(Billet d'origine publié le 30 avril 2013 ; liens en anglais sauf mention contraire)
La Cour de Justice de l'Union européenne à Luxembourg a maintenu son interdiction du commerce des produits du phoque en dépit d'une plainte présentée par les Inuits du Canada et plusieurs législateurs canadiens qui soutiennent qu'elle restreint la capacité des autochtones de gagner leur vie.
La décision de la Cour du 25 avril 2013 est intervenue après que les Inuits Tapirii Kanatami et 20 autres groupes de défense des droits des Inuits et de droits de chasse aux phoques eurent lancé une pétition pour l'annulation de l'interdiction de la chasse, en soulignant son importance pour les habitants de l'Arctique comme source de viande et de revenu, déjà critique à la lumière du coût plus élevé de la vie dans le Grand Nord.
L'interdiction, adoptée en 2009, concerne la vente de la viande, des peaux et huiles de phoque. Bien qu'elle comporte une exemption pour les chasseurs indigènes, les critiques font valoir que celle-ci a manqué son but parce que le prix des peaux de phoque sur le marché a chuté [fr] depuis cette restriction.
Leona Aglukkaq (@leonaaglukkaq), députée du Parti conservateur au Parlement du Canada et ministre régional pour le Nord du Canada, Inuk elle-même, a vertement critiqué la décision de la cour :
@leonaaglukkaq: “L'interdiction des produits dérivés du phoque adoptée par l'UE est une décision politique qui n'a aucun fondement réel ou scientifique #sustainablehunt-http://t.co/ejMOAYIU9E”
Les législateurs canadiens vont contester [fr] cette interdiction devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), soutenant qu'elle “équivaut à une restriction illicite du commerce.” La Norvège a également déclaré qu'elle la contesterait.
La chasse au phoque est une des chasses les plus stigmatisées dans le monde, avec des adversaires évoquant les images brutales de bébés phoques matraqués. Des organisations comme US Humane Society, PETA et le Fonds International pour le bien-être des animaux ont lancé des campagnes contre cette industrie canadienne.
L'UE a cité les préoccupations que les méthodes de la chasse au phoque causaient souffrances et détresse aux animaux. Les dirigeants européens, qui appliquent l'interdiction depuis 2009, qualifient la chasse aux phoques “de cruelle, inhumaine et inacceptable.”
Impact de l'interdiction sur les communautés autochtones
- Cependant, l'interdiction de la chasse au phoque porte un coup terrible aux communautés inuit, qui utilisent toutes les parties de l'animal pour leur nourriture et leurs vêtements.
Alan Emery, biologiste de la marine canadienne, a commenté les initiatives contre les phoques sur son blog il y a plus d'un an :
Alors que les intentions des militants anti-chasse aux phoques sont louables, au moins dans le cas des Inuits, la stratégie systématique de saper le marché des peaux de phoque a eu un impact profondément négatif sur les Inuit qui n'ont pas vraiment la possibilité de s'orienter vers une deuxième source de revenus. Cela s'est traduit par une augmentation de la perte de revenu et de l'insécurité alimentaire pour les populations inuit. … Les Inuits ont été traités d'une manière très négative: la plupart des familles inuit ont été contraintes par décret du gouvernement de renoncer à leur mode de vie semi-nomade pour vivre dans des établissements fournis par le gouvernement. Ces logements sont de mauvaise qualité et il y a relativement peu de possibilités de gagner leur vie dans leurs villages “modernes” ainsi la plupart des familles inuit ont un niveau de vie en dessous des normes canadiennes.
Le gouvernement du territoire du Nunavut, l’extrême nord du Canada, a procédé à une analyse des effets de l'embargo de l'UE sur les Inuit. L'étude peut être téléchargée dans son intégralité ici [iu, en]. Le rapport souligne :
La chasse au phoque a été la pierre angulaire de la culture inuit, de la nutrition et de la survie dans l'Arctique depuis des millénaires. Depuis l'introduction de l'économie monétaire dans l'Arctique canadien, la chasse au phoque a également été un facteur important dans le bien-être socio-économique des Inuit. La chasse au phoque au Nunavut a lieu toute l'année et constitue une partie importante de la vie quotidienne dans toutes les communautés du littoral.
