Szabolcs Panyi, 26 ans, est auteur et éditeur d'un blog hongrois célèbre, Véleményvezér (“Leader d'opinion”). Il a rejoint Global Voices en hongrois en septembre 2011, et depuis mars 2012, il est co-éditeur du site.
Global Voices: Le Prix Junior Prima [hongrois, hu] récompense le talent de jeunes Hongrois chaque année. Est-il possible qu'en 2012 vous ayez été le premier blogueur à le recevoir [hu] ?
Szabolcs Panyi: Oui, je suis le premier à le recevoir en tant que blogueur. C'est extraordinaire, bien sûr, mais il ne s'agit pas seulement de moi mais du blog [hu], et donc de ses autres auteurs aussi. D'autre part, avec ce prix, l'importance des blogs est également reconnue.
GV: Avant que tu ne rejoignes Global Voices, j'ai souvent cité ton blog Véleményvezér sur notre site Global Voices en anglais, parce que selon moi son nom reflète ce qu'il fait : un blog d'opinion leader pour les lecteurs hongrois. Quelle a été la recette pour faire d'un blog traitant des affaires publiques un succès ?
SZP:
Je crois que c'est du au fait que la plupart du temps nous essayons d'écrire dans un style anglo-saxon, concis et aussi pondéré que possible. Les blogs hongrois et les billets d'opinions sont en général assez passionnés, de parti pris et ironiques dans leur style. Nous voulions quelque chose de différent. Notre but n'est pas de parvenir à un consensus mais de faire réfléchir les gens. Nous avons évolué vers plus de critiques envers le gouvernement ces derniers temps, mais c'est parce que toute la politique hongroise a changé.
Le concept (du blog) est de mettre en valeur l’évènement le plus marquant de la journée précédente, nous aidons donc pour résumer ceux qui ne suivent pas l'actualité politique de très près à toujours être à jour des affaires importantes, sans avoir à lire une tonne de choses. De plus, nous collaborons avec Index [un site d'informations] et nous devons beaucoup à Index et Blog.hu [la plateforme de blogs d'Index], parce qu'ils publient nos articles sur leur page d'accueil, avec leurs propres contenus, et nous envoie beaucoup de leurs lecteurs.
GV : Connaissez-vous vos lecteurs, savez-vous qui lit Véleményvezér ?
SZP: Selon les statistiques de notre page Facebook, la plupart ont entre 25 et 45 ans, des hommes, qui vivent à Budapest [la capitale]. Je rencontre souvent des gens qui me disent qu'ils nous lisent, et c'est toujours agréable d'entendre ça. Récemment, des citoyens ordinaires, des électeurs de droite déçus et désillusionnés qui critiquent de longue date le parti au gouvernement ont commencé à nous lire. Mais ceux que nous aimerions assez toucher sont un peu comme nous, des moins de 45 ans, [des gens qui ont] entre 20 et 30 ans, qui veulent voir la Hongrie adopter des normes européennes et maintenir des bonnes relations avec ses partenaires occidentaux, et non avec des régimes autoritaires, puisque nous faisons partie de l'Occident. Et, naturellement [ceux qui veulent que] le gouvernement adopte une politique économique raisonnable, pragmatique, qui renforce le pays. C'est à dire, des modérés de droite classique qui observent les évènements de la vie politique hongroise avec une mine défaite depuis quelques temps déjà.
Nous nous appelons Véleményvezér [“Leader d'opinion”] parce que le but n'est pas seulement d'être lu par beaucoup de lecteurs, mais de toucher des personnes importantes qui sont influentes et occupent des postes à responsabilités. En capitalisant sur cela, nous tentons d'attirer l'attention sur des questions que nous trouvons importantes, c'est pour cela que nous approfondissons plus certains sujets que le grand public ne l'estime nécessaire : par exemple, le passé des services secrets communistes du pays.
GV: A un moment donné, vous avez invité des personnalités, des journalistes et des experts à commenter vos posts. Quelle procédure avez-vous suivie ?
SZP: Nous avons désactivé la fonction commentaires pour tous. Tout le monde peut commenter nos articles sur Facebook [hu] en utilisant sa véritable identité, chaque article y reçoit habituellement entre 50 et 200 commentaires. Sur le blog, 20-30 commentateurs invités peuvent commenter, ce sont principalement des économistes, des journalistes, des commentateurs politiques, des professeurs d'université, des experts venant d'horizons différents, qui ont tous de moins de 45 et ont produit des choses intéressantes dans leur domaine. Ce sont nos lecteurs idéaux, et ce sont eux que nous aimerions présenter à nos lecteurs comme des protagonistes plus dignes d'attention que les vieux chroniqueurs qui ont grandi sous le socialisme et rabâchent toujours les mêmes choses depuis.
GV : Une autre raison a motivé votre redirection des commentateurs vers Facebook ?
