(Tous les liens sont en anglais)
Mise a jour : ce sujet, très sensible au Bangladesh, provoque actuellement de violentes polémiques et d'énormes manifestations. Wikipedia en anglais donne des informations sur le contexte de ces procès pour crimes de guerre, dans un contexte historique très complexe et peu connu en France.
Voilà 42 ans que les Bangladais attendent que la justice sanctionne les atrocités subies lors de la guerre de l'Indépendance contre le Pakistan. Mardi 5 février 2013, Abdul Quader Mollah, le secrétaire général adjoint du Jamaat-e-Islami, a été condamné à l'emprisonnement à perpétuité par le Tribunal Pénal International du Bangladesh pour meurtres, viols, tortures et autres graves crimes de guerre.
Mais des centaines de milliers de personnes estiment que justice n'a pas été faite. Elles réclament la condamnation à mort de Quader Mollah. Elles se sont installées sur la place Shahbag, à Dacca, pour marquer leur résolution. Depuis, ce mouvement est sorti de Shahbag et s'est répandu comme une traînée de poudre dans tout le pays.
Dans les journées de mardi et mercredi, le Jamaat-e-Islami a provoqué des grèves de l'aube au crépuscule à l'échelle nationale pour réagir contre ce jugement, paralysant le pays tout entier. (Vous pouvez voir le jugement complet ici)
Les blogueurs et autres activistes en ligne ont eu un rôle essentiel dans la mobilisation citoyenne réclamant la justice contre Mollah et les autres accusés de crimes de guerre, souvent des dirigeants de partis islamistes et ils ont accéléré un processus suspendu depuis 42 ans.
Il ne faut donc pas s'étonner que la contribution principale à lever ces protestations vienne aussi des blogueurs. Protestant contre les grèves et la peine modérée prononcée contre Quader Mollah, le réseau des blogueurs et activistes en ligne (BOAN) a appelé à se réunir à Shahbag, au centre du mouvement politique au Bangladesh, via un événement Facebook. A la rédaction du présent billet, l'événement Facebook comptait 70 000 invitations et plus de 7 000 personnes ont accepté de le rejoindre.
Shahbag, la place Tahrir du Bangladesh
Ces derniers jours les manifestations et rassemblements se sont multipliés sur la place Shahbag. Avec la participation aux sit-in et aux manifestations de 15.000 à 20.000 personnes, la place est devenue pour le Bangladesh ce qu'est la place Tahrir pour l'Egypte, le centre de la révolution. Depuis mardi après-midi, la manifestation est suivie par de nombreuses personnes de différentes associations sociales et culturelles, ainsi que par des blogueurs. Elle est aussi ponctuée par des chants contestataires, des lectures de poèmes, des projections de films et de documentaires sur la guerre d'Indépendance.
Pavel Mohitul Alam informe depuis Shahbag sur son statut Facebook :
Shahbag est submergé de manifestants, de slogans et de chants. Des milliers de personnes participent à cette protestation pour demander la peine capitale pour le criminel de guerre, à la lueur de bougies et de torches. Bientôt, le groupe musical ‘Shomgiit’ va commencer à chanter. Venez donc nous rejoindre.
Beaucoup ont aussi partagé des images sur Facebook, à l'exemple d’ICSF et de Kazi Sudipto. L'écrivain, journaliste et blogueur Imtiar Shamim a écrit sur Muktangol :
… Shahbag va s'étirer et se répandre dans tout le pays, – il vaincra la peur de la guerre civile et la menace d'une intervention colonialiste, la victoire sera arrachée par la confirmation du jugement contre les criminels de guerre.
La place Shahbag de Dacca n'est pas unique. Des rassemblements importants ont eu lieu à différents endroits du pays, à Chottogram, Rajshahi, Sylhet, Khulna, Comilla, Mymensingh, Rangpur, pour demander la peine capitale par pendaison contre les criminels de guerre.