Le Bureau européen pour la conservation et le développement a mené une étude sur l'impact de l'interdiction par l'UE de la chasse au phoque sur les Inuit du Groenland, concluant également que :
l'interdiction de l'UE est en train de détruire le marché des peaux de phoque et de saper le mode traditionnel de vie de milliers d'autochtones qui dépendent des ressources marines pour leur subsistance.
Madeline Redfern (@ madinuk), ancienne maire de la capitale du Nunavut, Iqaluit, et présidente de Ajungi Arctic Consulting, un groupe d'experts en politiques publiques de l'Arctique, s'est fait l'écho de ces sentiments dans une série de tweets, le 25 avril 2013 suite à la décision de l'UE :
@madinuk: Les droits des animaux menacent des minorités vulnérables, généralement les indigènes [utilisent] sous-produits animaux / économies – plus facile que les produits traditionnels.
@madinuk: Précédent dangereux. Législateurs UE accepté agenda droits des animaux basé sur des préjugés culturels ~ qui / quelle minorité [sera la] prochaine victime ?!
@madinuk: L'interdiction UE n'est pas seulement mauvaise pour les Inuit ; elle est mauvaise pour tous les producteurs / utilisateurs d'animaux parce que basé sur la “morale” et non la science/soutenabilité
Les médias sociaux et les droits de chasse aux phoques
Les médias sociaux ont été un outil puissant pour mettre en lumière la réalité des pratiques traditionnelles de chasse dans le Nord. Maatalii Okalik (@ maatalii), président du Centre pour les enfants inuits d'Ottawa, a tweeté une photo de jeunes Inuits du Nunavut faisant la promotion de la chasse au phoque sur la colline du Parlement à Ottawa le 24 avril 2013 :
Une page Facebook “Nunavut Hunting Stories of the Day” (Histoires de chasse du jour au Nunavut), ouverte par un Inuk de 36 ans du Nunavut, compte désormais près de 37.000 membres à travers le Nord canadien ainsi qu'en Alaska et au Groenland. Des membres des communautés autochtones publient des photos et des vidéos – à la fois actuelles et historiques – partageant des histoires de voyages dans les terres du Nord. L'espoir est de faire prendre conscience des droits à la chasse des autochtones pour informer les jeunes qui n'ont plus la chance d'aller à la chasse comment leurs aînés et leurs ancêtres ont vécu.
Un groupe local appelé “No Seal No Deal” (Pas de phoque, pas d'accord) a été formé récemment pour défendre les droits des autochtones à la chasse au phoque. Selon leur site, le groupe a été fondé “par un groupe d'Inuits prenant part à un mouvement populaire pour sensibiliser la communauté internationale au sujet des Inuits à la chasse aux phoques, le marché de la peau de phoque et comment les Inuits sont touchés par l'interdiction du commerce international des produits du phoque.”
Le groupe a lancé une pétition pour demander au Canada de refuser l'octroi du statut d'observateur à l'UE au Conseil de l'Arctique [fr] un forum intergouvernemental qui aborde les questions arctiques. Le Conseil de l'Arctique a pour membres le Canada, le Danemark, la Finlande, l'Islande, la Norvège, la Fédération de Russie, la Suède et les États-Unis. Les membres du mouvement soutiennent que la Déclaration de Nuuk de 2011 du Conseil de l'Arctique, exige que les candidats à un statut d'observateurs “fassent preuve de respect pour les peuples autochtones de l'Arctique.” Ils estiment que l'UE devrait se voir refuser l'entrée en raison des effets négatifs de l'interdiction de la chasse aux phoques sur les communautés autochtones du Nord.
Le groupe “No Seal No Deal” devait soumettre sa pétition au Parlement canadien avant le 1er mai 2013. On peut voir plus d'informations sur le mouvement sur leur page Facebook.