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“La Movida” : un regain d'intérêt du Brésil pour les B.D. hispaniques ?

Catégories: Amérique latine, Brésil, Arts et Culture, Humour, Idées, Langues, Littérature, Médias citoyens

[Sauf mention contraire, les liens renvoient vers des pages en portugais.]

[Il s'agit du premier d'une série de deux articles consacrés à la bande dessinée et à l'échange interculturel entre le Brésil et le reste de l'Amérique Latine. Contenu fourni conjointement par Global Voices Amérique latine et Global Voices en portugais]

Volume I : Histoires passées inaperçues

Que se cache-t-il sous le regain d'intérêt grandissant dans le royaume des bandes dessinées brésiliennes pour celles de langue espagnole ? Au Brésil, entouré de pays hispanophones, il est pour le moins curieux que les oeuvres artistiques de ses voisins y demeurent largement méconnues.

Une bande dessinée de l'Argentin Liniers publiée sur le blog Pós-Pop [1]

Une bande dessinée de l'Argentin Liniers publiée sur Pós-Pop [1], un blog sur la pop culture. “(1) Apprendre à voler (2) n'est pas facile. (3) Apprendre à tomber (4) ne l'est pas davantage. (5) Mais vivre par terre, c'est d'un ennui.”

Le marché brésilien de la B.D. se présentait différemment dans les années 1980 et 1990. Les contenus étrangers traduits en portugais, autres que les B.D. nord-américaines (“US comics”), étaient disponibles dans les magazines tels que Animal [2] et Heavy Metal [3] [en français] [périodiques dans la veine française de “Métal Hurlant]. En dehors des grandes villes, il y avait alors peu de librairies spécialisées. La célèbre B.D. brésilienne “La bande de Monica [4]” [en français] (“Turma da Mônica”), publiée ensuite sous forme de périodiques, connut un certain succès auprès des enfants et fut republiée dans plusieurs langues, y compris en espagnol (“Monica y su pandilla [5]” [en espagnol]).

A cette époque, il était alors plus facile de tomber sur quelques rares B.D. brésiliennes issue de la contre-culture, à laquelle sont attachés les noms d'auteurs tels que Angeli [6]Glauco  [7]et Laerte [8]. Non sans humour, ces auteurs ont d'ailleurs travaillé ensemble sur une bande dessinée intitulée “Los 3 Amigos [9]” (“Les trois amis”), dont la langue principale est le “portuño [10]l” [langue hybride mélangeant l'espagnol et le portugais, et compréhensible tant par les hispanophones que les lusophones].

Mais le marché de la B.D. au Brésil s'est aujourd'hui diversifié. La B.D. en ligne a offert de nouvelles perspectives pour les dessinateurs comme Andre Dahmer, créateur des Malvados [11].

Quant aux jumeaux Fábio Moon et Gabriel Bá [12], leur oeuvre Daytripper [13] [connue sous le nom de “Daytripper, au jour le jour” dans sa version française], saluée par la critique, a fait leur célébrité.

Une invisibilité réciproque malgré des marchés émergents

Si l'univers de la B.D. brésilienne est chahuté par des changements majeurs causés par l'avénement d'internet et d'un accès facilité aux contenus de par le monde, le Brésil dans son ensemble connait actuellement une période d'échanges plus intense avec les autres cultures.

Viñetas con Altura - Festival de la B.D. en Bolivie

Affiche du festival de la bande dessinée Viñetas con Altura 2012 [14](“La B.D. en hauteur”) qui s'est tenu en Bolivie.

Tenter de cerner les raisons de la méconnaissance du Brésil concernant les autres produits culturels latino-américains – en l'occurrence, les bandes dessinées – ne date pas d'hier. Ces interrogations furent déjà posées auparavant, notamment par les dessinateurs tels que le brésilien Gabriel Bá qui les reprend sur son blog dans un article de 2010 [15] :

Quel est le problème du Brésil avec le reste de l'Amérique latine ? Serait-ce la langue ? Pourquoi n'avons nous d'intérêt que pour la B.D. nord-américaine, européenne et japonaise ? Et pourquoi les cultures les plus lointaines nous réjouissent autant alors qu'il y a tant à découvrir juste là, à nos côtés ? Sommes-nous une exception, à moins qu'il en aille de même de l'autre côté de la frontière ?