Rayhan Rashid a écrit sur Facebook à propos de l'extension du mouvement dans tout le pays :
Le feu se répand de ville en ville. Aujourd'hui, je veux être l'un de ces centaines et de ces milliers [de manifestants]…
Justice reportée
Durant la guerre d'Indépendance de 1971, 3 millions de personnes ont péri aux mains de l'armée pakistanaise. Plus de 250.000 femmes auraient été violées. Pour tous ces actes, l'armée pakistanaise a reçu la collaboration des milices Rajakars, Al-Badr et Al-Shams bangladais (des forces paramilitaires locales, respectivement politique ou religieuse, en faveur du Pakistan), (nombreux étaient aussi les membres du Jamaat-e-Islami qui avaient aidé l'armée pakistanaise à commettre ses crimes, notamment en ciblant la population hindoue). Quader Mollah (dit aussi le Boucher par les Bangladais de la région de Mirpur) était un chef de haut rang de la milice Rajakar. C'est sous son commandement qu'ont eu lieu les massacres de Mirpur. 42 ans après l'indépendance, le Tribunal Pénal International du Bangladesh a établi les crimes commis à cette période et de nombreux jugements sont actuellement en cours. Auparavant, le tribunal avait prononcé la peine de mort contre le Rajakar Bacchu (dont le vrai nom était Abul Kalam Azad) pour ses crimes de guerre en 1971.
Colère populaire
Après la condamnation de Quader Mollah à l'emprisonnement à perpétuité (on s'attendait à une condamnation à mort), beaucoup ont exprimé leur colère sur Facebook, Twitter ou sur les blogs. Elora Leelith réclame un Bangladesh sans Rajakars ni criminels de guerre :
Je vais donner naissance à mon premier enfant demain le 7 février. Que cette naissance se fasse dans un Bangladesh sans Rajakars, ni criminels de guerre. Le groupe de Kader Mollah ne mérite rien d'autre que la pendaison.
Hazrat Binoy Bhodroe a demandé au tribunal sur Twitter :
@hazratb9bhodroe Combien faut-il prouver de meurtres pour obtenir la peine capitale par pendaison, honorable tribunal?
Les charges contre Quader Mollah
6 chefs d'accusation avaient été établis dans la plainte contre Quader Mollah pour crimes de guerre. Le tribunal a reconnu les preuves de son implication dans trois d'entre eux, de sa participation active dans deux et dans le dernier, il a été relaxé. Les 6 charges qui lui étaient reprochées étaient :
(1) Le 5 avril 1971, Pollob un élève du Mirpur Bangla College aurait été tué par balles sous ses ordres (par l'un de ses hommes nommé Akhter).
(2) Le 27 mars 1971, il aurait assassiné avec des complices le poète (pro-indépendance) Meherun Nessa, sa mère et ses deux frères à leur domicile de Mirpur.
(3) Le 29 mars 1971, avec des complices (Al-Badr, Rajakars et des Biharis ne parlant pas le bengali), il aurait enlevé le journaliste Khondokar Abu Taleb à Arambag et l'aurait assassiné en l'égorgeant à Jalladkhana Pumphouse.
(4) Le 25 novembre 1971, avec des membres de milices Rajakars, il aurait organisé le massacre des villageois de Bhawal Khanbari et Ghatarchor de Keraniganj.
(5) Le 24 avril 1971, avec des troupes militaires pakistanaises (et près de 50 hommes non bangladais parlant le bihari), il aurait assassiné 344 personnes au village d'Alokdi à Mirpur.
(6) Le 26 mars 1971, avec des complices, il se serait rendu au domicile de Hoyrot Ali Loskor dans la section numéro 12 de Mirpur et sous ses ordres, l'épouse de Loskor, ses deux filles et son fils de deux ans auraient été assassinés et une de ses filles mineures aurait été violée.
Appel contre le jugement
Il existe des doutes depuis le début sur la possibilité de faire appel de ce jugement et de réclamer officiellement la peine de mort. Cependant le blogueur Omi Rahman Pial a déjà mis en avant des arguments pour demander sa condamnation à la mort par pendaison.
Appel contre le jugement qui a relaxé Quader Mollah dans la plainte à son encontre pour le massacre à Keraniganj. Le mouvement populaire doit obliger le parti du gouvernement à faire appel contre ce verdict. 344 personnes sont décédées. Et Quader Mollah égorgeait des hommes. Un tel assassin barbare ne peut pas juste être condamné à l'emprisonnement à vie. …
Depuis, l'équipe du procureur au Tribunal Pénal International du Bangladesh a pris la “décision de principe” de faire appel pour alourdir la condamnation contre Quader Mollah. Le Bangladesh est l'un des 58 pays au monde où la peine de mort est toujours en vigueur.
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