crise en Europe.
[Sauf mention contraire, les liens renvoient vers des pages en espagnol.]
Depuis le début de la crise qui touche actuellement l’Europe, les manifestations de protestation se sont multipliées dans les pays méditerranéens les plus touchés. En Espagne, les protestations de grande ampleur ont commencé [fr] le 15 mai 2011, avec le mouvement 15M, dit des Indignés. La manifestation de ce jour-là s’était terminée par l’expulsion musclée des manifestants restés sur la place de la Puerta del Sol de Madrid. La violence dont avait fait preuve les forces de police avait donné lieu à une deuxième concentration massive qui s’était ensuite transformé en campement. Le mouvement, qui durera quelques mois, s’était étendu à la majorité des villes espagnoles et beaucoup d’autres villes européennes [fr].
Mercredi dernier, à l’occasion de la grève générale convoquée à travers l’Europe, des manifestations étaient organisées dans toutes les villes d’Espagne. Elles ont été accompagnées de violences policières, devenues hélas habituelles. À Tarragone, où le maintien de l’ordre public est à la charge des mossos d’esquadra (la police de la région autonome de Catalogne), un enfant de 13 ans a été blessé à la tête et a dû être emmené à l’hôpital car sa blessure nécessitait des points de suture. Dans la vidéo, visionnée un grand nombre de fois, nous pouvons voir comment un policier frappe l’enfant, puis comment deux autres donnent des coups de matraque à une jeune fille, également mineure, témoin de la scène, qui les prend verbalement à parti devant une telle brutalité.
Les parents de l’enfant et la jeune fille ont déposé plainte contre les policiers responsables de cette attaque. À Barcelone, une femme atteinte par une balle de caoutchouc, risque de perdre l’usage d’un œil. À Madrid, les violences ont été nombreuses.
Dans cette vidéo, nous pouvons voir l’inquiétant manque de contrôle d’un policier qui agresse une manifestante apparemment sans raison.
Ce type de débordements a donné lieu à de nombreux commentaires sur le net. Par exemple, Jordi Lucena Pallas écrit sur la page Facebook appelant à la démission de Felip Puig [ministre de l’Intérieur catalan] :
Ces agents, quand ils étaient petits, ils voulaient devenir policier pour protéger les gentils et attraper les méchants ? Leur famille doit être très fière d’eux… Nous devrions penser à revoir les examens psycho-techniques qu’ils doivent passer pour être engagés et ceux qui sont déjà employés devraient être réévalués parce que s’ils ne portaient pas d’uniforme, selon certaines images, nous dirions qu’ils sont violents et nous les livrerions aux forces anti-émeutes…
Autre commentaire de José Carlos Pérez Silva sur la page « No hay pan para tanto chorizo » :
S’ils ne sont pas professionnels et ne savent pas l’être, qu’ils aillent vendre leur cul sur les Ramblas. F de p.
Les Espagnols sont toujours plus préoccupés par la violence croissante exercée par les forces censées les protéger. La police, l’une des institutions les plus craintes et stigmatisées durant la dictature, a eu besoin de nombreuses années pour gagner la confiance et la sympathie de la population. Une image, ayant demandé de nombreux efforts, qui s’effrite à cause du comportements de certains agents lors des manifestations au cours des dernières années.
Selon l’opinion générale, durant ces années, la police a engagé trop de personnes n’étant pas à la hauteur de l’emploi, notamment en termes de professionnalisme et de self-control, et ne répondant pas aux critères exigés pour faire partie des forces de sécurité d’un État démocratique.
Comme le commente El Rey Bufón sur la page Facebook « Ser policía, vergüenza me daría » [« J’aurais honte d’être policier »]
Le gouvernement et l’oligarchie qu’il sert ont si peu de scrupules… Ils ont seulement peur… Et plus la peur est grande, plus la répression est importante…
Le fait que les policiers, tant nationaux que rattachés aux régions autonomes, masquent de manière systématique leur numéro de plaque, que la loi leur oblige pourtant à arborer visiblement, que de nombreux photographes, y compris parmi les professionnels accrédités, soient victimes d’agressions et que le responsable des forces de police ait dit il y a quelques semaines qu’il envisageait d’interdire que les policiers puissent être filmés, nourrissent l’impression que la police souhaite que ses membres soient anonymes pour rester impunis.
Les manifestants dénoncent la présence de policiers infiltrés dans les rassemblements, un fait admis par le secrétaire général du syndicat de la police dans une interview avec le journal Público. Le problème étant que beaucoup de témoignages s’accordent à dire que parfois ces infiltrés provoquent les confrontations avec les forces anti-émeutes pour donner à leurs collègues une raison de charger contre les manifestants.
Amnesty International a dénoncé à plusieurs reprises cette situation. L’organisation a lancé une récolte de signature pour demander au ministre de l’Intérieur qu’il prenne les mesures nécessaires contre la brutalité policière et qu’en cas de violences il soit garantit que les procédures disciplinaires adéquates soient suivies.
Pour beaucoup, l’attitude des forces de polices inquiète car elle rappelle la dictature de Franco. Les citoyens ont peur que la population cesse de soutenir la profession et que celle-ci perde la confiance acquise au prix de nombreux efforts.
Ce billet fait partie de notre dossier spécial sur la crise en Europe.
1 commentaire
Une culture démocratique a du mal à pénétrer certains corps, l’armée, la police, le fisc.. bref, le nerf du pouvoir. En France, laquelle n’est pas un top-modèle en la matière, il a fallu deux cents ans de jurisprudence du Conseil d’Etat pour donner quelques garde-fous à la toute-puissance de ces corps, laquelle certaines portions du paysage politique (tenant vers la droite le plus souvent) tâchent de restaurer sans cesse. Un certain ‘sens démocratique’ (sous-entendons ‘un niveau de vie assez élevé’) nous permet de cimenter au fil de générations sans cesse toujours plus vigilantes (non, je délire) une certaine attention collective au processus démocratique des corps de puissance régalienne. C’est ainsi que ça marche: l’Espagne, démocratie dont les fondations sont quarante ans de franquisme bigot ininterrompu, a encore pas mal de crasse à charrier. D’autant qu’il ne suffit pas d’attendre la mort de tous les franquistes historiques: leur venin aussi s’inocule à travers les jeunes.