Brésil : Des usines et des hommes sur le Rio Madeira

Le reportage Vies en transit, de Ana Aranha, sur l'impact des grands chantiers du Rio Madeira en Amazonie dans l'état de Rondônia au Brésil, fait partie d'un dossier spécial, #AmazôniaPública, de Publica, Agence Publique de journalisme, et sera publié sur Global Voices sous forme d'une série de cinq articles.

  

Dans le premier reportage de cette série, nous avons découvert combien un village de pêcheurs nommés Jaci Paraná a été touché par le chantier de l'usine hydroélectrique de Jirau sur le Rio Madeira dans l'état de Rondônia au sud de l'Amazonie brésilienne. Le chaos social qui a frappé le village est directement lié à l'explosion démographique provoquée dans la région par les travaux.

En effet, pour réaliser un ouvrage des dimension de cette centrale (investissement estimé à 15 milliards de Reais soit 5,68 milliards d'euros, financé à 60% par GDF Suez), l'entrepreneur est obligé d'investir dans des infrastructures locales pour les ouvriers. On a donc construit pour faire face a une demande croissante, des écoles, des centres de santé, des postes de police, qui ont été appelés des “actions de compensation sociale”.

Comme sur le site de Jirau, l’usine hydroélectrique de Santo Antônio, en construction sur le même rio Madeira, a des obligations similaires. La différence, c'est que Santo Antônio a attiré plus de monde directement vers Porto Velho, capitale de l'état, située à 9 km en amont.

A Jaci, le résultat de la construction du barrage de Santo Antonio a été le déplacement des riverains qui habitaient dans des zones inondables. Pour répondre à cela, l'entreprise a fait construire des maisons ailleurs ou donné des indemnisations. Pour pouvoir absorber l'augmentation démographique provoquée par la proximité du chantier de Jirau à 120 km en amont de Porto-Velho, Jaci Paraná aurait dû recevoir au moins 20 millions de Reais de la part de Energie durable du Brésil, entreprise gérant le chantier de Jirau. Avec cet argent, on devait construire des écoles, un dispensaire, un poste de police environnementale, un système de captage, de traitement et de distribution d'eau potable et goudronner les rues.

Famílias de pescadores de Jaci vivem sem infraestrutura entre os trilhos da antiga estrada de ferro Madeira-Mamoré Foto: Marcelo Min

Des familles de pêcheurs de Jaci vivent sans commodités entre les rails de l'antique voie ferrée Madeira-Mamoré. Photo: Marcelo Min

Ces installations devaient être prêtes avant l'arrivée des milliers de travailleurs. Mais alors que ceux-ci font des heures supplémentaires pour accélérer la construction de la centrale, qui devait entrer en fonctionnement au début de 2013, les “actions de compensations sociales” ont du mal à sortir de l'état de projets. Tout ce que l'entreprise a pu offrir à Jaci a été, outre le financement de  campagnes temporaires pour la prévention du paludisme et l'exploitation sexuelle des enfants, sont 4 km de rues asphaltées, des gouttières et du matériel pour deux écoles.

Pour Angela Fortes, conseillère tutellaire de Porto Velho, la commune reponsable de la gestion de Jaci-Parana, ces réalisations sont loin de répondre aux demandes induites.

Quand on a annoncé la construction des usines, on a promis de nouvelles écoles, des hôpitaux  on a créé des attentes dans la population. Depuis que les usines sont là, on a des écoles avec des salles équipées et…des centaines d'enfants à inscrire. Entre 2007 et 2008, les demandes de nouvelles inscriptions sont passées de 1500 à 4000. Angela estime qu'à Jaci et dans les autres villages de la région il y a bien une centaine d'enfants non inscrits. Une partie du retard dans le versement de cet argent est le fait de l'état de Rondônia et de la mairie de Porto-Velho. Selon les accords signés avec l'entreprise, ces autorités publiques doivent définir et programmer les investissements publics nécessaires. La mairie de Porto Velho a géré 65 millions de Reais de Santo Antônio et  91 millions de Reais de Jirau. Entre les mains du Gouverneur de l'état sont passés 75 millions de Reais de Santo Antônio et  67 millions de Reais de Jirau.

Pourtant, l'actuelle municipalité de Porto Velho ne donne pas la priorité à satisfaire la demande créée par l'ouvrage. “J'ai toujours été contre la construction de nouvelles écoles à Jaci. Ils l'ont toujours demandé et je n'ai jamais accepté” : Ainsi s'exprime Pedro Beber, secrétaire de la mairie et chef du Secrétariat extraordinaire pour les programmes spéciaux.

Les travailleurs sont maintenant partis et nous, nous retrouverions-nous avec un “éléphant blanc”.

 

Pedro Beber estime que la meilleure attitude pour la ville de Jaci est d'attendre que passe le tumulte et de privilégier des structures destinées aux personnes qui resteront en place après la fin du chantier. Il minimise le problème de ces élèves qui n'auraient pas été inscrits en 2011.

“En un ou deux ans tout va s'arranger”

 

L'Institut brésilien pour l'environnement et les ressources naturelles renouvelables (Ibama) est l'organe fédéral responsable de la gestion globale de ces actions. En principe, si les projets d'investissements financés par l'entreprise n'ont pas été réalisés, cette entité a le pouvoir d'accorder les autorisations nécessaires pour une nouvelle tranche de travaux. En pratique, pourtant, ces autorisations sont accordées même quand les techniciens rencontrent de graves problèmes, principalement pour des interventions concernant la population locale.

Il en fut ainsi lors de la construction de l'unité de soins d'urgence (UPA), qui devait être construite pour répondre à la demande locale à Jaci. C'était une des constructions les plus attendues par population qui ne pouvait compter pour 15 000 habitants que sur un dispensaire. En accord avec la mairie, le travail devait être réalisé avec le financement de Jirau. En novembre 2011, pendant une visite d'inspection des “actions de compensation sociales” de Santo Antonio, les techniciens de IBAMA ont constaté que le chantier était à l'arrêt. Le constat été transmis à Brasilia dans un rapport qui demandait la constatation d'une infraction contre l'entreprise Energie durable du Brésil.

Presque un an après, en octobre 2012, l'entreprise a obtenu l'autorisation de mettre en route ses turbines. Le chantier de l'unité de soins d'urgence a redémarré mais on ne prévoit pas encore de date pour sa livraison.

Le projet Amazônia Pública a mobilisé trois équipes de reporters de Publica, Agence publique de reportage et de journalisme d'investigation, qui ont travaillé sur trois régions amazoniennes entre juillet et octobre 2012. Tous ces reportages ont pour but de chercher à comprendre la complexité des grands projets actuellement en cours en Amazonie, des multiples négociations et articulations politiques, d'entendre les différents acteurs (gouvernement, entreprises, société civile) pour analyser le contexte dans lequel ils se développent. La ligne générale de ces reportages s'oriente toujours, comme le travail de l'Agence, vers l’intérêt public. Il s'agit de décrire l'impact des négociations politiques et économiques sur la vie de la population.

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