SZP: Le niveau de culture du commentaire est assez bas en Hongrie et nous voulions des commentaires de qualité sur notre site, développer une culture du débat de qualité sur ce support. Nous avons reçu beaucoup de commentaires sur nos articles, disons plus d'un millier, et pour trouver quelque chose de cohérent, il fallait dérouler tout le fil des commentaires, c'était donc des contenus totalement sans intérêt, ou plutôt, le commentaire intéressant était noyé dans les commentaires ineptes. En instaurant cette procédure, nous avons été en mesure de nous assurer que les commentaires était une valeur ajoutée dans tous les cas.
Le dernier exemple en date est un commentaire de Lászó Varró de l'Agence internationale de l'énergie (chef de la division Gaz, Charbon et Electricité). Quand (notre partenaire) Index a mis ce commentaire en valeur sur sa page d'accueil, cela nous a apporté 20 000 lecteurs supplémentaires. Grâce à la visibilité de ce seul commentaire.
GV: Dans votre article [hu] publié à l'occasion du Blog Action Day, vous écrivez que les blogueurs hongrois sont libres, qu'ils peuvent tout publier. Etes-vous encore de cet avis ?
SZP : Oui, ils peuvent publier pratiquement n'importe quoi. Bien sûr, il y a des blogueurs sympathisants de partis politiques, dont les blogs sont financés par des partis d'une manière ou d'une autre, ou bien qui travaillent eux-mêmes dans les cercles politique. De toute évidence, ils n'écrivent pas sur certaines choses et ne frappent pas si fort quand il s'agit de leur propre bord, et ils appuient certains thèmes populaires dans leur tendance politique.
GV: Si les blogueurs sont libres d'écrire ce qu'ils veulent, pouvons-nous dire qu'ils ont pris la place des journalistes dans une certaine mesure ?
SZP: Nous les blogueurs pouvons réagir plus rapidement et pouvons travailler sur nos articles pratiquement sans contraintes, alors que les pauvres journalistes sont vissés dans leur salle de rédaction et doivent produire des dépêches toute la journée, ils sont privés de toute créativité et n'ont pas le temps d'écrire des articles d'opinion. C'est en matière d’ éditoriaux d'opinion que les blogueurs ont, dans une large mesure, pris la place des journalistes. Il n'y a plus beaucoup d'éditorialistes traditionnels, connus et respectés en Hongrie, ceux qui sont là sont dépassés, ils publient dans les quotidiens, donc, les lecteurs auxquels nous nous adressons ne les lisent pas vraiment.
GV: Pourquoi était-ce important pour vous de contribuer à Global Voices ?
SZP: Je suis très intéressé par la situation au Moyen-Orient, en Asie centrale et dans les semi-dictatures et les dictatures du Tiers-Monde. Au cours du printemps 2011, lors d'un voyage de blogueurs en Allemagne, j'ai rencontré des blogueurs de Tunisie, d'Indonésie, de Mongolie et d'autres pays, et j'ai été très ému de voir que nous avions la même occupation, nous étions de la même génération, mais à quel point les conséquences du blogging sont différentes en Hongrie et dans ces pays. Je suis à la recherche d'occasions de soutenir leurs causes dans mon pays, ou du moins d'attirer l'attention sur eux. Global Voices est un très bon support pour le faire.
GV: Quels sont les plus grands défis que Global Voices en hongrois doit affronter ?
SZP: L'aspect le plus problématique est que les sujets d'actualité étrangère, qui se passent en dehors de nos frontières et qui se ne sont pas directement liés à la Hongrie, intéressent moins les lecteurs hongrois, à l'exception des tabloïds. Par exemple, la vidéo d'une agression sexuelle en Inde [fr] a été l'un de nos posts les plus lus et a été republié par d'autres sites, mais comme actu sensationnelle. Mais beaucoup ont aussi lu le post sur la mort du blogueur iranien Sattar Beheshti [fr], ce qui m'a un peu surpris mais j'étais content que les lecteurs hongrois aient au moins entendu parler de cette horrible histoire. Malheureusement, il est difficile de trouver des lecteurs intéressés par les questions de libertés et par la liberté d'expression en ligne.
GV: Quel a été le post ou le sujet le plus lu dans les articles traduits par Global Voices en hongrois ?
SZP: A part ceux mentionnés plus haut, la plus lue de nos traductions à été celle sur l'affaire Safarov [fr] parce qu'elle concernait la Hongrie, puisque c'était le gouvernement hongrois qui, par intérêt économique, a libéré l’Azerbaïdjanais Ramil Safarov qui avait assassiné un étudiant arménien à Budapest. Le meurtrier à la hache a été amnistié par les Azerbaïdjanais aussitôt après avoir été libéré et il a été salué comme un héros. Même la photo de couverture de la page Facebook non officielle du président de l’Azerbaïdjan a été changée pour y mettre celle de Safarov. La traduction relatait cette affaire et elle a été reprise par les médias en ligne hongrois.