Une deuxième révolution en Libye?

(Les liens renvoient vers des pages en anglais) Le 15 février 2011, deux jours avant la date prévue pour la ‘Journée de la Colère’, des femmes libyennes, apparentées aux prisonniers du centre correctionnel d'Abou Salim, ont manifesté selon leur habitude à Benghazi pour exiger des informations sur la disparition et/ou le décès de leurs êtres chers dans cette prison infâme du régime de Mouammar al-Kadhafi. Cette prison tristement célèbre était réservée aux activistes, prisonniers politiques et autres individus considérés comme dangereux pour le système de ‘Jamahiriya‘ de l'ancien homme fort de Libye.

La révolution libyenne n'a été semblable à aucune autre, en contraste avec le renversement des dictateurs tunisien et égyptien pendant le ‘Printemps Arabe’. Elle s'est inscrite dans l'histoire avec sa descente vers une révolution armée, lourdement soutenue par les forces aériennes de l'OTAN.

Le chemin vers la démocratie a été plutôt cahoteux, même si le sang n'a pas été versé sous les mandats successifs de trois gouvernements en moins de deux ans. Contre toute attente, la Lybie a aussi tenu une élection modèle en juillet 2012, qui portait un message d'espoir puisqu'elle a été remportée par des partis non-islamistes, comme le dit Asma de @LibyanBentBladi :

@LibyanBentBladi: Nous, les Libyens, nous avons toujours été initiateurs de tendances.
Les résultats électoraux en Libye arrêtent la vague islamiste – http://nyti.ms/Mc1Tk2

Ben Ghazi celebrates the second anniversary of the Libyan revolution. Photo credit: Libyan Youth Movement Facebook page

Benghazi célèbre le deuxième anniversaire de la révolution libyenne. Photo de la page Facebook du Mouvement de Jeunesse Libyen

Cependant, en ce deuxième anniversaire de la révolution du 17 février, comme on l'appelle maintenant, la transformation promise de la Nouvelle Libye en une démocratie prospère n'a pas été accomplie. Le gouvernement libyen, rejetant toute aide extérieure, n'a pas réussi à sécuriser les frontières ni les dépôts d'armements, et le pays et certains de ses citoyens sont devenus les plus grands contrebandiers et trafiquants d'armes de la planète.

La mauvaise gestion des priorités, le refus persistant de justice et de réconciliation ainsi qu'une corruption flagrante ont refroidi l'euphorie et exacerbé les griefs de divers groupes et régions. L'expression de chagrin d'Exiled in Libya en tant que personne déplacée constitue un exemple de premier ordre des problèmes qui restent à résoudre :

Adieu foyer bien-aimé,
Un jour je reviendrai
Demeure de mon bonheur – ma dignité
Réconfort de mes vieux jours
Asile de mon corps fatigué
Tournerai-je encore la clef dans ta serrure ?
Mes pieds nus fouleront-ils à nouveau
La douce terre de tes champs ?
Trouverai-je le caroubier tenant ferme
En dépit des vents déchaînés ?
Les roses que j'ai soignées envers et contre tout,
Le jasmin frémissant dans la brise,
Seront-ils là pour m'accueillir ?
La huppe à ma fenêtre – garde-t-elle de moi le souvenir ?
Je me languis tant de vous !
Cette connaissance, cette appartenance
La beauté de la lumière du matin
L'azur des crépuscules
Je suis endeuillé, j'ai perdu mon foyer
Déraciné et exilé
Combien de temps dois-je errer, jusqu'où porter mes pas ?

Les Libyens, comme Sarah de @LibyafromFrance, ont aussi été choqués, par exemple, de  voir que la Cour Suprême a pu entériner rapidement une loi permettant aux hommes libyens de prendre une deuxième épouse sans le consentement de la première, annulant ainsi une loi de l'ère Kadhafi qui contrôlait la polygamie, malgré le fait qu'on attend toujours la législation de transition sur la justice.

@LibyaFromFrance: Quel titre “@AlArabiya_Eng: Time for men in #Libya to look for a second wife: Supreme Court http://goo.gl/ruqkn ” (Il est temps pour les hommes en Libye de se chercher une deuxième femme: Cour Suprême http://goo.gl/ruqkn)

L'emprise croissante des Islamistes sur la sphère publique et leur flatterie des milices leur permettent de parader de plus en plus, ce qui a culminé, le 11 septembre 2012, avec l'assassinat de l'ambassadeur des Etats-Unis en Libye à Benghazi. Cela a marqué un tournant, avec une augmentation des enlèvements et assassinats d'ordre politique, confirmant fortement l'impression que le gouvernement élu est impuissant, lent et déconnecté des vrais problèmes libyens. Les appels au fédéralisme se sont intensifiés, atteignant leur apogée il y a deux mois avec la planification d'une deuxième révolution le 15 février à Benghazi, dans la logique qu'ayant lancé le mouvement, ils pourraient le recommencer et corriger les erreurs. La liste des exigences allait de la démission de personnages politiques à la mise en place d'un système fédéraliste.