Et Paulo Floro dans un article de 2011 pour le site brésilien de pop culture O Grito [16], écrivit

[Danilo] Beyruth [17], l'un des dessinateurs brésiliens publiés dans le magazine Fierro [18][en espagnol, mais le commentaire renvoie à l'édition brésilienne] était récemment en Argentine. Il déclara : “Je trouve pour le moins étrange que [les Argentins] aient un marché de la bande dessinée aussi riche et qu'ils nous demeurent à ce point méconnus [au Brésil]. Il y a comme une invisibilité réciproque, car cela vaut aussi dans l'autre sens. [Les Argentins] ne connaissent pas les dessinateurs brésiliens tels que Laerte, Henfil, au même titre que nous ne connaissont pas les leurs”.

Couverture du magazine Fierro [18]

Couverture du magazine Fierro Magazine [18] [en espagnol], publié en Argentine et disponible dorénavant au Brésil.

Les Argentins Quino [19]et Maitena [20][en français] ont rencontré un certain succès au Brésil, mais qu'en est-il des autres dessinateurs latino-américains ?

La blogueuse et éditrice de B.D. brésilienne Garota Sequencial [21], s'interroge à son tour sur ce sentiment d'embarras lié à la relative méconnaissance des pays voisins du Brésil : “la richesse des contenus de la bande dessinées d'Amérique Latine est à peine connue au Brésil”. Elle ajoute :

(…) Rares sont les dessinateurs de B.D. argentins – et même du reste de l'Amérique latine – à accéder au marché brésilien.

Elle présente même son mea culpa :

S'il y a bien quelque chose que je me reproche, c'est ma méconnaissance totale du contenu de la production de B.D. des autres pays d'Amérique Latine.

D'après la blogueuse brésilienne Garota Sequencial, la question de la méconnaissance vaut dans un sens comme dans l'autre :

En fait, c'est plutôt réciproque : j'ai mis un lien vers l'entretien [22] (…) de Liniers [dessinateur de B.D. argentin] dans lequel il déclare qu'Angeli [célèbre dessinateur de B.D. brésilien] passe plutôt pour un inconnu en Argentine. Oui, Monsieur ANGELI lui-même, un comble !

Deux facteurs commerciaux importants causent des problèmes aux éditeurs indépendants : “pour les ventes, une mauvaise chaîne de distribution et pour le consommateur, des prix finaux élévés”. La blogueuse ajoute, en guise de conclusion :

A l'heure où il n'est plus si difficile de traverser les frontières, il me semble important que nous nous tournions vers ce que nous ne percevons pas encore complètement, que ce soit soit par manque d'exigence (ce qui est mon cas) ou par inadvertance.

Comme le déclare le brésilien Gabriel Bá dans une chronique [23] de 2012 :

Le bon travail a besoin de temps pour mûrir, l'auteur a besoin de temps pour avoir quelque chose à dire. Il n'y a pas d'urgence, la fin du monde n'est pas pour demain.

Assurément. A quoi l'on pourrait ajouter les lecteurs qui, comme tout public, ont eux aussi parfois besoin de plus de temps pour mûrir. Et devoir prendre son temps, c'est ce qu'aujourd'hui nous parvenons sans doute à mieux comprendre.

Quase Nada 191 (Presque rien 191). Planche de B.D. des Brésiliens Fábio Moon et Gabriel Bá [24]

Quase Nada 191 (Presque rien 191). Planche de B.D. des Brésiliens Fábio Moon et Gabriel Bá, publiée sur leur blog [24]. Reprise avec leur permission. “(1) Merci pour ton aide pour ce voyage. (2) De rien, c'est moi qui te remercie. (3) Si seulement j'étais comme toi, à pouvoir tout resentir à fleur de peau. Arrêter de me cacher. (4) Je peux t'y aider. Tu n'es pas tout seul. (5) Et si je restais tout seul ? (6) Je te chercherai jusqu'à ce que je te trouve”.

Retrouvenez-nous pour le prochain article, où nous rencontrerons quelques artistes latino-américains et découvrirons quelques uns des ponts entre leurs univers. Comme une liste exhaustive est une tâche irréalisable, nous vous demanderions plutôt un coup de main d'ici le prochain article : quelles bandes dessinées latino-américaines recommanderiez-vous ?

Ces deux articles sur la bande dessinée et l'échange culturel en Amérique Latine sont le fruit la collaboration et la participation d’Eddie Avila [25], de Laura Vidal [26], de Luis Carlos Díaz [27], Lully Posada [28] et de Sara Moreira [29].
Le terme de “Movida” utilisé dans le titre de cet article renvoie aux concepts de culture, résurgence et émergence de nouvelles identités.