Un article sur la fortune du Premier ministre chinois a-t-il affaibli les réformistes ?

Cet article fait partie de notre dossier central Relations internationales et sécurité.

Grandpa Wen’s Nightmare, by Hexie Farm (蟹农场)

Le cauchemar de grand-père Wen, par Hexie Farm (蟹农场) (publié avec autorisation)

La marmite politique chinoise s'est mise à bouillir frénétiquement dans la perspective du 18ème Congrès national du Parti communiste chinois et de la passation de pouvoir qui a eu lieu à Pékin le 14 novembre 2012. Beaucoup voient dans la composition du nouveau Comité permanent du Bureau politique la défaite du président sortant Hu Jintao, qui n'a pas réussi à faire promouvoir ses alliés réformistes. Qui plus est, Hu a cédé plus tôt que prévu la présidence de la Commission militaire centrale. Les conservateurs chinois ont-ils été plus forts qu'on ne s'y attendait, ou est-ce les réformistes qui se sont trouvés affaiblis ?

Deux semaines seulement avant l’ouverture du congrès, le 26 octobre 2012, le New York Times publiait un article [lien en anglais] révélant que les membres de la famille de Wen Jiabao avaient amassé une fortune de 2,7 milliards de dollars US en se servant de l'influence du Premier ministre et les liens étroits existant entre la politique et les affaires en Chine.

La politique chinoise étant déjà fortement déstabilisée, l’article du New York Times a suscité un nombre très important de réactions sur Sina Weibo, le site de médias sociaux chinois censé être un reflet raisonnable de l'opinion publique chinoise. Des commentaires exprimant à la fois surprise et déception ont inondé la Toile mais beaucoup de messages témoignant d'un soutien inconditionnel à Wen Jiabao ont également été publiés, a déclaré Rachel Lu sur Tea Leaf Nation [lien en anglais].

La machine de censure chinoise étant toujours prête à mettre fin à toute « perturbation de l’harmonie », l'accès aux versions anglaise et chinoise du site internet du New York Times a été bloqué dans les heures suivant la publication de l'article. Cependant, les internautes chinois sont très créatifs lorsqu'il s’agit de passer outre la Grande Muraille du web chinois. Ils utilisaient déjà le nom de code “Sparte” (qui a une prononciation similaire à « 18ème Congrès » en chinois) afin d'accéder à l'article. Sur Quartz, Lily Kuo raconte comment les internautes chinois ont réussi à contourner la censure pour lire l'article et discuter de ce sujet. Kuo a écrit :

Les blogueurs chinois ont eu recours à divers homonymes pour désigner le New York Times afin de contourner la censure. Ils ont par exemple utilisé l'homonyme « Twisted Waist Times » (扭腰时报 en chinois, le journal de la taille tordue, en français) qui se prononce comme le nom du journal en chinois et qui a déjà été bloqué à son tour. Mais « Cattle Times » (Le Times du bétail), un autre homonyme, semble avoir tenu le coup pour l'instant.

 

Certains ont associé l’article et sa date de publication à ce qui est sans doute le plus grand scandale politique des derniers mois : la chute du politicien de premier plan, Bo Xilai. Malgré les efforts du Parti pour présenter cela comme un exemple de la lutte contre la corruption, beaucoup l’ont perçue comme un signe clair de conflit interne. Bo Xilai est considéré comme un représentant de la faction conservatrice du Parti (ce qui correspond à la gauche en Chine), opposée aux réformistes représentés par le maintenant ex-Premier ministre Wen Jiabao.

Dans son billet publié sur Tea Leaf Nation, Lu a rassemblé quelques-uns des commentaires allant dans ce sens :

“Dans quel camp le New York Times se range-t-il ? A-t-il été payé par les partisans de Mao ?” a demandé un internaute. “Tous les joueurs réalisent leurs dernières manoeuvres pour positionner leurs pions, c'est ce que je pense du gros titre du New York Times d'aujourd'hui. » a commenté un autre. Certains croient que le journal est un pion dans la lutte pour le pouvoir : “Cette fois, le New York Times ne comprend vraiment pas la Chine. Il se laisse manipuler comme une marionnette.” Un autre utilisateur a publié : “Les informations ont sans doute été données au New York Times par les hommes de gauche au pouvoir en Chine et la droite l’a bien mérité.”

D'autres admirent quand même Wen Jiabao car il est le plus ancien et le plus virulent des représentants chinois osant demander des réformes ouvertement. “Ce n'est pas grave si ces informations sont vraies. De toute manière, je ne m’attends pas à trouver de hauts responsables n’ayant rien à cacher au sein du PCC [Parti Communiste Chinois]. J'espère seulement que les libéraux et les réformistes vont commencer de véritables réformes politiques”, a écrit un internaute.

 

S'il ne fait guère de doute que le journaliste du New York Times, David Barboza, a effectué beaucoup de recherches dans de complexes dossiers d'entreprises, la possibilité que quelqu'un l’ait aidé ne peut pas être exclue. Cela ne saurait amoindrir son travail, mais pourrait contribuer à expliquer la domination de l'aile conservatrice autrefois dirigée par Bo Xilai sur le nouveau cycle de la politique chinoise qui commence.

 

ISN logoCe billet et ses traductions en espagnol, arabe et français ont été réalisés pour le compte du Réseau international de sécurité (International Security Network) (ISN), dans le cadre d'un partenariat visant à donner la parole aux citoyens sur des questions liées aux relations internationales et à la sécurité dans le monde. Initialement, ce billet a été publié sur le blog de l'ISN. D'autres articles similaires sont disponibles ici.

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