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Chypre dans l’ Abysse ?

Catégories: Europe de l'ouest, Allemagne, Chypre, France, Economie et entreprises, Gouvernance, Relations internationales

La petite île de Chypre poursuit sa course contre la faillite [1].  En effet suite au choix européen de taxer les déposants dans leur ensemble [2] la république méditerranéenne fait face à une situation des plus critiques sur le plan économique. Trois options se dessinent ainsi pour l’île : concrétiser un accord avec l’Europe, se tourner vers la Russie, ou la faillite et du même coup la sortie de la zone Euro.

Les origines de la crise

Le problème est apparu lors de la perte d’une importante part des actifs de la Banque populaire de Chypre et de la Banque de Chypre à cause du plan de restructuration de la dette en Grèce, en mars 2012. Les deux banques chypriotes se sont donc vues dans l’obligation de demander une recapitalisation à Nicosie [3].

Une solution venant du secteur privé ?

De leur côté, les banques grecques sont aussi intimement liées à Chypre. La Banque des Règlement Internationaux [4]ou BRI estime à 12,6 milliards d’euros la totalité des engagements grecquo-chypriotes, soit rien moins que 28% de l’ensemble des engagements des banques de Chypre. Cela écarte donc la possibilité d’un PSI (plan de participation du secteur privé) sur l’île.

Les bureaux de Bank of Cyprus à Aglandjia via wikipédia CC-BY-2;0 [5]

Les bureaux de Bank of Cyprus à Aglandjia via wikipédia CC-BY-2;0

Ainsi, si Chypre faisait contribuer ses banques à hauteur des 7 milliards d’euros que l’Europe lui refusait sur les 17 manquants, l’Europe serait dans l’obligation de donner à nouveau à la Grèce [6], fragilisant encore plus l’équilibre renaissant du pays. Une renégociation, en particulier celle du plan de la troïka serait risquée. Et c’est d’ailleurs en partie pour cela que l’économie grecque est coupée de la taxe sur les dépôts.

De plus, organiser un PSI à Chypre pourrait être mal vu des investisseurs. Il ne faut pas oublier que « le cas grecque » est censé rester unique. Sinon, il serait tentant pour d’autres pays vivant une situation économique complexe comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal d’avoir recours à une demande de PSI aussi. Les conséquences seraient sans appel. Financer les Etats vulnérables par le marché deviendrait complexe voire impossible et la restructuration de la dette publique des autres Etats et de la BCE se verrait dangereusement poindre à l’horizon. De fait, en touchant aux dépôts, c’est un autre « cas unique » que l’Europe espère créer.

Le parti social démocrate allemand [7], le SPD, veut faire un exemple avec Chypre pour que s’arrête son vote en faveur de  l’aide européenne au Bundestag [8], poids indispensable à Angela Merkel. Ainsi l’aide pour Chypre ne risquait pas de voir le jour sans le soutien du Bundestag… Le SDP voyant en Chypre une réserve d’argent notamment russe et soupçonné « mafieux ». Le PSI n’aurait pas vraiment atteint le porte feuille de la Russie, la solution européenne devait porter sur les dépôts. Puisque Chypre se refusait à accepter plus de 10% de ponction afin de ne pas ruiner la réputation de son système économique, il a fallu élargir la base de taxe et porter le coups sur l’ensemble des déposants, résidents y compris. Mais cela pourrait tout de même suffire à pousser Chypre dans l’abysse.  C’est donc pourquoi elle a rejeté le plan européen.

Chypre se tient donc désormais devant plusieurs possibilités. Aux vues des réactions souvent vives en Europe et surtout à Chypre de ces derniers jours, une partie des décisionnaires européens semblent vouloir faire marche arrière et regretter leur choix. On voit donc des tentatives pour diminuer la participation de Chypre à son propre renflouement. Mais l’Europe n’acceptera peut-être pas une renégociation pour autant. Le débat sur la participation totale du MES (mécanisme européen de stabilité) [9] et sa prise en charge des 5,8 milliards d’euros reste entier.

Alliance avec la Russie 

La deuxième solution serait de s’allier la Russie. En effet, Poutine veut défendre les avoirs russes de l’île, demandant en échange de larges concessions sur le gaz, des facilités militaires russes, ce qui n’est pas sans rappeler la récente découverte d’un gisement au large de l’île. La Russie pourrait racheter les banques chypriotes [10], notamment la Laïka Bank, deuxième établissement bancaire de l’île, pour un euro afin d’économiser 2,5 milliards en recapitalisation.  L’aide russe serait probablement complémentaire de l’aide européenne et il n’y aurait de fait sans doute pas de rupture entre Chypre et la zone Euro. De son côté, la Russie gagnerait un poids non négligeable dans une Chypre stratégiquement importante. L’île serait garante des intérêts de Moscou en Europe mais cela risquera de poser quelques problèmes à l’avenir…

Mais la Russie n'est apparemment pas pressée de prendre sa décision. Andreï Kostine, le directeur de la banque VTB [Vnechtorgbank] a annoncé le 21 mars que son établissement n'était pas du tout intéressé [11] par l'achat d'actifs bancaires de l'île :

Sur place, il y a deux banques dans une situation critique qui ont besoin d'être assainies. Il serait absurde de prétendre que nous aurions un intérêt là-dedans. Notre seul intérêt, c'est de retrouver au plus vite la faculté d'effectuer les paiements et de gérer les comptes de nos clients.

Et il ajoute que sa banque va devoir:

“arrêter son activité et quitter purement et simplement le marché chypriote” en cas de “décisions violant le droit, dictées par la politique”.

 

En dernier recours – déclarer banqueroute 

Enfin, Chypre peut opter pour la solution extrême mais inévitable si la Russie et l’Europe ne lui apportent aucun soutien correct, la faillite. La recapitalisation à Chypre se ferait donc via la banque centrale par émission monétaire.

Cela signifie quitter la zone Euro [12], instaurer un strict contrôle des flux économiques et un blocage des comptes courants le temps de la conversion dans la nouvelle livre chypriote. L’île serait ruinée, son crédit financier pour de bon détruit. S’en suivrait une période de reconstruction économique dans des circonstances complexes. Et ce serait pour la zone Euro un échec et un précédant inquiétants …

Le dernier accord trouvé par Bruxelles, prévoyant de démanteler la principale banque du pays et de taxer les dépôts bancaires supérieurs à 100 000 euros, est une solution bâtarde selon l'économiste américain Tyler Cowen:

 What will the price of a Cypriot euro be, relative to a German euro?  50%?  I call this Cyprus leaving the euro but keeping the word “euro” to save face.

Que vaudra un euro chypriote par rapport à un euro allemands ? 50%? C'est ce que j'appelle une sortie de Chypre de la zone euro, mais en conservant le mot “euro” pour sauver les apparences.