Une goutte d'eau semble avoir fait déborder le vase, comme exprimé ici par Highlander: les avertissements visant à dissuader les étrangers de se rendre en Libye.

Les dernières recommandations aux voyageurs en Libye me donnent peur à moi qui habite ici de me déplacer en Libye

Toutes ces émotions négatives et ces déceptions, ainsi que l'augmentation des risques sécuritaires posés par des éléments loyaux à Kadhafi qui pourraient détourner la manifestation prévue à leurs propres fins contre-révolutionnaires, ont énormément affecté les Libyens, dont beaucoup, comme le décrit Hanan Saeed de Romana, ne voient pas grand chose à fêter.

Qu'est-ce nous fêtons exactement ? Sérieusement ?
Le chaos peut-être ?
Je ne sais pas, voyons voir, l'absence d'ordre public ?
Ou peut-être l'inspiration d'une nouvelle terreur et le fait de ne pas pouvoir sortir de nos maisons après les prières du Mahgreb ?
La haine profonde envers quiconque porte une arme en public ?
Ou mieux encore, la nouvelle norme : voir des armes au grand jour ?
Euh, j'ai du mal à trouver des choses à ajouter à cette liste… […] Jusqu'alors, pour moi au moins, le 17 février n'est rien de plus qu'un triste rappel de ce que nous espérions devenir, pas de ce qu'est vraiment la réalité.

Les Libyens se demandaient où était passée cette humeur particulière d'unité et de victoire sur le mal à l'approche de l'anniversaire de la révolution qui sera célébré par un week-end prolongé. Malgré tout, les préparatifs pour la fête ont démarré plus tôt que prévu et se sont développés en célébrations en bonne et due forme dans plusieurs districts de Tripoli.

Comme le dit Ruwida Ashour sur Omar Almokhtar's Daughter:

Tout le monde s'est souvenu sans s'alarmer de la manière dont nous avons agi pendant cette période il y a 2 ans, en essayant de faire du mieux pour que la ville soit joyeuse et sans danger, j'étais vraiment un peu inquiète pour ma ville, non pas à cause de quelque chose de particulier mais juste à cause de ceux qui peignent une image sombre de Benghazi, mais aujourd'hui je suis non seulement heureuse, mais hyper-excitée, et, une fois de plus, je ne m'inquiète pas pour les grands héros (les citoyens de Benghazi).

Des centaines de jeunes se sont levés pour assurer la sécurité des villes de par la Libye durant toute la période précédant l'anniversaire et ont gagné la reconnaissance de la population, comme le montre ce tweet de Maimuna (@fcukruna) :

@fcukruna: Chapeau à tous les shabab bladi [jeunes de mon pays] qui tiennent les postes de contrôle dans le froid cette nuit, je vous aime et vous apprécie <3! #Libya

Il semble que le pays n'ait soupiré de soulagement et ne se soit entré en liesse que lorsque le Parti Fédéraliste a confirmé qu'il ne se joindrait pas à la manifestation prévue à Benghazi le 15 février, comme en témoigne le Mouvement de Jeunesse Libyen @Shabablibya dans ce tweet :

@ShababLibya: on vient d'avoir notre administrateur à #Benghazi Shara3 Jamal Street sur Skype; fête folle !! #libya #feb17 RT

Dans un communiqué surprise sur la chaîne télévisée Al-Ro’ya TV hier soir (mercredi), le bloc fédéraliste de Cyrénaïque a annoncé qu'il ne participerait pas aux manifestations de demain dont il était à l'origine. La décision a été prise, selon ce communiqué, “pour la sécurité de nos communautés, la préservation de notre unité nationale, notre harmonie sociale, et afin d'éviter que le public ne se trouve mêlé à des conflits provoqués par différentes entités ou groupes politiques.”
Le dernier point fait référence à la préoccupation que d'autres groupes soit opposés à la révolution soit avec des objectifs différents n'essaient de détourner l'occasion vers la violence.”

Screenshot_1

Mouvement de Jeunesse Libyen
@Shabablibya
On vient d'avoir notre administrateur à #Benghazi Shara3 Jamal Street sur Skype; fête folle !! #libya #feb17 RT

Je conclurais que, oui, nous sommes encore loin des droits de l'Homme pour tous, de la liberté d'expression, de la réconciliation, de la justice sous toutes ses formes, et de la prospérité économique, mais jusqu'à présent nous avons réussi à éviter la guerre civile malgré le déluge d'armements, et à maintenir l'unité du pays en réalisant à la dernière minute une démonstration de solidarité qui nous a redonné ce sentiment spécial chargé d'adrénaline d'après la révolution, quand tous les rêves sont possibles. Est-ce que ce pourrait être là la vraie deuxième révolution ?

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