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Au Mexique, le mois dernier, un cartel de drogue a offert 600 000 pesos (environ 46 000 dollars) en échange d’informations concernant l’identité et la localisation d’une personne ayant dénoncé sur les réseaux sociaux des actes de violences liés au trafic de drogue [es| dans l’État de Tamaulipas. La guerre de la drogue a eu un fort effet d’intimidation sur la presse. Les violences, parfois mortelles, dont les journaliste sont victimes, ont conduit certains médias à s’autocensurer. Cette affaire et d’autres cas similaires récents montrent que désormais aussi bien les journalistes professionnels que les citoyens diffusant ce type d’informations sont la cible de telles menaces.
Les membres des cartels sont en guerre au quotidien à travers tout le pays, avec des cartels rivaux, des trafiquants, l’armée et la police. Cette nouvelle réalité a plongé le Mexique dans un état général de violence, d’instabilité et de peur, car beaucoup de combats font des victimes parmi les civils. À la fin de l’année 2012, des observateurs estimaient que ce conflit de grande envergure avaient déjà coûté la vie de plus de 60 000 personnes et forcé plus de 230 000 à se déplacer. Le gouvernement mexicain maintient que 90 % des victimes étaient impliqués dans le trafic de drogue, mais les organisations de défense des droits de l’homme sont sceptiques face à cette affirmation.
Depuis longtemps, le Mexique s’est développé comme un site de majeure importance pour les trafiquants de drogue d’Amérique du Sud, en grande partie à cause de la forte demande de cocaïne, de cannabis et d’héroïne du marché des États-Unis. Toutefois, le pays connaît une forte escalade de ces violents conflits entre les cartels, la police et les forces armées depuis 6 ans.
En 2006, peu après son élection, l'ancien président mexicain Felipe Calderón décidait de mettre fin à la passivité générale du gouvernement face aux organisations de trafic de drogue du pays. Avec la première opération militaire majeure contre des barons de la drogue, l’opération Michoacán, le pays est entré dans une nouvelle phase de guerre contre la drogue qui a fait du Mexique l’un des pays les plus violents de la planète. Le Committee to Protect Journalists rapporte que sous le seul gouvernement Calderón, seize journalistes professionnels ont été tués dans ce que les défenseurs des droits de l’homme considèrent comme des tentatives de faire cesser la couverture médiatique des violences liées au trafic de drogue.
Comme dans tous les conflits internes, l’information est essentielle et son contrôle par conséquent très important. Désormais, les médias et les autorités s’autocensurent. Certains car ils collaboreraient avec les cartels, d’autres pour avoir reçu des menaces explicites après diffusion d'informations sensibles. Voyant cela, les journalistes citoyens travaillent à combler le manque d’informations en dénonçant les violences dont ils sont témoins.
Une étude menée par Microsoft Research, The New War Correspondents, décrit les changements que le conflit a provoqués dans le flux d’informations au Mexique :
Alors que les violences dues à la guerre contre la drogue se multiplient et que les médias s’affaiblissent, les citoyens frustrés se tournent vers les médias sociaux, toujours plus omniprésents, pour obtenir des informations et survivre. Twitter en particulier est devenu l’une des principales sources d'informations sur les alertes de sécurité publiées par les citoyens dans plusieurs villes mexicaines. La population rapporte, confirme, commente et diffuse les informations et les alertes concernant les actes de violence, souvent au moment même où ils éclatent.
Une autre étude, réalisée par Freedom House et l’International Center for Journalists, à propos des journalistes et des blogueurs mexicains, indique que 96 % des personnes sondées connaissent un collègue ayant été victime d’une agression. Les organisations ont interrogé 102 journalistes dans 20 États mexicains. Il semble que le nord-est du pays soit l’épicentre de ce conflit comme le rapporte Insight Crime :
L’organisation criminelle des Zetas est le principal suspect du meurtre de trois cyberactivistes à Nuevo Laredo en 2011, dont « La nena de Nuevo Laredo », blogueuse et journaliste citoyenne. Les attaques ont donné lieu au « Twitter Manifesto » dans lequel les utilisateurs des médias sociaux déclarent : « Nous sommes livrés à notre sort dans ce combat inégal entre citoyens et trafiquants de drogue ».
