Le mercredi 28 novembre 2012, l'Equateur a ouvert des négociations internationales pour l'adjudication de 13 blocs pétroliers – soit plus de 4 millions d'hectares de territoire amazonien vierge – dans la région du Centre-Sud alors que les chefs des communautés autochtones sont descendus dans les rues de Quito pour protester contre les concessions pétrolières accordées sur leurs terres.
Des centaines de manifestants autochtones se sont réunis, la semaine dernière, devant l'hôtel J.W. Marriott de Quito, durant la 7ème réunion annuelle pour le Pétrole et l'Energie qui a marqué le début du processus d'adjudication.
Organisée par la Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur (CONAIE) et la Confédération des nationalités indigènes de l'Amazonie équatorienne (CONFENIAE), cette manifestation a réuni aussi des représentants de 7 nations indigènes qui ont exprimé leur inquiétude quant au manque de consultation pour l'attribution des concessions et l'éventuel impact environnemental et social de ces prospections. AmazonWatch fait savoir que les manifestants autochtones se sont heurtés à des militaires, des policiers, des agents de sécurité privée et ont essuyé des tirs de gaz lacrymogène AmazonWatch a également publié plusieurs photos de la confrontation sur son site internet .
Selon Earth Island, la CONFENIAE affirme que le sous-Secrétaire aux hydrocarbures s'est rendu dans les communautés autochtones d'Achuar, de Kichwa et de Sapara sans autorisation et en a consulté les habitants. La CONFENIAE maintient que ces consultations n'étaient pas légitimes car elles n'incluaient qu'un groupe choisi de personnes et non les grandes structures décisionnelles des communautés.
Le blogueur Ecuachaski avait déjà fait savoir en octobre de cette année que les chefs des communautés de Schuar, d'Achuar, de Shiwiar, de Sapara et de Kichwa avaient donné une conférence de presse commune pour annoncer qu'ils n'autoriseraient pas l'entrée d'industries pétrolières sur leurs terres. On peut également écouter le fichier audio de cette réunion.
Bien que les organisations autochtones se soient prononcées de manière négative à plusieurs occasions sur la 11ème Table de négociations pétrolières, le gouvernement de Correa n'a pas répondu à leurs requêtes.
Dans une déclaration officielle publiée sur Internet le 28 novembre, la CONAIE et la CONFENIAE avaient écrit ceci:
Les nationalités indigènes situées au centre-sud de l'Amazonie: les Kichwas d'Amazonie, les Shuar, les Achuar, les Shiwiar et les Sáparas, ont rejeté la décision unilatérale de la 11ème Table de négociations pétrolières de mettre aux enchères des blocs pétroliers et ont réclamé que celle-ci soit immédiatement suspendue.
De plus, les organisations soulignent le fait que les consultations gouvernementales n'ont pas respecté les règles locales de prise de décision et que celles-ci ne se sont pas déroulées comme il se doit c'est-à-dire dans la langue autochtone.
Dans le communiqué, on peut aussi lire cette déclaration du Président de la CONFENIAE, Franco Viter:
“… Nous sommes unis et nous nous opposons complètement à cette 11ème Table de négociations pétrolières. L'avancée de la frontière pétrolière sur notre territoire constitue la fin de notre mode de vie et pourrait également signifier notre mort.
Pour l'Equateur, le plus petit membre de l’OPEP (Organisation des Pays exportateurs de pétrole), l'industrie pétrolière représente une source essentielle de revenus pour l'Etat. Selon l'agence Reuters, le gouvernement espère un investissement d'au moins un milliard de dollars dans les 13 blocs. Bien que la production de pétrole du pays se soit maintenue ces dernières années à 500 000 barils par jour, le Ministre des Ressources non renouvelables, Wilson Pastor, espère voir la production passer à 530 000 barils par jour, ce qui permettrait au pays de subsister dix années de plus.
Les compagnies pétrolières ont six mois pour faire des offres quant à ces nouvelles concessions en Amazonie. Le gouvernement espère que les contrats soient signés avant septembre 2013.
