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Lutte contre le trafic international de femmes: abolir ou réglementer la prostitution? – Première partie-

Catégories: Europe de l'ouest, France, Cyber-activisme, Droit, Droits humains, Femmes et genre, Médias citoyens, Migrations & immigrés, Santé

Deux cents ONG venues de toute l’Europe se sont réunies au Parlement européen de Bruxelles le 4 décembre. Elles ont lancé un appel à l’abolition de la prostitution [1] et présenté les contours d’une politique abolitionniste européenne. C’est la première fois qu’un tel débat a eu lieu dans l’enceinte du Parlement Européen, qui élabore actuellement un rapport global d’évaluation des politiques européennes sur la prostitution. [2]

Différents groupes féministes ont défilé contre la violence envers les femmes à Paris, dans le cadre d'une mobilisation internationale.Des opinions féministes très diverses se sont exprimées, tantôt favorables, tantôt défavorables à la pénalisation de la prostituée et des clients. Photo Tom Craig copyright Demotix (25/11/2012)

Pour les abolitionnistes, la criminalisation de la prostitution est la clé pour contrer le trafic d’êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. Pour Grégoire Théry [3] au site Egalité [4], Secrétaire général du Mouvement du Nid : « Le réglementarisme n’est pas la légalisation de la prostitution mais du proxénétisme. Réglementer la prostitution, c’est autoriser à tirer parti de la prostitution d’autrui ».

En France, où 90 % des prostituées sont étrangères, la Ministre du Droit des Femmes Najat Vallaud-Belkacem a présenté un projet de loi sur l’abolition de la prostitution et la protection des victimes, pour suivre le modèle suédois. Son objectif est « de protéger l'immense majorité des prostituées qui sont d'abord des victimes de violence de la part des réseaux, des proxénètes“.

Aux Pays-Bas, où la prostitution est autorisée et réglementée, la police estime à 50 à 80% des prostituées dans l’industrie légale forcées à se prostituer.

Il est difficile d’avancer des données sûres sur le nombre de prostituées victimes de trafics internationaux. D’une part les pratiques pour comptabiliser ces affaires sont différentes d’un pays à l’autre. D’autre part, le phénomène reste souvent dans la clandestinité et les victimes peinent à dénoncer les criminels par peur de représailles. En Suisse [5], selon l’Office fédéral de la statistique, on a enregistré 147 plaintes au cours des trois dernières années (2009-2011) et seulement 66 personnes ont été condamnées pour trafic d’êtres humains depuis l’an 2000.

En France, 60 enquêtes pour traite d'êtres humains ont été ouvertes depuis 2004, et d'autres cas font fait l'objet de poursuites sous des qualifications différentes : proxénétisme, esclavage. Une quarantaine de réseaux criminels ont été démantelés en 2011 à Paris, Caen, Bordeaux ou Strasbourg et ont permis de découvrir des victimes colombiennes, chinoises, équatoriennes, nigérianes, roumaines et brésiliennes.

Prostituées transexuelles brésiliennes manifestant devant le Sénat à Paris contre la Loi Anti-Prostitution, mise en place en 2002 Nicolas Sarkozy. Photo de Tom Craig copyright Demotix (21/03/2012)

Selon les nouvelles informations de l’office international du travail [6] publiées en juin 2012, 21 millions de personnes dans le monde sont victimes de travaux forcés et de traite d’êtres humains. Parmi elles, 4,5 millions sont exploitées sexuellement, majoritairement des femmes et des enfants. 880 000 sont comptabilisées dans l’Union Européenne. “Achetées parfois seulement quelques euros”, elles rapportent “une moyenne de 150 000 euros net par an dans les pays occidentaux”, insiste la Fondation Scelles.

La Fondation Selles montre que la traite des êtres humains connaît une évolution “inquiétante” en Europe [7]. Selon le rapport de la Fondation publié en décembre 2012 [8] intitulé “Exploitation sexuelle : prostitution et crime organisé”, qui fait un bilan de la prostitution dans 54 pays, les proxénètes ont organisé la traite “sur un modèle capitaliste exemplaire”. Le chiffre d’affaires de l’industrie du sexe s’élèverait à plus de 1,5 milliard en Grèce (soit environ 0,70% du PIB) et jusqu’à 18 milliards d’euros en Espagne, où la prostitution est autorisée et réglementée comme tout autre travail.

Les voix favorables à l’abolition s’expriment dans la presse [9]. Elles s’expriment également dans les médias sociaux.

Le 18 décembre 2012, Christine Le Doaré, juriste dans son Blog irréductible et solidaire, féministe, quoi ! [10] s’engage pour l’abolition :

Aux clichés du libre choix et du moralisme abolitionniste, j’opposerais tout d’abord que de plus en plus de témoignages et d’études établissent qu’un grand nombre de personnes prostituées ont été victimes de violences sexuelles dans l’enfance. […] Se pourrait-il que les réglementaristes soient, à ce point, cyniques pour admettre que notre société n’a pas de proposition plus généreuse que la prostitution pour les aider à se reconstruire ? […] Les réglementaristes se sont-ils seulement posé la question de l’âge moyen d’espérance de vie d’une personne prostituée ? Une société ne doit-elle pas d’abord penser à protéger les personnes les plus vulnérables ? Les principes d’intégrité et de non marchandisation des corps humains ne constituent-ils pas des droits inaliénables qui doivent rester hors du commerce et des lois des marchés ? ».

Campagne des Prostituées Indignées à Barcelone. Des prostituées masquées protestent contre l'annonce faite par la Chambre Municipale d'une possible modification de la loi sur la prostitution à Barcelone. Photo Pau Barrena copyright Demotix (26/04/2012)

 

Toutefois partout à travers l'Europe et le Monde, les professionnels du sexe, français ou étrangers, expriment leur désaccord vis-à-vis de la criminalisation des acteurs de la prostitution. Avec l’appui de mouvements féministes, ils revendiquent le droit à l’auto-détermination et au respect de leurs droits fondamentaux et demandent la mise en place d'un véritable statut pour leur profession.

Une tribune d’intellectuels et féministes [11] français publiée en août déclare :

Chaque adulte doit être libre de ce qu'il veut faire ou ne pas faire de son corps. Décréter illégal ce qu'on trouve immoral n'est pas un grand pas vers le Bien, c'est une dérive despotique. Le pouvoir politique n'a pas à intervenir dans les pratiques sexuelles des adultes consentants. La priorité, c'est de faire de la lutte contre les trafiquants d'êtres humains une cause nationale et d'y mettre les moyens.