Une artiste haïtienne et son “Soliloque du Chaos”

[liens en anglais] Sophia Domeville est une peintre américaine d'origine haïtienne qui commence à faire des vagues dans le monde de l'art. L'an dernier, cette tenante de l’impressionnisme abstrait (diplômée du College of New Rochelle) a tenu sa première exposition en solo, “Soliloque du Chaos.” Tout récemment, Sophia Domeville était l'une des trente artistes sélectionnés pour exposer aux côtés de Janet Taylor Pickett “Generation Next à l’Atrium. (L’exposition a fermé ses portes le 8 mars). Outre la peinture, Sophia Domeville effectue aussi du travail non lucratif, notamment un programme de tutorat. Elle parle à Global Voices de sa carrière artistique, de son travail social et de ses projets. 

Global Voices: Qu'est-ce qui vous a fait devenir une artiste ?

Sophia Domeville: J'ai commencé à peindre à 5 ans. Ça a commencé avec mon obsession à dessiner sur TOUS les murs de chez moi. Au jardin d'enfants, on m'a fait découvrir l'aquarelle et je me rappelle la création de ma première oeuvre. Je me rappelle en particulier que je mélangeais les couleurs jusqu'à obtenir la nuance juste de vert pour les feuilles de mon arbre, que j'ajoutais de l'orange au jaune du soleil et une touche de blanc au ciel.

Ce n'est qu'en première année de lycée que je me suis rendu compte que j'adorais ça. Alors que tout les autres élèves dessinaient de la géométrie, j'expérimentais avec des contrastes d'ombres [et] en ajoutant de la profondeur à mes formes. Je n'y faisais pas attention, mais ma professeur d'art plastique l'a remarqué. Elle a proposé que je passe de la section d'Anglais à celle d'Art. C'est drôle, mais au début c'était l'écriture ma passion ; depuis l'école élémentaire, j'écrivais des nouvelles, je reliais moi-même mes livres faits maison avec du ruban et je dessinais une illustration élaborée en guise de couverture. J'ai fait Arts Avancés pendant les 3 années suivantes du lycée.

C'est vraiment devenu ma passion quand je suis entrée en première année à l'Ecole des Arts & Sciences du College of New Rochelle. Loin de mon père, pourvue d'une chambre pour être moi-même sans aucune restriction, conseillée par un des meilleurs départements d'art que je connaisse et ne rien faire d'autre que créer jusqu'aux petit matin, [tout cela] m'a aidée immensément à bâtir mon art. Je me rappelle toujours encore avoir dessiné sur un parchemin de 2 mètres sur 2 dans les salles du dortoir, réalisant dans la fièvre les images qui étaient dans ma tête. Le titre de mon travail était “Peau Noire, Masque Blanc”… à 18 ans j'évoquais le racisme, le sexisme et les masques que notre peuple porte au quotidien pour simplement survivre à l'intérieur de ce monde.

 

 

GV: Quelles ont été vos premières influences en tant qu'artiste ?

SD:  Mes influences ont toujours été dans ma culture haïtienne, sa musique, ma famille et ma vision du monde en tant que jeune femme.

"Re-Connection"

“Re-Connection”

GV: En quoi votre vision artistique a-t-elle évolué ?

SD:  Je dessine, peins et crée depuis que j'ai appris à lire et écrire. Ma vision a évolué à partir de la compréhension de la manière dont le monde autour de nous affecte notre point de vue d'êtres humains, de la recherche de thèmes de la Nature en rapport avec le corps humain, la démolition de l'image sur la place sociale de la femme noire, la première découverte de l'amour, pour utiliser mon art comme un outil contribuant à cultiver le monde qui m'entoure.

GV: Parlez-nous de votre exposition “Soliloque du Chaos.”

SD: Mon Soliloque du Chaos était ma première exposition après 8 années sans création.

Le Soliloque évoque mon vécu à l'âge de 28 ans, quand j'ai finalement décidé de suivre ma passion pour les arts plastiques, me suis découverte moi-même, suis tombée amoureuse pour la première fois, ai perdu mon chez-moi, la crainte de ne pas trouver de stabilité pécuniaire et de compréhension de mes objectifs d'artiste.

GV: Et l'exposition “Generation Next” ?

SD:  Generation Next (Génération Prochaine) est un événement géant tenu par Art in the Atrium, un organisme artistique à but non lucratif bénévole qui expose de l'art africain-américain dans tout le nord du New Jersey. Cette année j'ai été sélectionnée pour faire partie des trente artistes exposant aux côtés de l'artiste en titre, Janet Taylor Pickett pour l'exposition du 21e anniversaire d'Art in the Atrium.

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“Repercussion”

"All Matter"

“All Matter”

 

GV: Quelles sont vos habitudes et techniques de travail ? Quand et comment peignez-vous habituellement ?