« Nous vivons une contradiction »
La 11ème Table de négociations pétrolières a lieu en un pays qui réclame des fonds pour renoncer au pétrole se trouvant dans le sous-sol de la zone de Ishpingo-Tambococha-Tiputini (ITT) dans le Parc National Yasuní. L’initiative gouvernementale a réuni 64 millions de dollars en provenance de gouvernements, de fondations et de particuliers et a obtenu la promesse d'en obtenir 187 millions supplémentaires. Le chef du comité qui négocie le projet, Ivonee Baki, a déclaré récemment :
L'Equateur ne veut pas être dépendant du pétrole et ceci est donc une manière de réduire sa dépendance. Les pays pétroliers sont maudits. Les pays développés dépendent tellement du pétrole qu'ils ne développent plus rien. Cela incite à la corruption et ce sont les pauvres qui en paient le prix. Tous les profits vont traditionnellement aux élites.
Dans une interview pour Rebelión au mois de novembre, Franco Viteri, Président de la CONFENIAE, a signalé la contradiction de l'actuelle administration de Correa:
Nous vivons assurément une contradiction. Alors que l'on amorce un discours écologique dans les milieux internationaux, le gouvernement du Présidente Rafael Correa a lancé la 11ème Table de négociations pétrolières.
Cette contradiction a fait, le 26 octobre de cette année, l'objet de l'attention internationale lorsque le Centre indien des Ressources juridiques des Etats-Unis a adressé une lettre à plusieurs fonctionnaires de l'ONU en charge du dossier sur les changements climatiques en laquelle il signalait les contradictions existantes entre le manifeste engagement du gouvernement à préserver les forêts et le projet d'abandonner aux compagnies pétrolières trois millions d'hectares du territoire autochtone ancestral, lequel est actuellement préservé dans le cadre du programme équatorien SocioBosque qui paie les peuples autochtones pour éviter la déforestation de leurs terres. La lettre remet en question la légalité de la procédure d'adjudication des concessions mise en oeuvre sans le consentement préalable, libre et informé des peuples autochtones.
18ème Conférence des parties de la Convention-cadre de l'Organisation des Nations Unies
Cet actuel appel d'offre pour les concessions pétrolières a lieu tout en ayant pour toile de fond la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (COP18) à Doha (Quatar) à laquelle a assisté le Ministre de l'Environnement de l'Equateur. La conférence s'est déroulée du 26 novembre au 7 décembre.
Plusieurs chefs autochtones de l'Amazonie équatorienne, parmi lesquels le Président de la Fédération interdépartemental des Centres Shuar, Francisco Shiki, ont porté devant la 18ème Conférence des parties de la Convention-cadre de l'Organisation des Nations Unies le débat sur la 11ème Table de négociations pétrolières. Selon la Fondation Pachamama, les chefs ont recherché des alliances internationales pour dénoncer le «manque de volonté politique du gouvernement équatorien à s'engager dans la défense environnementale et la protection sociale en Equateur».
Trois chefs de Sarayaku – une communauté autochtone équatorienne qui s'est rendue célèbre pour ses batailles juridiques avec les compagnies pétrolières internationales – se sont joints à la protestation. Ils ont récemment réalisé une pétition en vidéo sur le site internet d'AmazonWatch.
Bien que la 11ème Table de négociations pétrolières n'inclut actuellement pas leurs terres, le gouvernement pourrait ajouter cinq blocs de plus à l'appel d'offre, ce qui dès lors inclurait les territoires de Sarayaku (Kichwa). Sur le blog du peuple Sarayaku, il est possible de lire plusieurs lettres écrites de manière conjointe et adressées au gouvernement Correa pour critiquer les précédentes “consultations” du gouvernement sur le pétrole qui ne respectent ni la Convention 169 de l'Organisation internationale du Travail (OIT) ni la Constitution équatorienne relativement au consentement préalable, libre et informé des peuples autochtones.
Les organisations autochtones ont l'intention de continuer de protester tout au long du mois de décembre pour attirer l'attention sur les contradictions existant entre les programmes environnementaux de l'Equateur, son engagement constitutionnel à protéger les droits des peuples autochtones et les concessions des terres autochtones vierges lors de la 11ème Table de négociations pétrolières.