Il y a peu, un internaute dénonçant des crimes liés au trafic de drogue sous le pseudonyme de Valor por Tamaulipas [« Courage pour Tamaulipas »], sur Twitter et sur Facebook, a été la cible de menaces. Des tracts, rédigés par un cartel de drogue [es] non identifié, ont circulé dans la ville de Tamaulipas et dans ses environs, offrant 600 000 pesos (environ 46 000 dollars) à toute personne en mesure de fournir des informations permettant d’identifier la personne derrière le compte Twitter @ValorTamaulipas. Une vidéo, publiée en premier lieu sur YouTube [es], montre l’exécution d’un homme et avertit quiconque dénonce les violences liées au trafic de drogue des conséquences auxquelles il ou elle s’expose. La vidéo, supprimée du site car elle enfreignait les conditions générales de service, mentionnait directement Valor por Tamaulipas. Cet internaute n’a pas pour autant décidé de mettre fin à ses dénonciations : « Je n’abandonnerai pas si vous ne faites pas de même » [es].
Dans une interview publié par CNN Mexique, l’internaute résume l’opinion partagée par de nombreux journalistes citoyens sur l’information au Mexique : « Je pense que ce qui m’arrive n’est pas grand chose comparé à tout ce qui se passe dans mon État. »
Des centaines de familles, qui attendent des proches ayant disparu, sont submergées par la peur à l’heure de remplir de déclarations de disparition lorsque les autorités leur disent de partir du principe qu’ils sont morts.
Bien que les personnes suivant l’affaire de près semblent croire que @ValorTamaulipas soit une personne vivant au Mexique, il est possible que derrière ce pseudo se cache un groupe ou un réseau travaillant depuis différents endroits, à l’intérieur du pays ou à l’étranger.
Le nouveau président mexicain, Enrique Peña Nieto, poursuit la stratégie militaire et policière déployée par Felipe Calderón contre les cartels. Il a également juré de développer de meilleures infrastructure consacrées aux programmes de développement et de création d’emploi pour les jeunes. Toutefois les observateurs sont sceptiques quand aux résultats qu’il obtiendra concernant cette promesse. Les décideurs considèrent que la pauvreté et le manque d’opportunités d’emploi ont poussé de nombreux jeunes à travailler dans le trafic de drogue et que le pays est par conséquent devenu dépendant de ces activités illégales.
Le clair danger que représentent actuellement les cartels de drogue pour les journalistes citoyens au Mexique est sans précédent dans le contexte mondial. La majorité des blogueurs et des utilisateurs de médias sociaux qui sont victimes de repressions pour avoir couvert des questions politiques sont attaqués par leurs autorités, par des sociétés du secteur Internet ou par les deux. Toutefois, au Mexique, les internautes utilisant les médias citoyens font face à un autre type de menaces. Contrairement aux autorités gouvernementales et aux compagnies Internet, les cartels de drogue opèrent en marge de la légalité et leur réputation internationale a peu d’incidence sur leurs gains financiers. Le travail de sensibilisation et les campagnes publiques peuvent jeter les bases pour un changement concernant les agissements des gouvernement ou des entreprises, cependant ces stratégies ont leur limites dans la situation que connaît le Mexique.
Tout en saluant le courage des personnes qui continuent à réaliser ce travail souvent dangereux, il est difficile de savoir dans quelle mesure ces efforts peuvent donner des résultats contre une telle forme de répression. Une chose est indiscutable : les citoyens qui poursuivent leur couverture des violences liées au trafic de drogue doivent prendre de solides précautions pour protéger leur identité en ligne. Pour en savoir plus sur les moyens de sécuriser les communications en ligne, vous pouvez consulter le guide de Global Voices Advocacy, disponible en anglais, en français et dans d’autres langues.
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