SD:  Mes habitudes et techniques de travail ne sont pas du tout routinières. Je peins quand je suis inspirée, émue, amoureuse, curieuse ou en colère. Il n'y a pas de formule ou de structure établies dans mon art parce qu'il est tout à fait naturel et jamais forcé. Depuis l'université, c'est entre minuit et 4 heures du matin que je peins le plus volontiers, une habitude nocturne que je garde depuis des années.

GV: Quels sont vos rapports avec la communauté artistique de la Caraïbe ? Comment la Caraïbe influence-t-elle votre travail ?

SD: Je me relie lentement aux artistes de la communauté caraïbe en me rapprochant de ma culture haïtienne et en voyageant hors de la métropole new-yorkaise. Je me suis aperçue que la Caraïbe [a] une importante influence dans mon travail par l'utilisation des couleurs, des formes et des techniques.

GV: Qu'en est-il des projets non lucratifs dans lesquels vous vous investissez ?

SDHalls That Inspire (HTI) [est] une organisation à but non lucratif qui se sert de l'art comme moyen d'encourager et élever les jeunes. A l'aide d'une approche ‘main à la pâte’, ce programme intensif de quatre semaines enseigne le développement du leadership des jeunes, en même temps que les techniques artistiques nécessaires pour embellir les salles de classes et autres installations. En utilisant des messages positifs qui reflètent l'excellence scolaire, la fierté et le refus de l'agression comme points centraux, on peut être en meilleure résonance avec ce qu'ils sont, et avec leurs relations avec leurs collectivités et leurs écoles.

Je suis la vice-présidence actuelle, et je démissionnerai pour faire la transition cet été de nouveau directeur exécutif, pour superviser tous les projets artistiques, travailler avec de nombreuses écoles dans tout le pays et mettre en oeuvre de nouveaux programmes.

Ma passion [à] redonner à la communauté m'a apporté une opportunité de devenir tutrice/artiste enseignante et un des membres fondateurs de herDIVASpot, une association qui promeut la valeur et le développement personnel de jeunes femmes d'âge scolaire.

Pour poursuivre ma relation avec Haïti, je supervise aussi un programme artistique avec Art Day Celebration (Fête du Jour de l'Art), une initiative qui cultive et valorise les enfants pauvres et défavorisés à travers les arts en Haïti, où j'ai eu la possibilité, l'été dernier, d'enseigner à 150 enfants de trois orphelinats le pouvoir de l'art.

GV: Quel effet les nouveaux médias ont-ils eu sur votre carrière d'artiste ainsi que votre travail bénévole ?

SD: L'effet des nouveaux médias a été immense sur les deux. L'ère d'Instagram, Facebook, Twitter, Tumblr, Google+ et le reste peut être irrésistible pour une artiste en devenir qui fait quasiment la totalité de son travail seule. Cela demande donc beaucoup d'assistance d'amis, de programmation et surtout, de réflexion personnelle. J'essaie de ne pas trop me laisser absorber par le monde des médias sociaux mais qui m'a grandement aidée à faire connaître mon travail à un public beaucoup plus large.

GV: Y a-t-il un artiste contemporain dont l'oeuvre vous a fait grande impression ?

SDKara Walker a toujours fait une immense impression sur mon travail, depuis que l'ai découverte à 18 ans. Je suis fascinée par son usage des silhouettes, dessins, jeux d'ombres et sa mise au premier plan des tabous de l'esclavage. Elle garde aussi son actualité et sa fraîcheur depuis des années tout en montrant son oeuvre dans les principaux musées. J'espère faire de même un jour et peut-être Ia rejoindre en comprenant sa conception de la femme artiste.

"Intuition"

“Intuition”

GV: Comment voyez-vous votre avenir ? Dans quelles nouvelles directions voulez-vous emmener votre art ?

SD: Mes projets ? Créer d'une façon ou d'une autre une opportunité de vivre et enseigner en Afrique du Sud ou au Ghana pendant 6 à 12 mois. Je continuerai [à] avancer comme artiste, voyager hors du pays pour montrer mon oeuvre, me mettrai à la photo, à la gravure, vais expérimenter avec des matériaux comme le cuir, le tissu, la corde, et d'autres encore. Je cherche à déconstruire mon utilisation la toile et à repousser les limites de l'idée d'identité féminine avec ma nouvelle exposition, intitulée ‘Le Journal d'une soi-disant Femme’.

Enfin, je vais continuer mon travail de philanthrope, collaborer avec différentes écoles ici et à l'étranger, en présentant à nouveau l'importance de l'art dans les écoles et en transformant chaque collectivité que je rencontrerai.

Toutes les illustrations de ce billet ont été fournies par l'artiste, et utilisées avec autorisation. Vidéo de Francesca Andre, également utilisée avec autorisation.

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