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VIDÉO : En Guinée-Bissau la radio communautaire est au service du peuple, pas de la politique

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Guinée-Bissau, Film, Histoire, Média et journalisme, Médias citoyens

La radio communautaire en Guinée-Bissau fait bien plus qu'occuper les ondes avec de la musique, comme le révèle un récent documentaire.

S'il on en croit “La voix de la population”, documentaire de 26 minutes filmé en 2012 et sorti en février 2013, des vies ont été sauvées lors d'épisodes de choléra, l'exploitation forestière combattue et les discriminations sexistes repoussées grâce à des stations de radio.

Le documentaire néerlandais, réalisé par le cinéaste polonais Andrzej Kowalski et scénarisé par Lucia van den Bergh, vise à présenter “le chemin parcouru par les radios communautaires en Guinée Bissau, les difficultés rencontrées au cours de leur développement, leur appropriation par les communautés et les principes qu'elles prônent”.

Le documentaire est disponible en entier sur YouTube en français [1]anglais [2] et portugais [3].

Un certain nombre de représentants emblématiques des quelques 30 stations de radio réparties à travers tout le pays – même dans les régions les plus isolées – sont interviewés dans le film. D'après le documentaire, ces stations représentent aujourd'hui le média le plus populaire en Guinée-Bissau, et c'est en partie dû au coup de fouet que leur a donné Carlos Schwarz, directeur de l'organisation non-gouvernementale Acção para o Desenvolvimento [4] [portugais] (Action pour le Développement).

Screenshot do documentário [5]

Capture d'écran du documentaire “La voix de la population”

Dans le film, Schwarz déclare que les radios communautaires sont un “fait accompli, ce sont une force populaire” :

Estas rádios têm o apoio, têm as costas, vivem nas costas da população. E isso faz com que o poder tenha muitas dúvidas, muitas reservas em contestar ou querer silenciar estas rádios. E sobretudo porque estas rádios têm-se comportado com uma dignidade, com um profissionalismo, com um rigor político que ninguém pode dizer que estão ao serviço de partidos ou de interesses económicos. Mas de facto representam exclusivamente as preocupações das populações locais.

E isso é a grande força destas rádios e faz com que o governo muitas vezes – não as apoiando – também não as combata. A independência em relação aos interesses políticos e económicos é a pedra de toque das nossas rádios comunitárias. No dia em que elas abdicarem deste princípio, estão a condenar-se a si próprias e estão em vias de desaparecer.

Ces radios ont le soutien, l'approbation de la population. Et cela fait sérieusement hésiter le gouvernement à s'opposer à ces radios ou à les faire taire. De plus, ces radios se comportent avec la plus grande dignité, le plus grand professionalisme et la plus grande rigueur politique afin que personne ne puisse dire qu'elles servent des partis [politiques] ou des intérêts économiques. En réalité les radios sont les seules représentantes des préoccupations de la population locale.

C'est la plus grande force de ces radios et c'est pour cette raison – bien qu'elles n'aient pas le soutien du gouvernement – que ce dernier ne les attaquera pas. L'indépendance vis à vis des intérêts politiques et économiques particuliers est la pierre angulaire de nos radios communautaires. Le jour où elles renonceront à ce principe elles signeront leur arrêt de mort.

“La voix de la population” montre également le rôle important des radios communautaires dans la promotion de la culture et le renforcement de la démocratie et de la citoyenneté. Mais les animateurs radio vont plus loin, rendant compte de ou travaillant sur les problèmes sociaux, environnementaux ou de santé publique.

