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Promesses de justice sociale pour les sans-terres en Inde

Catégories: Asie du Sud, Inde, Développement, Gouvernance, Médias citoyens, Peuples indigènes

Le long travail effectué par Ekta Parishad [1] (« forum de l’unité » en hindi), dans les zones rurales les plus pauvres de l'Inde, vient d'être reconnu lors d'une réunion du 15 avril 2013 avec Jairam Ramesh, Ministre pour le Développement rural [2] [anglais], validant un accord antérieur avec le gouvernement, en faveur des sans-terre et des plus pauvres en général. L'organisation applique le principe gandhien [3] d’action non-violente [4] pour aider le peuple à mieux contrôler les ressources qui lui permettent de subsister : la terre, l’eau et la forêt.

En Inde, les populations les plus pauvres, dalits [5] et adivasis [6], en particulier les femmes, sont non seulement les oubliées mais aussi les premières victimes de la croissance effrénée [7] de ces dernières années, qui s'est orchestrée principalement autour de l'industrialisation. Le congrès national des femmes dalits et advasis, en février 2013, est cité dans un billet de blog récent [8] [anglais] de Sujatha Surepally et dénonce aussi cette triste réalité :

Dans la salle résonne la voix furieuse de Dayamani Barla, militante adivasi de longue date originaire du Jharkhand. Elle essaie de réunir les gens contre l”industrie minière dans les Jharkhand, où environ 108 compagnies minières sont à la veille de détruire la vie adivasi au nom des mines, d'abord ils viennent pour le charbon, ensuite pour l'électricité, cela continue, nous sommes repoussés de plus en plus loin. Comment vivre sans notre terre? Un discours spectaculaire pendant une heure, un silence de mort ensuite, tout le monde compatit à ses peines et à sa souffrance. Finalement, qu'essaie-t-elle de transmettre? Humko Jeene Do! Laissez nous vivre notre propre vie ! Si c'est cela que vous appelez développement, nous ne voulons pas en entendre parler !

Marches pour la Justice

Basée sur le transfert d'importantes ressources naturelles aux investisseurs industriels, indiens et étrangers, cette croissance a égratigné au passage les engagements en matière environnementale [9] [anglais]. Les populations locales, dont environ 70% habitent encore aujourd'hui en zone rurale et sont dépendantes des ressources naturelles pour leur survie, ont été souvent déplacées par des accaparements de terres faits sans aucune compensation.

Se basant sur les 60 millions de personnes déplacées sans compensation entre 1947 et 2004, et sur les 25 millions d'hectares de terres réquisitionnés, les militants d'Ekta Parishad ont organisé en 2007 Janadesh [10] – le ‘verdict du peuple’, une marche de 25.000 personnes de Gwâlior à Delhi, pendant un mois, afin d'exiger des droits pour les sans-terre. Ces vidéos (en français) décrivent Janadesh [11] et le soutien [12] indien et international :

Ces demandes ont été entendues, et ont donné naissance à des lois telles que le « Forest Rights Act [13] ». Subrat Kumar Sahu commente dans un article en ligne [14] [anglais] d'avril 2010, à propos de la loi :

La loi dit: “Pour la première fois dans l'histoire des forêts indiennes, l'Etat admet formellement que, pendant longtemps, les droits des habitants des forêts ont été niés, et la nouvelle loi concernant les forêts ne vise pas seulement à réparer cette ‘injustice historique’ mais veut aussi donner aux communautés qui habitent les forêts un ‘rôle essentiel dans la future gestion de la forêt’.” […] même si les militants pour les droits forestiers ont tout de suite manifesté un certain cynisme par rapport aux intentions étatiques. Beaucoup d'entre eux ont appelé cette loi un ‘tigre de papier’, comme tant d'autres lois indiennes.