Ce fut le cas de la pionnière Rádio Voz Quelelé [6] [portugais] (Radio Voix de Quelelé) qui durant l'année de ses débuts en 1994 initia la population “dans les langues des ethnies résidant dans le quartier [de Quelelé]” aux mesures préventives lors d'un épisode de choléra. “Le quartier fut celui le moins affecté par la maladie à Bissau, avec seulement six cas confirmés”, explique le blog de la radio :

O maior sucesso da rádio Voz de Quelele foi sem dúvida o combate à cólera, uma actividade que se baseou em duas vertentes: a) Organização da população para limpeza do bairro, remoção do lixo desinfecção do poços, evacuação dos doentes para o hospital (a AD teve um veículo sempre à disposição), desinfecção em casa dos doentes, visitas diárias dos membros do comité dos moradores a cada residência a fim de detectar casos de cólera; b) Sensibilização da população para uma maior higiene doméstica, para um maior e reforçado acompanhamento das crianças, para a explicação da origem e formas de propagação da doença.

Le plus grand succès de La voix de Quelelé fut indubitablement la lutte contre le choléra, une activité tournant autour de deux composantes : a) l'organisation de la population pour nettoyer le quartier, le retrait des déchets, la désinfection des puits, l'évacuation des patients vers l'hôpital (Action pour le Développement avait un véhicule disponible en permanence), la désinfection des malades à domicile, les visites quotidiennes aux résidents par des membres du comité pour détecter les cas de choléra et b) attirer l'attention du public sur la nécessité d'une meilleure hygiène domestique, d'une supervision accrue et améliorée des enfants et expliquer les origines de la maladie et les manières dont elle se propage.

“C'est plus dur pour les filles”, dit Elisa Gomes de La voix de Quelelé dans le documentaire, se référant au travail domestique et familial qui empêche les femmes bissau-guinéennes de s'impliquer davantage dans la radio communautaire. Néanmoins les radios communautaires font des efforts pour encourager la participation féminine, à l'image de la création d'un groupe de femmes animatrices de radio au sein du Réseau National des Radios Communautaires (Rede Nacional das Rádios Comunitárias, RENARC [7]).

Dans l'article “Radios communautaires : un outil pour la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale en Guinée-Bissau [8]” [portugais] (pdf, 2010), Adão Nhaga, ancien animateur de radio et coordinateur de plusieurs émissions à travers le pays, appelle les femmes à “s'impliquer activement dans le fonctionnement interne des radios communautaires” :

As mulheres têm que utilizar as Rádios Comunitárias enquanto processos populares, educativos, livres, participativos, interactivos, mostrando a diversidade e a riqueza dos diferentes movimentos associativos de mulheres, das diversas opções e práticas de desenvolvimento, das culturas próprias das mulheres de cada etnia enquanto elementos fundamentais da cidadania guineense e não da superioridade ou inferioridade de alguma delas em relação às outras. Daí que o desafio seja o de promover o acesso das mulheres à palavra para democratizar a sociedade.

Les femmes doivent user des radios communautaires comme de méthodes populaires, éducatives, gratuites, participatives et interactives, montrant la diversité et la richesse des différents mouvements associatifs de femmes, la diversité des options et des pratiques de développement, les cultures spécifiques aux femmes de différentes ethnies comme éléments fondamentaux de la citoyenneté bissau-guinéenne, et non la supériorité ou l'infériorité de certaines par rapport aux autres. C'est pourquoi le défi est de promouvoir l'accès des femmes à la parole afin de démocratiser la société.

D'après un article publié par AngolaPress, la scénariste du documentaire Lucia van den Bergh a affirmé que depuis qu'un coup d'Etat militaire en avril 2012 a conduit à l'arrestation du Président du pays et des candidats à la présidentielle, “l'auto-censure” dans les programmes des radios communautaires s'est accrue :

“Mas não os fez desistir e eles continuam a divulgar o que está a acontecer”, realça, contando que “a população local, que quase não tem nada, apoia com algumas pilhas”.

“Mais cela ne les a pas fait abandonner et elles continuent de faire passer le message sur ce qu'il se passe”, insiste-t-elle, ajoutant que “la population, qui ne possède presque rien, apporte son aide avec des batteries”.

Néanmoins, le documentaire met en lumière que “la Guinée-Bissau ne se résume pas à des coups d'Etat”, affirme le réalisateur Andrzej Kowalski, “c'est aussi un peuple et des bonnes idées”.