Malgré ces lois très progressistes, peu de réalisations ont été effectives depuis. Cela a poussé Ekta Parishad et plus de 2000 autres organisations à susciter en octobre 2012 Jan Satyagraha [15], Marche pour la Justice, à nouveau de Gwâlior à Delhi, qui a rassemblé dès le premier jour 50 000 personnes.

La vidéo [16] ci-dessous, sous-titrée en français, “Agir ou mourir”, résume l'alternative pour ces populations :

Selon le blog Rexistance Inde [17] :

Difficile de dénombrer les marcheurs, mais il faut compter presque cinq heures pour voir défiler l'ensemble du cortège. (…) Nous traversons (…) quelques villages où les gens accueillent la Marche avec des colliers et des jets de pétales de fleurs jaunes et orange.

Satyagraha

La marche Jan Satyagraha passe au dessus de la rivière Chambal, 6 octobre 2012, crédit Goran Basic / Ekta Parishad

Un accord signé en 2012, des promesses à faire tenir

Les demandes de 2007, surtout concentrées sur les paysans sans-terre, étaient cette fois élargies, incluant les sans-abri, la mise en application effective de lois de lutte contre la pauvreté, les moyens techniques de cette mise en application, et enfin un calendrier précis pour la réalisation de ces promesses. C'est la somme de ces demandes qui a été signée dans l’accord en 10 points entre les marcheurs et le gouvernement indien [18] le 11 octobre 2012, et validée par la nouvelle rencontre entre les autorités et les marcheurs d'avril 2013.

Le blog Rexistance Inde [19] témoigne, dans un billet du 31 décembre 2012 :

Le gouvernement fédéral s'engage à plancher sur une politique de réformes agraires et à faire pression auprès des gouvernements locaux – l'allocation de terres étant leur prérogative – pour permettre aux populations marginalisées de rester sur leurs terres, ou d'en obtenir de nouvelles pour y travailler. Et pour y vivre ! Car l'une des clauses centrales, et nouvelles, de l'engagement consiste à inclure le droit au logement pour chaque famille pauvre et sans terre. […] Mais Ekta Parishad n'est pas naïf. Au contraire, fort de l'expérience de la Janadesh en 2007 dont le peu de promesses obtenues n'avait pas vraiment été tenues, le mouvement reste vigilant, à tel point qu'il lance dans la foulée de la signature de l'accord un appel à soutien international pour signifier au gouvernement que les “invisibles” ne le lâcheront pas d'une semelle, et que l'œil de la conscience citoyenne veille, partout dans le monde.

Les initiatives de soutien au niveau indien, européen et international se sont aussi multipliées ces derniers mois pour s'assurer du respect de l'accord signé par le gouvernement indien, comme cette lettre commune envoyée au Ministre Jairam Ramesh [20] [anglais], le félicitant pour ses actions depuis ce début d'année en faveur des plus démunis, mais l'encourageant aussi à ne pas s'arrêter en si bon chemin.

Espoir et circonspection

L'accord initié entre Ekta Parishad et le gouvernement indien pourrait bien être la promesse d'un nouveau paradigme de développement et de distribution des richesses naturelles, en Inde et peut-être au-delà. Mais à l'aube d'élections générales en Inde, l'heure est à la mobilisation et à l'espérance autant qu'à la circonspection.

V. Rajagopal, Président de Ekta Parishad, a affirmé que le mouvement comptait clairement faire entendre sa voix lors de la campagne électorale qui commence actuellement en Inde, dans un article en ligne de Firstpost India du 12 avril 2013 [21] [anglais] :

2014 est une année d'élections et tous les partis politiques sont en train d'ébaucher leurs manifestes. Nos efforts sont dirigés vers une place proéminente pour une réforme agraire et foncière dans leurs manifestes. C'est en pensant à ces élections que nous avons mis au point le slogan suivant: Aage zameen peeche vote, nahi zameen toh nahi vote (d'abord des terres, ensuite des votes, pas de terres pas de votes).